Un blog interactif en Première L autour de la poésie moderne : le blog Voix-Iroise
Le blog Voix-Iroise est un espace de travail interactif des Premières L du Lycée de l’Iroise à Brest : un atelier de lecture et d’écriture, de création et d’échange, autour de la poésie moderne, de Rimbaud aux contemporains.
LE FONCTIONNEMENT DU BLOG Les élèves de la classe sont tous co-administrateurs du blog qui a d’abord été un espace de travail pour la lecture analytique d’une œuvre poétique : les Illuminations de Rimbaud. Chez eux, ils lisent le recueil, circulent librement de poèmes en poèmes et écrivent sur le blog, au gré de leur parcours, des articles variés :centrés sur la lecture : observation d’un procédé stylistique, relevé d’un champ lexical dans un poème ou sur tout le recueil, choix d’une phrase ou d’un poème jugés frappants, mise en relation d’un poème avec un autre poème, des images, de la musique, essai d’interprétation, jugement…
ou centrés sur la réécriture : contractions, dilatations, transformations, substitutions, imitations…
QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE CETTE EXPERIENCE
L’expérience menée a permis de valider certaines intuitions et d’enrichir certaines réflexions.
Le blog, correspond d’abord à la nécessité de redonner une vitalité à la Série L qui, comme on le sait, est aujourd’hui une série en mal d’identité avec des élèves souvent en mal d’estime de soi. En menant ce travail de grande ampleur et de grande visibilité sur la poésie, les élèves se sont pleinement assumés comme littéraires. En produisant des articles de grande qualité, ils ont démontré leurs talents, reconnus par leurs pairs comme par de nombreux visiteurs. Plusieurs auteurs sur lesquels les élèves écrivaient des articles ont d’ailleurs réagi par des « commentaires » laissés sur le blog, en adressant des courriers à la classe, ou lors de rencontres organisées : c’est ainsi qu’on a vu, à l’inverse de ce qui se passe d’habitude, les écrivains eux-mêmes se mettre à commenter les textes des élèves ! Le projet a aussi donné l’idée d’une « manif poétique », d’abord virtuelle, sur le blog où chacun proposait des « poèmes-slogans », puis réelle, sur la place publique où nous sommes allés les clamer : c’est ainsi que les élèves ont défilé pour exprimer leur amour de la littérature dans une sorte de « L Pride » festive …
Le blog me semble par ailleurs correspondre à une évolution : on sait que pour beaucoup d’adolescents d’aujourd’hui lire ne va plus de soi, plusieurs spécialistes tels que William Marx(1) ou Dominique Maingueneau(2) ont même montré comment dans notre civilisation la Littérature a cessé d’être sacralisée. Dans ce contexte, un professeur de Lettres doit-il se condamner à l’amertume et à la nostalgie ? Il faut au contraire ressusciter le désir et le plaisir de la littérature, ce qui veut dire par exemple rendre l’élève pleinement sujet de l’acte de lire, inventer des formes de lecture active, créative, ludique même, donner du sens à la lecture en la socialisant, en favorisant les échanges autour des textes lus ...
