Compte-rendu de la conférence de Sylvain CONNAC « Coopération entre élèves et différenciation pédagogique : quels liens ? »


Rencontres annuelles du CRAP-Cahiers Pédagogiques 2017

Sylvain ConnacDans le cadre des rencontres annuelles du CRAP-Cahiers pédagogiques, a eu lieu le 19 aout une conférence de Sylvain CONNAC, chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul Valéry de Montpellier, « Coopération entre élèves et différenciation pédagogique : quels liens ? ». Cette conférence est bien sûr à mettre en rapport avec la thématique de ces rencontres 2017 : « Des pratiques pour former des élèves autonomes et solidaires ».

L’objectif qui rassemble les participants est de mutualiser et développer des pratiques prenant en compte la diversité des apprenants et de leurs démarches pour permettre à l’école de pallier l’augmentation de la proportion d'élèves en difficulté et du poids des problématiques sociétales. Or, comme le montre le rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire » de Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD-Quart-Monde, en 2015, l'école renforce les inégalités. Il n’y a pas d’égalité des chances mais plutôt une égalité de droits. Comme le soulignent Jean-Paul Delahaye et Georges Felouzis, le pédagogique à quelque chose à faire pour que l’échec scolaire ne soit pas la double peine infligée à la pauvreté et la grande pauvreté.

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Différencier ?

Sylvain Connac revient d’abord sur les définitions. Selon Philippe Meirieu, il s’agit d’avoir le souci de la personne sans renoncer au souci de la collectivité, ce n'est pas l'individualisation qui génèrerait une plus grande ségrégation scolaire. Selon Philippe Perrenoud, il s’agit de faire en sorte que chaque apprenant se retrouve aussi souvent que possible dans des situations pédagogiques fécondes pour lui. Il rejette l’appellation « pédagogie différenciée » qui signifierait qu'il y aurait des méthodes auxquelles se conformer, préférant celle de « différenciation pédagogique » qui invite chacun à réfléchir en fonction d'un certain nombre de variables et se présente comme un processus associant l’acte d'enseigner et celui d'apprendre.

 

Sylvain Connac propose en fait de ne plus l'employer. En effet, on constate que peu d'enseignants développent ce type de pratiques du fait de leur caractère chronophage. Par ailleurs, elle s’accompagne d’un risque d'étiquetage stigmatisant par les manques alors qu’un élève qui a des besoins n'est pas un élève différent. De plus, elle est souvent traduite par des pratiques d'externalisation et s’avère centrifuge, transformant la difficulté en échec du fait d’attentes faibles, conduisant aussi à proposer des activités moins stimulantes et qui font moins apprendre. Enfin, quand tous les élèves travaillent à leur rythme, cela peut se traduire par un rythme de croisière. S’appuyant sur les écrits de Jean-Pierre Astolfi, André de Peretti, François Muller et son site francois.muller.free.fr/diversifier/, il propose de parler plutôt de « diversification pédagogique » associant à des objectifs constants une variation des dispositifs, il s’agit de diversifier les modalités d'entrée dans le rapport aux savoirs.

 

Coopérer

Dans l’ensemble des situations où les élèves produisent ou apprennent à plusieurs, la coopération se caractérise par le fait que les partenaires sont mutuellement dépendants : il est nécessaire de partager un espace pour agir. Dans le rapport à l'autre, le don de soi est gratuit. La coopération s’apparente à la générosité. Elle se distingue alors de la coordination dont les actions sont articulées et de la collaboration où l’on partage un espace, un temps de travail, des ressources. Partage sans gratuité, on y trouve un intérêt pour soi aussi de sorte que la collaboration relève de la solidarité.

 

Dans le rapport aux savoirs, la coopération recouvre des pratiques d’aide, d’entraide, de tutorat, de travail en groupe. Dans la construction des collectifs, on y retrouve les conseils d'élèves, les jeux coopératifs, les réseaux d'échange réciproque de savoirs, la DVDP (discussion à visée démocratique et philosophique), les démarches de projet avec un travail en équipe à ne pas confondre avec un travail en groupe.

 

Coopération et diversité

Selon le dossier de l’IFé paru en septembre 2016, quels que soient la discipline, l'âge ou la tâche, l'approche coopérative est la plus efficace : les élèves apprennent mieux et plus ; elle a également un impact positif sur la socialisation,  la motivation et le développement personnel des élèves.

