Évaluation expérimentale en 5ème, dernier avatar des pratiques de « mesure de l’efficacité du système » pour la gestion de l’institution ou « outil au service des acquis des élèves » pour garantir à une première génération la maitrise du socle commun de connaissances et de compétences ?
En mai 2012, dans environ 10% des établissements publics et privés de toutes les académies[1], a été expérimentée une évaluation nationale des acquis des élèves de 5ème. Celle-ci, comme celles de l’école élémentaire, concerne les mathématiques et la maitrise de la langue. Le collège où j’enseigne a fait partie de ces établissements.
Par ailleurs la DEPP a constitué un échantillon de 30 000 élèves de 5ème, répartis dans 270 collèges parmi ceux qui participaient à cette évaluation pilotée par la DGESCO. Ceux-ci ont eu droit à une séquence supplémentaire. Les élèves de mon collège ont été concernés par une séquence supplémentaire d’évaluation de la maitrise de la langue.
Les résultats devaient, après la saisie par le chef d’établissement dans une application dédiée (SEREVA), être communiqués aux familles et permettre la constitution de groupes de compétences. En cette toute fin d’année, ceci n’a toujours pas été fait.
1. Une fois de plus le message envoyé aux élèves et à leurs familles est brouillé.
Je propose d’attirer l’attention sur certains points qui interrogent sur l’évaluation proposée en 5ème , à des élèves âgés de 11 à 14 ans, des capacités à lire, écrire, comprendre/répondre.
1. 1. La centration sur les deux compétences – maitrise de la langue, maitrise des mathématiques - et, à travers elles, sur les deux disciplines traditionnellement présentées comme « fondamentales » au sens tantôt de disciplines essentielles, tantôt de disciplines au service de tous les apprentissages, est une première source d’interrogation. En effet, elle pérennise une illusoire hiérarchie des disciplines ainsi que la vision tout aussi erronée d’une progressivité des apprentissages : d’abord les langages, ensuite leurs usages (en somme le solfège avant l’instrument). De ce point de vue, pourtant, ces évaluations marquent une progression car la place des supports empruntés à d’autres champs disciplinaires, la variété de la forme des supports, la place de la lecture fonctionnelle ou de loisir sont loin d’être marginales : 7 supports sur 12 relèvent de cette « transversalité » de la maitrise de la langue.
1. 2. La fonction de ces évaluations de 5ème est obscure. Il était spécifié que « les consignes doivent être lues mot à mot, sans omission ni ajout » (le soulignement est dans l’original), nous ne devions « leur fournir aucune aide pour répondre aux questions » (idem), preuve que le rôle implicite de la compréhension des consignes dans la communication scolaire (et dans l’échec) a la peau dure. Agissant en fonctionnaire bien formatée, j’ai appliqué cette directive : « Dire : Il est important que vous fassiez de votre mieux car on évalue vos performances. Ces résultats ne comptent pas dans vos bulletins scolaires mais vous devez montrer ce dont vous êtes capable. » La non-communication aux élèves de leurs résultats et l’absence d’exploitation de ceux-ci (je parle de l’utilisation explicite, pédagogique, formative, au service de l’organisation de la suite de leurs apprentissages), renforce chez les élèves le sentiment de ne pas être acteurs de leurs apprentissages, d’être, à l’école, des objets et non des sujets. Et, en conséquence, elle valide des comportements dérégulés générés par ce malentendu. Elle entretient les malentendus didactiques. De plus, les élèves avaient demandé s’ils auraient connaissance de leurs résultats car, contrairement à beaucoup d’idées préconçues, ni eux-mêmes, ni leurs familles, ne sont indifférents à l’école et à leurs apprentissages. Forts des allégations contenues dans le guide qui leur était destiné, les enseignants ont répondu affirmativement, c’est une fois de plus la parole enseignante qui sera discréditée. Est-ce spécifique à la « communication » dans mon établissement ou est-ce général ? Je l’ignore. L’opacité de l’institution ne vaut pas seulement pour les « usagers », elle concerne aussi les « opérateurs ».