Le blog me semble d’ailleurs exploiter pleinement les nouvelles théories de la lecture. Au centre de la lecture, il n’y a pas le texte, dont un lecteur abstrait devrait retrouver le sens qu’y a mis l’auteur, mais il y a le lecteur lui-même, un lecteur réel, qui reconstruit le texte en fonction de sa subjectivité, des indices qu’il y prélève, des mises en relation qu’il opère à partir de lui. Quand Pierre Bayard dans Qui a tué Roger Ackroyd ? (3) s’amuse à démontrer qu’Agatha Christie n’a pas désigné le véritable meurtrier, il cherche à démontrer que « c’est le lecteur qui vient achever le texte », il invite à son tour chacun de nos élèves à reprendre l’enquête, à refaire l’histoire, à réécrire Rimbaud …
Le blog me semble en outre montrer que les nouvelles technologies sont capables de régénérer notre enseignement. Il ne sert à rien encore une fois de pleurer le passage d’une civilisation de l’écrit à une civilisation de l’image (hier) ou de l’écran (aujourd’hui). Cherchons au contraire comment les TICE peuvent développer le goût de la littérature ! Or il se trouve que les modes opératoires qui leur sont propres et dont les adolescents d’aujourd’hui sont si imprégnés sont, en parfaite adéquation avec la théorie dite du « texte du lecteur », parfaitement susceptibles de réinventer le travail sur le texte littéraire. « Sélectionner », « Couper », « Coller », « Rechercher », « Insérer » … sont autant d’invitations à s’approprier un texte en le réécrivant, c’est-à-dire à lire de façon dynamique et inventive. « Faire des liens entre des pages Web » ou bien comme sur ce blog entre des textes et des images ou encore entre des textes et d’autres textes, c’est opérer une mise en relation qui permet d’exercer à la fois sa capacité d’abstraction et sa sensibilité artistique. « Echanger », « mettre en ligne du contenu », n’est-ce pas enfin tout simplement se cultiver ?
Le blog me semble encore correspondre parfaitement à l’objet d’étude concerné : il tente de rendre la poésie vivante. Il convient en effet de revitaliser ce genre littéraire considéré par beaucoup comme lointain parce qu’archaïque ou hermétique : cela suppose d’aller à la rencontre de textes modernes et d’auteurs contemporains, cela implique de faire vivre la poésie en invitant les élèves à en écrire, cela incite le professeur à s’effacer pour que, face à ces textes qui résistent à la compréhension, les élèves goûtent au plaisir de construire eux-mêmes le sens. Il est nécessaire d’ailleurs de bousculer leurs représentations. Trop souvent la poésie est associée par eux à une technique d’écriture : la versification. Trop souvent la poésie est identifiée par eux à un exercice scolaire : la récitation, c’est-à-dire un travail de mémorisation, un rituel de sacralisation, une source même parfois d'humiliation… Et s'il ne s'agissait plus de réciter, de vérifier la capacité à apprendre par cœur et à restituer sans faute un texte, mais plutôt de le dire, de le partager avec un souci de justesse ou de ferveur ou même d'humour ? et s'il ne s'agissait plus uniquement de vénérer les œuvres du patrimoine, mais d'aller chercher la poésie qui se cache en chacun, en libérant la capacité d'expression et en l'enrichissant par la lecture active d'œuvres variées, passées et présentes ? et s'il ne s'agissait plus de sanctionner et de dévaloriser les élèves, mais de susciter et d’exposer leurs talents ?... Autrement dit : et si ce n'était plus aux élèves de réciter, dans la contrainte et parfois la douleur, des textes écrits par d'autres ? et si c'était à d'autres de dire, dans le plaisir et le partage, des textes écrits par les élèves ?... Ce fut un des aboutissements du projet que ce jour où les Premières L de l’Iroise eurent la surprise de voir débarquer dans le lycée les « B.I.P. », les Brigades d’Intervention Poétique : des comédiens venus lire devant eux, en plein centre du CDI, des textes qu’ils avaient écrits et mis en ligne… Au terme de l’expérience menée sur ce blog , chaque élève a pu ainsi se sentir un peu poète, ou du moins considérer que la poésie est, plus qu’un genre littéraire, quelque chose qui habite chacun de nous.
