Le serpent de mer du socle commun de connaissances et de compétences est revenu ; accusé, depuis quelques années, à la fois de vouloir niveler par le bas et de poser des objectifs trop élevés pour les 20 % d'élèves le plus en difficulté, il est repris par le Ministre de Robien sous une nouvelle forme, le saucissonnage. Nous aurions pourtant pu mettre d'importants espoirs dans cette tentative toute nouvelle en France de fixer le minimum au-dessous duquel nous n'acceptons pas que nos élèves sortent du système scolaire. Mais le texte, tel qu'il vient d'être publié, suscite une amère déception.
Pourtant, si nous regardons depuis notre lorgnette d'enseignants de français, nous devrions nous estimer particulièrement flattés de voir, parmi les 7 piliers retenus, la maîtrise de la langue française figurer comme le premier, à la fois dans la liste et dans l'importance. Que notre ministre, que la nation tout entière affirme cette priorité, ce n'est peut-être pas nouveau, mais en tout cas suffisamment important pour qu'il nous fasse oublier combien, au fil des dernières décennies, les enseignements scientifiques et technologiques ont pris le pas sur les humanités.
Mais, ne nous trompons pas pour autant : le socle commun ne se veut pas une succession de programmes disciplinaires, l'approche retenue, et la seule admissible, est celle d'une transversalité. « Chaque compétence qui le constitue requiert la contribution de plusieurs disciplines, et, réciproquement, une discipline contribue à l'acquisition de plusieurs compétences ». Alors, comment se met en place une approche interdisciplinaire autour de la langue française ? Comment les autres disciplines peuvent-elles contribuer au socle commun ? Quelle relation ce socle entretient-il avec les programmes de français ?
Nous pouvions nous attendre à ce que des réponses soient apportées dans les directives d'application. Et même si le texte publié en décembre 2006 peut nous paraître vague tant il ne pose pas de degrés d'exigence précis, ni de compétences véritablement évaluables, nous pouvions penser que les textes complémentaires suivants préciseraient ce qui pouvait rester flou dans le texte de base.
Mais alors, pourquoi la « Mise en 'uvre du socle commun de connaissances et de compétences », publiée au B. O. n° 3 du 18 janvier 2007 titre-t-il sur « l'enseignement de la grammaire » ? Faut-il penser que le socle commun se recentre sur les disciplines, confondant la 1ère compétence avec le programme de français ? Même si c'était le cas, l'affirmation de la grammaire comme priorité n'est pas neutre. Elle parle à tous, et le grand public peut enfin exprimer les rancoeurs accumulées contre la linguistique, l'évolution de la terminologie, les abus formels. D'accord, nous acceptons les reproches ; nous avons nous-mêmes déjà critiqué ces dérives et recentré l'enseignement du français sur une didactique rigoureuse privilégiant la maîtrise de la langue, la recherche du sens et l'autonomie des élèves. Mais nous ne pouvons croire qu'il suffirait de leçons et d'exercices systématiques de grammaire pour résoudre les problèmes de langue ; nous ne disons pas qu'il ne faut pas reconsidérer l'enseignement de la grammaire, mais cette focalisation a une allure de pensée magique bien inquiétante. L'apprentissage de l'orthographe et de la grammaire, annoncé dans le 1er point, se réduit en fait à un long développement sur la grammaire seule, comme si elle suffisait à résoudre tous les problèmes. Et l'orthographe, préoccupation majeure de nos contemporains, passe une fois de plus à la trappe.
Et, tout aussi inquiétant, si toutes les disciplines doivent contribuer au socle commun, cela signifie-t-il que tous les enseignants devront faire des leçons de grammaire ? Puisque, rappelons-le, le texte publié n'est pas rattaché à l'enseignement du français, mais à la mise en 'uvre du socle commun de connaissances et de compétences.
L'interdisciplinarité de la grammaire ? Peut-être un oxymore qui a de l'avenir' Si la simplification de l'orthographe est renvoyée aux calendes grecques, la grammaire, au moins, semble avoir de beaux jours devant elle.
Viviane Youx, présidente de l'AFEF
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