1. 3. D’autre part, les consignes concernant la mise en œuvre de l’évaluation mettent à jour des effets de communication qui correspondent davantage aux mœurs anglo-saxonnes qu’aux traditions scolaires françaises. Il faut avouer que celles-ci n’ont aucune raison d’être pérennisées, toutefois les préoccupations concernant la communication peut servir à masquer la réalité. En effet, s’il est essentiel d’informer préalablement sur le cadrage des épreuves (durée, objectifs, modalité des réponses…), il est factice de recourir à des formulations qui font comme s’il ne s’agissait pas d’une épreuve imposée mais d’un acte librement consenti : « Vous êtes sollicités pour participer à un test… » et, à la fin de chaque épreuve, rebaptisée séquence : « remerciez les élèves pour leur participation ».
2. Évaluer des connaissances et/ou des compétences
Le tableau 2 montre que, contrairement à ce qui se pratiquait avec les évaluations d’entrée en 6ème, et conformément à ce qui est annoncé dans la présentation de l’évaluation, ce ne sont pas tant des connaissances qui sont mesurées que la capacité à les mobiliser et les combiner. Ceci d’autant que j’ai compté des situations de réécriture comme questions portant sur des connaissances. De ce point de vue, cette évaluation donne des pistes pour ce qui est de l’évaluation de la lecture. Pourtant on peut en pointer quelques limites.
2. 1. La forme des questions (tableau 3) est certainement un des aspects qui a été le plus travaillé pour adapter les pratiques de l’évaluation scolaire au caractère binaire de l’évaluation des compétences et aux pratiques des évaluations internationales.
2. 1. 1. Au début du livret des élèves, il est précisé : « Il existe trois grandes catégories de questions : les VRAI/FAUX, les QCM (questions à choix multiples) et les REPONSES A REDIGER » et pour chacun de ces types, un exemple est donné, qui explicite les modalités de la réponse. Il est également indiqué l’interdiction du correcteur et les modalités de correction d’une réponse dont l’élève réalise qu’elle est erronée. D’emblée, est ainsi soulignée une volonté de normalisation correspondant au souci d’adapter nos élèves au format et au déroulement des évaluations internationales, souci que l’on retrouve dans cette consigne à donner aux élèves : « Même si vous n’êtes pas sûrs (sic)[2] de votre réponse, répondez quand même, selon ce qui vous paraît (re-sic)le plus juste ». On sait que la « défaillance » en situation d’insécurité a été analysée comme une caractéristique des élèves français due à un système scolaire qui culpabilise l’erreur et le tâtonnement.
2. 1. 2. Les notes sous le tableau 3 montrent que cette préoccupation de normalisation ne va pas sans problème tant pour les concepteurs (* et ****) que pour les élèves qui peuvent se trouver confrontés à des variantes dans lesquelles ils ne reconnaissent pas des exercices avec lesquels ils n’ont pas été familiarisés (** et ***) : j’avoue que je ne pratique guère les QCM, j’ai plutôt, au contraire, le souci de travailler la correction de la construction des phrases dans la rédaction des réponses, ainsi que l’explicitation de la cohérence de la réponse par rapport à la question et par rapport au support à travers la justification. Un seul item, dans l’ensemble de l’évaluation est censé mesurer cette capacité à construire une réponse justifiée par sa cohérence avec le texte. Il s’agit de la question 5 sur Le Royaume de Kensuké, Michael Morpurgo. « Deux amis parlent du projet du père : Pierre dit que c’est une bonne idée, Jean dit que le père a tort. Avec qui êtes-vous d’accord ? Pourquoi ? » Le guide pour le codage de cette séquence indique : « Code 1 : l’élève a émis une opinion et a justifié son opinion avec au moins un argument basé sur le texte ». Le problème est que cette nécessité de fonder la réponse sur le texte n’apparait que dans le livret de l’enseignant, les élèves ignorent, avant de répondre, cet aspect du contrat.