En guise de conclusion, on soulignera combien ce blog démontre, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas contradiction entre des pratiques innovantes et un enseignement exigeant de la littérature : pour donner accès aujourd’hui à une œuvre aussi difficile que les Illuminations, n’y a-t-il pas nécessité de considérer que la pédagogie est à réinventer?
http://voix-iroise.over-blog.com
Jean-Michel Le Baut, Professeur de lettres, BREST
(1) WILLIAM MARX, L’adieu à la littérature – Histoire d’une dévalorisation XVIIIème-XXème siècle, Les Editions de Minuit, 2005
(2) DOMINIQUE MAINGUENEAU, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Belin, 2006
(3) PIERRE BAYARD, Qui a tué Roger Ackroyd ? Editions de Minuit, 1998
LE FONCTIONNEMENT DU BLOG Les élèves de la classe sont tous co-administrateurs du blog qui a d’abord été un espace de travail pour la lecture analytique d’une œuvre poétique : les Illuminations de Rimbaud. Chez eux, ils lisent le recueil, circulent librement de poèmes en poèmes et écrivent sur le blog, au gré de leur parcours, des articles variés :
QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE CETTE EXPERIENCE
L’expérience menée a permis de valider certaines intuitions et d’enrichir certaines réflexions.
Le blog, correspond d’abord à la nécessité de redonner une vitalité à la Série L qui, comme on le sait, est aujourd’hui une série en mal d’identité avec des élèves souvent en mal d’estime de soi. En menant ce travail de grande ampleur et de grande visibilité sur la poésie, les élèves se sont pleinement assumés comme littéraires. En produisant des articles de grande qualité, ils ont démontré leurs talents, reconnus par leurs pairs comme par de nombreux visiteurs. Plusieurs auteurs sur lesquels les élèves écrivaient des articles ont d’ailleurs réagi par des « commentaires » laissés sur le blog, en adressant des courriers à la classe, ou lors de rencontres organisées : c’est ainsi qu’on a vu, à l’inverse de ce qui se passe d’habitude, les écrivains eux-mêmes se mettre à commenter les textes des élèves ! Le projet a aussi donné l’idée d’une « manif poétique », d’abord virtuelle, sur le blog où chacun proposait des « poèmes-slogans », puis réelle, sur la place publique où nous sommes allés les clamer : c’est ainsi que les élèves ont défilé pour exprimer leur amour de la littérature dans une sorte de « L Pride » festive …
Le blog me semble par ailleurs correspondre à une évolution : on sait que pour beaucoup d’adolescents d’aujourd’hui lire ne va plus de soi, plusieurs spécialistes tels que William Marx(1) ou Dominique Maingueneau(2) ont même montré comment dans notre civilisation la Littérature a cessé d’être sacralisée. Dans ce contexte, un professeur de Lettres doit-il se condamner à l’amertume et à la nostalgie ? Il faut au contraire ressusciter le désir et le plaisir de la littérature, ce qui veut dire par exemple rendre l’élève pleinement sujet de l’acte de lire, inventer des formes de lecture active, créative, ludique même, donner du sens à la lecture en la socialisant, en favorisant les échanges autour des textes lus ...
Le blog me semble d’ailleurs exploiter pleinement les nouvelles théories de la lecture. Au centre de la lecture, il n’y a pas le texte, dont un lecteur abstrait devrait retrouver le sens qu’y a mis l’auteur, mais il y a le lecteur lui-même, un lecteur réel, qui reconstruit le texte en fonction de sa subjectivité, des indices qu’il y prélève, des mises en relation qu’il opère à partir de lui. Quand Pierre Bayard dans Qui a tué Roger Ackroyd ? (3) s’amuse à démontrer qu’Agatha Christie n’a pas désigné le véritable meurtrier, il cherche à démontrer que « c’est le lecteur qui vient achever le texte », il invite à son tour chacun de nos élèves à reprendre l’enquête, à refaire l’histoire, à réécrire Rimbaud …
Le blog me semble en outre montrer que les nouvelles technologies sont capables de régénérer notre enseignement. Il ne sert à rien encore une fois de pleurer le passage d’une civilisation de l’écrit à une civilisation de l’image (hier) ou de l’écran (aujourd’hui). Cherchons au contraire comment les TICE peuvent développer le goût de la littérature ! Or il se trouve que les modes opératoires qui leur sont propres et dont les adolescents d’aujourd’hui sont si imprégnés sont, en parfaite adéquation avec la théorie dite du « texte du lecteur », parfaitement susceptibles de réinventer le travail sur le texte littéraire. « Sélectionner », « Couper », « Coller », « Rechercher », « Insérer » … sont autant d’invitations à s’approprier un texte en le réécrivant, c’est-à-dire à lire de façon dynamique et inventive. « Faire des liens entre des pages Web » ou bien comme sur ce blog entre des textes et des images ou encore entre des textes et d’autres textes, c’est opérer une mise en relation qui permet d’exercer à la fois sa capacité d’abstraction et sa sensibilité artistique. « Echanger », « mettre en ligne du contenu », n’est-ce pas enfin tout simplement se cultiver ?