Sylvain Connac donne ensuite à entendre des témoignages d’élèves qui sont dans des classes coopératives. Ces entretiens indiquent dix domaines dans lesquels la coopération apporte des bénéfices :

-       La responsabilisation ;

-       L’autonomie : ils apprennent à ne pas déranger les autres, à se déplacer pour aider les autres, à rester volontairement dans le contrat scolaire ;

-       Le déblocage face à une consigne : ils apprécient la rapidité de l'aide reçue qui facilite le déblocage puisque l’enseignant a des partenaires ;

-       La diversification des entrées dans les savoirs ;

-       La mise à l'épreuve des conceptions individuelles (la dispute au sens rhétorique) ;

-       La consolidation des acquis : le tuteur consolide ses compétences parce qu’il les entraine et fait apparaitre les points faibles ;

-       La solidarité, le soutien et la générosité qui vont à l’encontre du sentiment d'isolement ;

-       Du plaisir, de la satisfaction : il entre dans ce que Marcel Mauss appelait don et contre-don ;

-       Une relation humaine et franche avec les professeurs.

-       Les enseignants y gagnent du sens dans l’exercice de leur profession, un sentiment d'efficacité, un intérêt accru pour leur travail.

La pratique coopérative met en lien processus d’enseignement et processus d'apprentissage et apporte un regard optimiste sur les jeunes.

 

Diversification pédagogique

Le travail en groupe est intéressant pour l'enrôlement lors du lancement de séquence. Il suscite du déséquilibre cognitif, permet de passer de l'incompétence inconsciente à l'incompétence consciente et génère le désir d'apprendre comme désir de retrouver un équilibre, un confort. La transmission sera la réponse à des questions que les élèves se posent. A la différence des savoirs, qui sont des données extérieures, la connaissance est le fruit d'une construction.

Les pratiques d'entraide sont intéressantes au niveau des entrainements où se joue la mémorisation. Apprendre, c'est comprendre et mémoriser. De surcroit, elles font vivre de manière ordinaire la fraternité.

Les conseils coopératifs sont intéressants pour la construction d'un collectif, chacun entend les raisons singulières des autres. Ils entrainent à l’exercice de la démocratie, de l'engagement.

Les jeux coopératifs favorisent un sentiment d'amitié. Ils participent d’une éducation à la paix parce qu'on apprend à se faire mutuellement confiance.

Le travail en équipe, la démarche de projets, en dehors des séquences d'enseignement, sont intéressants pour l'interdisciplinarité et les compétences transversales.

Les échanges de savoirs instaurent une réciprocité, ils permettent de prendre conscience que si on a des manques, on a aussi des points forts.

La DVDP favorise l’appartenance à une communauté de recherche unie.

 

La liberté (autonomie, déplacements...) et la fraternité (altruisme, empathie) sont des valeurs qui donnent sens à ces outils.

 

Questionné sur la place de la politique et du social, Sylvain Connac répond que la visée de la coopération à l’école est l’apprentissage et l’insertion. Dans une logique d'éducation populaire, pour certains, cela est politique dans un monde libéral car les pratiques coopératives visent la lutte contre inégalités scolaires. Est-ce que cela fera des citoyens plus altruistes ? Ce n'est qu'une espérance.

Selon lui, si la coopération rencontre autant de résistances alors que son efficacité est démontrée, cela tient à ce qu’on demande plus de comptes à celui qui change qu'à celui qui reproduit des pratiques qui ne marchent pas. Une autonomie démocratique des établissements serait facilitante, avec des acteurs non titulaires de leur fonction. Celle-ci ne doit pas être confondue avec une autonomie libérale instaurant une mise en concurrence des établissements.

Interrogé sur l’attitude à adopter face aux élèves qui refusent la coopération, il préconise de leur démontrer que vouloir travailler tout seuls c'est vouloir travailler sans aide : le professeur ne doit pas se laisser accaparer. Pour la constitution des groupes, le plus efficace est le tirage aléatoire.

Pour que des élèves travaillent en groupe, il faut que cela parte d'un élan personnel, cela ne doit pas être obligatoire.

 

Dominique Seghetchian, Nadia Voillequin

 

 

 

 

 

 

Soumis par   le 03 Septembre 2017