2. 2. La normalisation des réponses attendues pose des problèmes dont voici quelques exemples :
2. 2. 1. A propos de l’extrait de Le Royaume de Kensuké de Michael Morpurgo, à la question 1, les élèves doivent dire si « Peggy Sue » est une maison, la mère, un bateau, la chienne. Ils peuvent pour cela prendre appui en particulier sur les lignes suivantes : « […] mon père s’arrêta devant une passerelle qui conduisait à un étincelant bateau bleu foncé. Il posa les valises et nous regarda. […] “Eh bien, laissez-moi faire les présentations, nous dit-il. Voici Peggy Sue. Notre nouvelle maison. Elle vous plaît ?” La réponse attendue est « un bateau ». La règle énoncée avant le début de l’épreuve, selon laquelle il ne faut cocher qu’une seule réponse dans les QCM (règle par ailleurs mise à mal par les promoteurs de l’épreuve eux-mêmes (voir note* au bas du tableau 3), joue contre les élèves qui ont coché « une maison ». Leur réponse est comprise comme une erreur de lecture induite par les propos du personnage. Pourtant je serais curieuse de savoir si le texte anglais comporte le mot « house » ou « home », les mots « demeure » ou « foyer » appartenant en français à un niveau de langue inapproprié à la situation. En fait, certains élèves, sensibles à la fonction assignée à Peggy Sue et à sa valeur affective, ignoraient sans doute que pour être acceptable, il fallait que la réponse « maison » soit précédée d’un déterminant possessif et non d’un article indéfini. Les discussions entre collègues de français qui entouraient cette correction montraient qu’eux non plus n’étaient pas spontanément conscients de cet usage décisif du déterminant !
2. 2. 2. A propos de La jeune fille, le Diable et le Moulin, d’Olivier Py, la question 3 est la suivante : « Qu’y a-t-il derrière mon moulin ? Mon vieux pommier ? » Le père pose ces questions car : il n’a pas entendu, il est très mal à l’aise, il ne sait pas du tout, il est assez surpris. La réponse attendue est « il est assez surpris » pourtant quelques lignes plus loin, le même personnage dit « Pourtant quelque chose me retient. » Cela laisse penser qu’il est mal à l’aise… Sans compter que, pour des élèves ayant une « culture » religieuse, même s’ils acceptent la convention littéraire du merveilleux et de la métaphore, l’idée de la tentation est loin d’être affectivement neutre. Je ne crois pas que Faust n’ait jamais été troublé, en tout cas St Antoine le fut. L’obligation de choisir une réponse, dans de tels cas, revient à trancher entre des doxas et surtout fait fi du fait que les recherches sur la réception ont montré, il y a déjà quelques décennies, la part que les lecteurs prennent dans la construction du sens d’un texte.
2. 2. 3. A propos du Roman de Brut de Wace, le QCM de la question 2 invite les élèves à interpréter le titre, « Le Monument de Stonehenge ». Le guide de correction indique que la réponse attendue est « annonce le projet de Merlin et du roi », ce qui invite à rejeter « permet de savoir où se situe l’action ». Pourtant, secondairement, ce titre peut renseigner sur le cadre de l’action, il est bien un indice de lieu, de sorte que nous avons bien affaire à ce que les médiévistes nomment la « matière de Bretagne ». A propos des Contemplations de Victor Hugo, la question 6 demande de réécrire « sa candide auréole » en mettant ce groupe au pluriel. La réponse attendue est « ses candides auréoles ». Problématique, car on n’a jamais vu plusieurs auréoles pour un seul saint, de sorte que des élèves ont logiquement procédé à la multiplication des possesseurs : avec deux versions : « leur candide auréole » et « leurs candides auréoles » : décidément, il y a vraiment de l’intelligence dans l’erreur, mais où est véritablement l’erreur ?
2. 2. 4. La complexité cognitive est indépendante de la catégorie de la question, c’est une autre leçon qu’on peut tirer de l’observation des questionnaires (tableau 2). Les VRAI/FAUX, les QCM, déchargent de la tache d’écriture mais peuvent nécessiter un réel travail de réflexion.