Le blog me semble encore correspondre parfaitement à l’objet d’étude concerné : il tente de rendre la poésie vivante. Il convient en effet de revitaliser ce genre littéraire considéré par beaucoup comme lointain parce qu’archaïque ou hermétique : cela suppose d’aller à la rencontre de textes modernes et d’auteurs contemporains, cela implique de faire vivre la poésie en invitant les élèves à en écrire, cela incite le professeur à s’effacer pour que, face à ces textes qui résistent à la compréhension, les élèves goûtent au plaisir de construire eux-mêmes le sens. Il est nécessaire d’ailleurs de bousculer leurs représentations. Trop souvent la poésie est associée par eux à une technique d’écriture : la versification. Trop souvent la poésie est identifiée par eux à un exercice scolaire : la récitation, c’est-à-dire un travail de mémorisation, un rituel de sacralisation, une source même parfois d'humiliation… Et s'il ne s'agissait plus de réciter, de vérifier la capacité à apprendre par cœur et à restituer sans faute un texte, mais plutôt de le dire, de le partager avec un souci de justesse ou de ferveur ou même d'humour ? et s'il ne s'agissait plus uniquement de vénérer les œuvres du patrimoine, mais d'aller chercher la poésie qui se cache en chacun, en libérant la capacité d'expression et en l'enrichissant par la lecture active d'œuvres variées, passées et présentes ? et s'il ne s'agissait plus de sanctionner et de dévaloriser les élèves, mais de susciter et d’exposer leurs talents ?... Autrement dit : et si ce n'était plus aux élèves de réciter, dans la contrainte et parfois la douleur, des textes écrits par d'autres ? et si c'était à d'autres de dire, dans le plaisir et le partage, des textes écrits par les élèves ?... Ce fut un des aboutissements du projet que ce jour où les Premières L de l’Iroise eurent la surprise de voir débarquer dans le lycée les « B.I.P. », les Brigades d’Intervention Poétique : des comédiens venus lire devant eux, en plein centre du CDI, des textes qu’ils avaient écrits et mis en ligne… Au terme de l’expérience menée sur ce blog , chaque élève a pu ainsi se sentir un peu poète, ou du moins considérer que la poésie est, plus qu’un genre littéraire, quelque chose qui habite chacun de nous.
En guise de conclusion, on soulignera combien ce blog démontre, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas contradiction entre des pratiques innovantes et un enseignement exigeant de la littérature : pour donner accès aujourd’hui à une œuvre aussi difficile que les Illuminations, n’y a-t-il pas nécessité de considérer que la pédagogie est à réinventer?
http://voix-iroise.over-blog.com
Jean-Michel Le Baut, Professeur de lettres, BREST
(1) WILLIAM MARX, L’adieu à la littérature – Histoire d’une dévalorisation XVIIIème-XXème siècle, Les Editions de Minuit, 2005
(2) DOMINIQUE MAINGUENEAU, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Belin, 2006
(3) PIERRE BAYARD, Qui a tué Roger Ackroyd ? Editions de Minuit, 1998
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