Communiqué de l'Appel des Appels


Ça suffit ! Prenons la parole !

« Nous n’en pouvons plus de ce que nous sommes obligés d’infliger à nos élèves… » 

 

C’est ainsi que commence le texte rédigé par l’Association Française pour l’Enseignement du Français (AFEF) sur son site pour inviter les enseignants de français à s’exprimer ce mercredi 26 mai 2021. Les quatre thèmes de discussion étaient la souffrance et l’empêchement au travail, les inégalités sociales et l’attaque sur la culture, les nouvelles modalités de formation initiale et continue, les formes de riposte. Vous pouvez retrouver l’argument de ce débat à cette adresse : http://www.afef.org/ca-suffit-prenons-la-parole

et le visionner à celle-ci : https://www.youtube.com/watch?v=zXi5xJ6HMVg

 

Voici ce que nous pouvons retenir des quatre-vingt-dix minutes d’échange :

 

Les enseignants se sentent de plus en plus atteints par un conflit de loyauté qui devient intenable, conflit entre la mission de service public, l’éthique du métier pour lesquelles ils se sont engagés et la destruction du collectif de travail, de la culture professionnelle et des savoir-faire, déjà à l’œuvre depuis une dizaine d’années, mais qui se sont aggravées sous le ministère de Jean-Michel Blanquer.

 

En ce qui concerne le fonctionnement de l’institution, les enseignants n’ont pas oublié le déni de démocratie qui s’est exprimé dès 2017 par le reformatage du Conseil Supérieur des Programmes (CSP), mis sous la coupe de scientifiques adeptes des neurosciences et qui est passé en force sur l’adoption de programmes qu’une majorité de syndicats avait refusé de voter, sans oublier la disparition du Centre National de l’Étude des Systèmes scolaires (CNESCO) au profit d’un Conseil de l’Évaluation de l’École dont le président est nommé par le ministre. Sur ce même chapitre, le syndicat SUD-Éducation a recensé 47 interventions du ministre dans les médias sur six semaines, déconnectées d’une publication de textes officiels publiés dans le Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale. On peut également souligner les nombreuses attaques dont font l’objet les organisations syndicales au fonctionnement pourtant démocratique.

 

 

C’est à un renforcement scandaleux des inégalités sociales auquel s’attelle l’institution scolaire. 

On le voit dans les nouveaux programmes de maternelle qui ont introduit la notion de « fondamentaux » - le fameux LIRE, ÉCRIRE, COMPTER - en oubliant que ceux-ci sont des activités profondément culturelles. Or, ce n’est pas parce qu’on va mettre en place des techniques d’apprentissages, des habiletés techniques de lecture, d’écriture et de calcul que l’on va mettre en place des activités culturelles. On assiste à une réduction de tout ce qui est activités de signification, construction de sens, capacités à faire des liens avec le monde. Le problème est également que ces habiletés ne sont pas immédiatement accessibles à tous les enfants ou du moins, elles ne sont pas accessibles à la même époque ; c’est un peu comme si on évaluait la marche des enfants. C’est à une forme de tri social que l’on a affaire, d’autant plus que les nouveaux textes avancent d’un an par rapport aux anciens programmes – ceux de 2015 auxquels les enseignants de maternelle sont très attachés – les exigences de chacune des sections, le couperet tombant à l’entrée en CP avec les évaluations qui vont évaluer les acquis de la maternelle. Les « domaines d’activités » qui permettaient aux enfants de construire un rapport au monde pertinent pour mieux lire et écrire disparaissent complètement. Que dire également du PANEL 2021, qui vise à tester 35 000 enfants sur quelques connaissances cognitives, mais beaucoup sur des compétences comportementales (« Répond mal à l’adulte », « est agité », « range n’importe comment », « coupe la parole ») et qui rappelle les pires heures de l’étude de l’INSERM en 2005 contre laquelle une grande majorité de la société civile s’était opposée ?

 

Á l’autre bout de la chaîne, les enseignants de lycée dénoncent le pouvoir d’empêchement des nouveaux programmes et les modalités d’évaluation qui vont avec, empêchant de faire vivre au lycée le travail si beau de la langue et de la littérature. Ces programmes amènent les élèves à devenir des machines à commenter, à disserter, à apprendre des notions de grammaire vides de sens, plutôt qu’à susciter leur désir de lire, d’écrire, de parler et de créer. De leur côté, les enseignants deviennent contre leur gré des machines à fabriquer des explications de textes, le nez sur le compteur pour atteindre le chiffre réglementaire requis par l’examen et sans pouvoir réfléchir à leur pertinence, au lieu d’être des concepteurs qui inventent, structurent, réfléchissent, donnent du sens, choisissent… La culture encyclopédique exigée des élèves de lycée, pour pouvoir passer le bac de français, nouvel « Art pour l’Art » version Éducation Nationale, renforce les inégalités empêchant une bonne partie des élèves de s’empoigner avec le texte littéraire et d’en apprécier le caractère vivant tout autant qu’humain, bref de pouvoir l’habiter vraiment…

 

En ce concerne la formation, les étudiants qui s’orienteraient à la rentrée 2021 dans les métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MEEF), pourront avoir trois statuts différents : le statut actuel dit « alternant » où l’étudiant suit des enseignements théoriques et pratiques en même temps qu’il effectue des stages d’observation, des stages de pratiques accompagnées et des stages en responsabilité d’une classe ; le statut de « contractuel » ; et enfin, d’autres qui seront stagiaires en observation en 1ère année de Master et en pratique accompagnée la 2de année. Tous ces étudiants seront soumis à la préparation du concours et devront en même temps obtenir leur M2 ; certains auront en plus des activités d’enseignement en tant que contractuels. L’éparpillement des statuts va compliquer le suivi des enseignants-tuteurs chargés de les encadrer et va empêcher la constitution de groupes de réflexion favorisant la mise en place d’une culture professionnelle partagée. Le recul d’un an dans le fonctionnariat risque de renforcer la précarisation des étudiants et une fois le concours obtenu, ils seront fonctionnaires-stagiaires à temps plein, comme au bon vieux temps de la présidence de Nicolas Sarkozy. Pas de quoi rendre attrayant un métier qui est déjà en perte de vitesse et dont de nombreuses places restent vacantes au concours. Quant à la formation continue, elle se réduit comme peau de chagrin, favorisant l’auto-formation et des sessions au format de plus en plus court. 

 

Nous, enseignants de français, nous alarmons de ces dérives, dénonçons le langage perverti utilisé par nos représentants dans une institution qui a, pourtant, pour but d’enseigner le sens de la vérité et le sens de la parole et lui fait perdre ses valeurs fondatrices de justice sociale, d’élévation du niveau culturel, de préparation à affronter la vie, le monde et l’univers dans lequel nous sommes, et nous invitons tous les citoyens, parents, élèves, collectifs, associations et syndicats à s’emparer du débat et à défendre l’École publique.

 

 

Julie Caupenne, L'Appel des Appels - Remettre l'humain au coeur de la société

 

Soumis par   le 30 mai 2021