Ainsi, à propos du document http:/svt.ac-dijon.fr/remediation/rem6543/ 5eme/ 5eme/51-l401.swf sur les actinoptérygiens, le premier VRAI/FAUX nécessite de croiser les informations du croquis et du tableau afin de dire « si, en s’écoulant, la rivière est de plus en plus rapide, riche en oxygène, chaude » ; dans le second, il faut confronter des informations figurant en divers points du tableau.
Ainsi aussi, à propos de la brochure présentant les activités du Musée du Quai Branly pour les groupes scolaires, la question 3 : « Teotihuacan, Cité des dieux : Quel atelier vous semble le plus en rapport avec cette visite ? » Le QCM demande à un élève de 5ème de faire siennes les préoccupations d’un enseignant qui organise une sortie scolaire !
Ainsi encore, à propos de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, la question 2, un QCM, semble au premier abord une simple question de connaissance : savoir identifier le narrateur. Cependant la formulation même de la question, « le narrateur semble », montre que le QCM se situe au niveau de l’interprétation. Cela se confirme à l’observation de l’hétérogénéité des réponses proposées : « ne pas faire partie de l’histoire, reconnaitre la danseuse, être parmi les spectateurs, critiquer l’attitude d’Esméralda » (dont il faut deviner que c’est le nom de la danseuse décrite). La réponse attendue, « être parmi les spectateurs », se fonde sur des indices ténus : le pronom « vous » ou un lexique subjectif qui laisse percevoir l’effet de cette danse sur un homme adulte (mais sur un(e) élève de 5ème ?). Dans la catégorie des réponses écrites on peut au contraire trouver par exemple « Recopiez le passage suivant en faisant très attention à l’orthographe ». Par ailleurs, on se contente souvent de réponses approximatives : « idée de poisson », « idée d’accord »… ou partielles « l’élève a compris que Rufus s’était levé sans autorisation et/ou qu’il avait écrit une phrase sur le mur et/ou qu’il était l’auteur de l’inscription “ Caius est un âne ” (sans contresens par rapport au texte) ».
2. 2. 5. Enfin, on peut vérifier que la forme grammaticale de la question suffit à introduire la difficulté même pour les QCM ou les VRAI/FAUX. C’est le cas de la forme négative de la question : « Quels poissons ne vivent pas dans la même zone ? » ou de l’utilisation de la forme comparative d’affirmations à (in)valider pour induire l’opération de comparaison de plusieurs informations (« Le vairon a besoin de plus d’oxygène que la tanche »…)
3. Quelle image de la discipline français à l’heure du socle commun
3. 1. Le tableau 1 révèle la place dominante des supports littéraires (11 sur 16) et leur variété. Parmi ceux-ci, trois relèvent de la littérature pour la jeunesse (dont deux sont des traductions), auxquels il convient d’ajouter les deux bandes dessinées transposant l’une un épisode du Roman de Renart, l’autre une situation de la Commedia dell’arte. Deux textes relèvent du patrimoine littéraire médiéval, période historique au programme. Les trois grands genres sont représentés : narration, théâtre, poésie ainsi que des écrits sociaux (brochure du musée du Quai Branly), documentaires ou didactiques empruntés à différentes disciplines, dont la nôtre avec l’histoire littéraire. Les modalités de lecture mises en œuvre par ces supports sont variées : lecture littéraire linéaire (roman) ou non (bande dessinée), lecture documentaire avec la confrontation de documents ou d’éléments de nature et de statut différents, tableaux, schémas, image dans sa fonction narrative (Roman de Renart) ou illustrative (documents d’histoire littéraire sur la Renaissance)… De même la longueur et la lisibilité de ces supports sont-elles très variables (de quelques lignes ou quelques vers à dix notices biographiques sur une même page, chacune étant accompagnée d’un portrait incrusté alternativement à gauche et à droite des premières lignes de texte). Je pense que ces supports permettent effectivement d’évaluer les compétences de lecture des élèves en fin de 5ème : il ne s’agit pas de la reprise de supports étudiés en classe (dans 13 cas, tous les droits sont réservés) mais on se trouve en face de situations appartenant à des « familles » étudiées dans le cadre des programmes de 6ème (La jeune fille, le Diable et le Moulin d’Olivier Py…) ou de 5ème (littérature médiévale, mouvement de la Renaissance, l’extrait de Le Royaume de Kensuké de Michael Morpurgo comme démarrage d’un roman d’aventure…).
