Écrire : une compétence qui peut s’enseigner et s’apprendre ?
Par Alice BARBAZA, Christine JOURNÉ, Magali LAGRANGE et Karine RISSELIN
Nous sommes quatre professeures de français exerçant dans l’académie de Créteil, en collège ou en lycée. Notre quotidien nous confronte aux difficultés souvent importantes de nos élèves dans l’appropriation de l’écrit, en réception ou en production. Nous étions toutes les quatre présentes à la rencontre organisée par l’AFEF sur l’articulation entre la notion de compétence et certaines des spécificités de notre discipline. Nous souhaitons par cet article montrer comment nous essayons, par une réflexion commune et à partir de nos contextes professionnels respectifs, de nous saisir de la mise en œuvre du Socle commun de connaissances et de compétences pour articuler la question de l’approche par compétences et certaines problématiques d’enseignement-apprentissage relatives à l’activité d’écriture.
Le 14 janvier 2012, l’AFEF a proposé une rencontre autour de la question de la lecture, de la littérature et des compétences. Les questions soulevées lors de cet après-midi de réflexion ont permis de nourrir la réflexion de notre petit groupe de travail autour de l’entrée dans l’écrit des élèves.
Ainsi, Jean-Yves ROCHEX a mis en évidence ce qu’il a appelé "coups de force théoriques" liés au Socle Commun. En posant la question des outils, il a mis en évidence que, puisque l’on ne sait pas définir les compétences, on se centre sur les outils, cette exacerbation entrainant alors bachotage, surentrainement et morcellement des tâches et surtout accentuation des inégalités. En écho à ce que nous avons reçu comme un avertissement, nous avons tenté de penser une approche où tous nos élèves puissent être accueillis et accompagnés dans l’acte d’écrire. Nous y reviendrons.
L’intervention de Jean-Louis DUFAYS nous a été, elle, très précieuse, pour déterminer sinon la notion de compétence au moins une forme de consensus pour pouvoir travailler en classe la compétence 1 du Socle, et notamment le domaine « Écrire ». En créant d’une part un parallèle avec les mises en œuvre en Belgique et en France, et en insistant d’autre part à la fin sur des priorités non réductibles aux compétences (un ensemble de savoirs, de savoir-faire, d’attitudes complexes), cette intervention nous a permis de mettre au jour ce qui se joue dans nos classes.
Voici les deux axes de travail que nous avons donc développés et qui seront l’objet d’articles mis en ligne sur le site du CARMaL.
- COMMENT PERMETTRE AUX ÉLEVES D’ENTRER DANS L’ÉCRIT ?
Les élèves sont souvent réticents à l’activité d’écriture. Ils considèrent l’écriture comme « un don » sans la possession duquel progresser serait impossible. Ils sont d’ailleurs parfois confortés dans cette idée par la conception que peuvent avoir les enseignants de l’écriture comme une activité spontanée et inspirée, qui ne s’apprend pas.
Or, écrire s’apprend. Tel est le postulat qui nous semble constituer un préalable indispensable à toute réflexion : c’est un travail laborieux de révision, de réécriture, de négociations… Il s’agira alors, à travers nos propositions de dispositifs, de montrer comment nous essayons de permettre à nos élèves d’entrer dans l’écrit, de dépasser leurs réticences et les obstacles qu’ils peuvent rencontrer. Pour cela, il nous a paru nécessaire de nous demander comment l’élève apprend les usages et les fonctions de l’écriture. Comment les lui enseigne-t-on ? Puis, que doit-on évaluer dans les écrits des élèves ? Et quelles évaluations proposer pour les aider à progresser ?
Enseigner d’abord qu’écrire, c’est réécrire : pour cela, il nous semble important de privilégier, sur le temps de la classe, des moments d’écriture, de réécriture et de révision textuelle, accompagnés et étayés par l’enseignant [1]. Cette idée forte va déterminer plusieurs pistes de travail qui se combinent. Il nous semble en effet essentiel de :
- Favoriser des moments de co-construction où l’élève puisse mettre au jour le processus d’écriture et s’inscrire dans une pratique langagière qui consiste à « écrire/récrire/réviser »
- Faire appréhender les gestes de la révision textuelle par lesquels l’élève apprenne à manipuler la langue en ayant intégré les quatre gestes du brouillon : le déplacement, la suppression, l’ajout et la substitution
- Entrelacer activités de lecture et activités d’écriture : lire pour mieux écrire et écrire pour mieux interpréter ; que les élèves montrent par l’écriture qu’ils ont lu et compris l’œuvre : visée respectée, « genre » respecté ; …
- ET LE SOCLE ? Est-il possible de concilier l’approche par compétences et l’apprentissage de l’écriture ?
Si l’on se réfère à la définition donnée par Jean-Louis DUFAYS de la compétence, elle est « une aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches »[2]
En ce sens, elle révèle bien son caractère complexe. Il s’agira alors pour l’enseignant d’expliciter, de déplier en quelque sorte les items présentés dans le domaine « Écrire » de la compétence « Maitrise de la langue française », qui englobent finalement des compétences implicites. Ces items renvoient essentiellement à la dimension technique du geste d’écriture. Les indicateurs, surtout linguistiques, évaluent surtout un écart par rapport à la norme et ne disent pas grand-chose du processus à l’œuvre dans l’acte d’écriture ou du rapport de l’élève à l’écrit.
Nous comptons donc faire le point sur les processus à l’œuvre dans l’acte d’écrire, en ne les limitant pas au produit fini, en nous demandant quelles compétences et attitudes seront à développer en priorité.
Nous proposerons quelques dispositifs pédagogiques, expérimentés en classe sur l’écriture libre, l’écriture longue, l’écriture avec critères, l’écriture de commentaire … Nous nous interrogerons également sur les commentaires laissés par le professeur en marge des copies d’élèves, montrant, nous l’espérons, l’incidence de ces annotations sur la construction du sujet écrivant.
Enfin, nous aborderons l’épineux problème de l’évaluation en questionnant la place et le rôle donnés à l’évaluation chiffrée, souvent sommative, des productions écrites ; nous ferons des propositions concernant la pratique du bilan métacognitif avec les élèves, l’étayage des copies pendant et après les productions écrites, la possibilité de transférer des invariants d’un écrit à un autre et d’opérer des passages et des transformations, de l’écrit pour aller vers l’oral et de l’oral pour entrer dans l’écrit.
Suite après la trêve estivale…
Alice BARBAZA, Christine JOURNÉ, Magali LAGRANGE et Karine RISSELIN,
professeures de français, membres du groupe Maitrise de la Langue de l’Académie de Créteil
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