Un ministre qui réoriente programmes et instructions du Cp au cycle 4, tout seul ! Du jamais vu ! Zorro ? Décryptons le dessus et le dessous des mots, décodons les messages cachés, les menaces, les intentions d’agir sur le lecteur : cela s’appelle comprendre un texte ! Pas seulement une question de vocabulaire et d’ordre des mots dans la phrase !
Que cherche le ministre ?
Soyons clair, c’est un texte très politique ! Les injonctions du ministre ne tiennent pas la route et sont en contradiction complète avec les textes officiels, les avancées scientifiques et la culture professionnelle qui n’est plus celle des années soixante. La visée centrale est électoraliste. Il s’agit de plaire à un public nostalgique , conservateur, bourgeois ou non, mais attaché à la tradition, à l’image rêvée de l’école de pépé ! Plaire aussi à ceux ou celles qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe à l’école, qui ne comprennent souvent pas comment ni pourquoi leurs enfants sont orientés. Le ministre leur joue le jeu des choses simples, des évidences café du commerce "ah , la grammaire, ils en font plus assez, je vous le dis !" Ne dit-on pas que ce sont les plus gros mensonges qui passent le mieux ?
Mais pour qui se prend le ministre d’oser rayer d’un trait de plume des années de recherche, de culture et d’expérience professionnelle ? Au feu les ouvrages, revues professionnelles, les manuels issus de cinquante ans de réflexion, d’innovations des enseignants, des associations, tous engagés dans la recherche de plus de démocratisation, plus de culture, plus de compétences pour tous les élèves et pas seulement pour le happy few qui va à l’université grâce à la culture et l’argent de la famille. Au bûcher les ouvrages de didactique dans les bibliothèques universitaires ! Inutile la formation initiale approfondie, le ministre donne ses ordres.
Inutiles, niées, les conférences de consensus qui ont rassemblé ces dix dernières années des chercheurs de toute la francophonie. Qui n’ont eu de cesse de montrer la nécessité d’une pédagogie plus complexe, attractive, ambitieuse, ancrée sur des projets, des curiosités, des explorations. Une pédagogie exigeante qui prend en compte la diversité et l’hétérogénéité des élèves. Concernant l’enseignement du français, la très récente conférence de consensus a montré la nécessité d’un travail conjoint sur le lexique, les formes syntaxiques, énonciatives, tant en lecture et écriture, lors des cours de sciences, d’histoire, mathématiques, littérature, etc. Elle a montré la nécessité de monter en exigence les compétences de lecture et d’écriture très diversifiées et nouvelles ! C’est à l’opposé que le ministre donne ses instructions.
Dépassés les programmes de 2015, pourtant discutés par de très longues concertations des enseignants, chercheurs, associations etc. ! La loi, le ministre s’autorise à en faire fi ! Les notes portant sur l’enseignement du français comme sur celui des maths ont pour but de dénaturer, détournent les préconisations centrales du socle commun sur lesquels les programmes étaient calés. Pour l’enseignement du français, l’axe premier du socle pour tous les cycles recommande de faire lire, écrire, parler beaucoup les élèves et ce dans toutes les disciplines. Le but ? Les faire réfléchir, penser par eux-mêmes, les inciter à persévérer, à avoir un point de vue singulier, à explorer des solutions alternatives, à moins répéter ou appliquer des recettes toutes faites. L’enjeu ? Rendre les élèves autonomes, critiques, inventifs.
Mais las ! De l’écriture au quotidien, des textes intermédiaires, dans les récentes notes ou tests proposés en CP ou en 6°, il n’est plus question ! L’écriture a disparu du radar. Oubliée, alors même qu’elle est une des causes premières de l’échec scolaire. Remplacée par des exercices de grammaire, vocabulaire à satiété, ad nauseam. Au secours ! l’ennui dans la classe est assuré, les résultats connus. C’étaient les programmes de 2008. On en donnait les résultats plus que médiocres aux évaluations internationales !
Suivez le guide ! Pédagogie unique imposée ! Pour le français, c’est très simple. Pour la compréhension, l’orthographe, et la correction des phrases, mettez dans la soupière beaucoup de leçons de vocabulaire et de grammaire (3H par semaine en CM, 1H30 en sixième), respectez scrupuleusement la règle des quatre temps : observation d’une phrase ou d’un micro bout de texte, verbalisation explicite de la règle, application, évaluation ! Et le tour est joué. Magique ! Les élèves apprennent automatiquement. La recette est un peu datée : les années soixante avant la massification… On aurait envie d’en rire si l’affaire ne concernait pas les élèves et tout le corps enseignant.
Une navrante absence d’ambition pour l’école.
La vision de l’enseignement que révèlent les dernières notes signées du ministre, est navrante. Sa vision des possibilités des élèves, du talent et de la créativité des enseignants, est désespérante d’absence d’ambition ! Oui les élèves de CM2, de sixième, de troisième peuvent lire plus de 6 livres par an. 6 livres, c’était ce que demandaient les instructions de 2002 pour le primaire par trimestre. Et ils lisaient, écrivaient tenaient des carnets de lecture ! Même en ZEP ! Oui les élèves ont besoin de s’approprier les oeuvres du patrimoine, mais ils ont aussi besoin de découvrir les littératures du monde. Pour le rencontrer et le comprendre. Ils ont besoin de le faire d’abord et longtemps en classe et c’est de l’inconscience ou une drôle de suggestion que de laisser penser que nombre d’entre eux pourront le faire à la maison comme il est préconisé dans la note du ministre.
Que cherche donc le ministre, derrière ces préconisations stupéfiantes par leur simplisme ? Relèvent-elles d’une ignorance profonde des évolutions didactiques et pédagogiques de ces trente dernières années, d’une nostalgie des bons souvenirs de l’école et du collège tranquille d’autrefois, ou d’une arrogance à vouloir prétendre détenir seul la solution à tous les maux de l’école ? On ne tranchera pas !
Une chose est certaine, le ministre cherche à soumettre, et même humilier les enseignants en leur refusant le droit de décider en toute liberté pédagogique de leurs pratiques, liberté inscrite historiquement dans le cadre institutionnel. Une liberté respectueuse du cadre commun issu non des volontés d’un ministre mais du cadre législatif. Elles visent à recadrer les personnels de direction, d’inspection qui ont mis en route les réformes prévues par les nouveaux programmes.
Un coup de force ? Un coup d’essai ? Un coup raté ! Ne méprisez pas monsieur le ministre les enseignants, les chercheurs, les formateurs, les corps d’inspection, les parents d’élèves. Ils savent lire entre les lignes les menaces qu’elles dessinent pour l’école et la profession enseignante.
Dominique Bucheton
professeure honoraire, faculté de l'éducation de Montpellier
Les instructions du ministre pour l'enseignement du français
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