3. 2. L’effacement de la dimension scripturale dans l’activité de réponse à un questionnaire me semble problématique. En effet, même lorsque la réponse attendue est une « réponse rédigée », il s’agit d’un mot, ou bien on se contente de « l’idée de… » (idée de taille, idée de tour du monde, idée de poisson…). On aurait pu distinguer les réponses justes du point de vue de la capacité à lire et faire une place pour l’écriture. Ainsi, à propos de la bande dessinée Le Roman de Renart de J-M Mathis et T. Martin, la réponse attendue à la question « Pourquoi le prêtre passe-t-il dans le bois ? » est « l’élève a fait le lien avec la foire/le marché et/ou les vêtements/ habits qu’il veut acheter sans contresens avec le support. Ne pas tenir compte de l’orthographe et de la syntaxe. »
3. 3. En fait, à la page 1 du Guide de passation, sous le titre « Maitrise de la langue française : explications complémentaires », un glissement est opéré en quelques lignes quant aux objectifs de l’évaluation et au contenu de la compétence évaluée. Ces explications commencent par l’affirmation suivante : « En ce qui concerne l’évaluation de la maitrise de la langue française (compétence 1 du Livret personnel de compétences), les connaissances et habiletés visées sont celles des domaines « Lire » et « Ecrire[3] ». » Deux phrases plus loin cela devient « […] il s’agit bien d’évaluer la compréhension de l’écrit », et dans la phrase suivante : « […] c’est précisément la capacité des élèves à identifier et mettre en relation les informations nécessaires à la compréhension qui est évaluée. » On a bien affaire à une conception restrictive de la maitrise de la langue, maitrise pour lire et non pour lire ET pour écrire. Cette carence est aussi à lier avec une conception des questionnaires (de lecture, mais pas seulement) comme outils pour manifester des performances individuelles au détriment de la dimension sociale et dialogale[4] d’un outil pédagogique : une trace écrite doit se socialiser en s’adressant à un destinataire qu’on prend en compte et en étant contextualisée par rapport à un support. Qu’il faille distinguer l’évaluation des compétences en lecture de celles d’écriture, qu’il faille limiter la durée et la complexité des corrections sont des faits avérés, mais la quasi disparition de la communication et la réduction à la portion congrue des compétences d’écriture est un biais dans l’appréciation de la maitrise de la langue. On ne peut pas non plus considérer que l’écriture s’apprend après la lecture et que ce sera l’affaire des deux années d’ « école du socle » qui restent à ces élèves. Dès lors, la durée de 45mn impartie à chaque séquence est bien trop longue pour les séquences 1, 3 et pour la séquence supplémentaire, celles qui ne correspondent qu’à la manifestation de la compréhension de lecture. A l’inverse elle est largement insuffisante pour la séquence 2, on y laisse 25mn seulement pour rédiger le brouillon d’une suite de texte et l’améliorer en produisant le texte qui sera évalué ; de surcroit, les textes qui n’atteindront pas 20 lignes seront codés 9 (réponse fausse ou incomplète) à tous les items ! Quelle méconnaissance de la réalité du travail d’écriture : de l’invention –le Saint-Esprit visite rarement les élèves stressés par la situation d’évaluation-, de la mise en texte, la révision… Un seul élève de ma classe a passé dans le délai imparti la barre des 20 lignes et sa production, sans intérêt, est très fautive. Certains de ses camarades amorçaient des récits qui montraient une compréhension bien plus manifeste de la situation initiée par les quelques lignes inspirées du Monde perdu de Conan Doyle.
3. 4. En ce qui concerne les formes de la langue dont on prétend évaluer la maitrise, il est surprenant de constater, en fin de 5ème, que l’orthographe et la syntaxe sont systématiquement négligées. Une seule question évalue l’orthographe : la question 2 portant sur Le Bel inconnu de Renaut de Beaujeu : « Recopiez le passage suivant en faisant très attention à l’orthographe : Le jeune homme le remercia poliment tandis que des jeunes gens se précipitaient pour le débarrasser de son équipement qu’ils mirent en lieu sûr ». Si la réponse attendue inclut la majuscule initiale, le point final n’est quant à lui pas obligatoire ! A propos du Roman de Brut de Wace, la première question est la suivante : « Recopiez la définition de la Carole que vous trouverez dans le texte. » Contrairement à ce que pourrait laisser croire le verbe de la consigne, il ne s’agit pas d’un exercice d’orthographe (on est invité à ne pas en tenir compte, ni de la ponctuation) : il s’agit en fait d’identifier la fonction d’une apposition. Par contre une reformulation est-elle acceptable ? Une interprétation stricte de la formulation de la consigne pour le correcteur inviterait à la rejeter. Bref le correcteur est devant le dilemme suivant : est-ce recopier que recopier avec des erreurs du moment qu’en recopiant on manifeste sa compréhension ? Si l’essentiel est de manifester sa compréhension, pourquoi ne pas passer outre la confusion entre « recopier » et « reformuler » puisque la reformulation manifeste encore mieux la compréhension ? Et comment, au-delà de ce problème, ne pas se dire que certaines pratiques pédagogico-évaluatives contribuent réellement à dévaloriser l’apprentissage de l’orthographe aux yeux de nos élèves ? Tout se passe comme si ces tests avaient été conçus sous l’influence d’un complexe généré par les évaluations internationales qui montrent que notre système scolaire est élitiste. Comme si, également, on avait envie de s’excuser de la complexité de la langue qui serait une caractéristique du français et qu’on rendait cette complexité de la langue responsable de l’échec des élèves les plus en difficulté. Cela aboutit à des situations comme la question 6 sur Le Bel inconnu : « Un élève a imaginé la suite du texte. Réécrivez la phrase suivante en corrigeant l’erreur qu’il a faite dans l’emploi des temps : Le roi remercia Merlin, se gratta la tête et déclara qu’il va réfléchir. » La consigne de codage est la suivante : « Ne pas tenir compte de l’orthographe en dehors de « allait » ni de la ponctuation ». C’est oublier le sens même de la syn- (« avec » en grec) -taxe, c’est nier la double articulation de la langue qui prend sens non seulement dans son rapport à un signifié mais également dans le rapport des signifiants.
En guise de conclusion : quelle maitrise de la langue pour quoi faire ?
Même si elle s’appuie largement sur des supports littéraires qui la situent dans un rapport avec le cours de français, cette évaluation nous livre une représentation réductrice de la maitrise de la langue.
Les compétences de l’oral sont, comme traditionnellement, ignorées.
En ce qui concerne la réception, le choix des modes d’évaluation fait comme si le texte était transparent, comme si sa signification n’était qu’un donné et que rien ne se construisait dans la réception et par le récepteur.
Les compétences en production sont négligées voire bafouées.
En fait, l’évaluation s’intéresse à la maitrise de la langue en ce qu’elle est nécessaire pour apprendre, elle ignore ce qu’elle apporte à la construction de la personnalité du lecteur autant que ce qui doit être maitrisé pour le plein exercice de la citoyenneté, comme l’argumentation, la prise en compte de l’autre, de toute sorte d’autres.
Dominique SEGHETCHIAN
[1] Ces informations figurent dans le guide de passation pour l’enseignant ; le texte de référence est la circulaire n° 2011-071 du 2 mai 2011.
[2] Comme tous les textes officiels à ce jour, les évaluations de la maîtrise (sic) de la langue en 2012, n’appliquent pas l’orthographe réformée et pourtant recommandée !
[3] C’est moi qui souligne.
[4] D’une façon générale, les dimensions illocutoire et perlocutoire de l’écriture (et du langage) ne font l’objet d’aucun apprentissage, ce que paient au prix fort ceux de nos élèves dont il est de bon ton de dire qu’ils sont « les plus éloignés » des normes langagières valorisées (ceux qu’un ancien ministre de l’éducation nationale a qualifiés de sauvageons et que la sociologie journalistique nomme pudiquement « jeunes des cité »).
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