Horreur 


Communiqué de l’AFEF

 

 

Horreur. Un professeur décapité pour avoir fait son travail : éclairer les consciences et apprendre à penser. Une fois amortie la sidération, avec l’incapacité de penser, s’est installée l’horreur. L’horreur pour ses proches. L’horreur pour nous toutes et tous. Ce saisissement de tout le corps avec ces nuits blanches où tout tourne en boucle. Les faits, un prof traqué à la sortie de son collège le soir des vacances, un meurtre barbare qui ajoute notre profession à une liste déjà longue ; les pourquoi, les comment est-ce possible ? Après l’effroi, la terreur. 

 

Alors, non, l’heure n’est pas à la sérénité. Elle est à l’émotion.

La tristesse nous envahit, tristesse de la compassion pour ceux qui côtoyaient Samuel Paty, tristesse d’une profession ravagée.

L’émotion est là, elle nous déborde, et nous avons besoin de ses débordements pour rester humain·e·s. 

La peur est là, elle va rester et s’ajouter à une anxiété latente que nous connaissons bien dans la profession ; nous savons qu’elle est un des ressorts qui nous tiennent debout, qui nous poussent chaque jour à ne pas faillir dans notre travail pour enseigner et éduquer. Rassurer en restant fermes sur les principes et les apprentissages nous aide à vivre avec notre in-quiétude ; rassurer nous permet d’accueillir les émotions de nos élèves qui les constituent dans leur identité personnelle comme personnes en formation et construction. 

 

La colère surgit. Sécurité, cadrage fort, séparatisme… Les intimidations subies par Samuel Paty, certes prises au sérieux par sa hiérarchie directe, n’auraient-elles pas mérité un dispositif de sécurité ? L’outrage à professeur est-il moins grave que l’outrage à agent de la force publique ? 

À quoi servent les discours sécuritaires s’ils n’assurent pas la sécurité d’un agent de l’État menacé dans l’exercice de son métier ? Un cadrage fort et le discours sur le séparatisme tranquilliseront une partie de la population, mais ne changeront rien à la réalité de l’École. Car l’École est multiple, diverse, multiculturelle. D’aucuns peuvent le regretter et fuir sa mixité, c’est sa réalité, et depuis longtemps.

 

L’École est multiculturelle et elle apprend à penser, à discerner, critiquer. C’est ce qu’a fait Samuel Paty. Et que personne ne dise que ce professeur, peut-être…, il aurait pu…, il n’aurait pas dû… Il a fait son métier. Et avec scrupule et délicatesse. 

Notre métier est de d’amener les élèves à réfléchir, à penser par eux-mêmes, souvent par des voies détournées, la fiction littéraire enracinée dans les questions vives de notre monde, les mots de la poésie ancrés dans les profondeurs de notre humanité, poser une parole sur leurs angoisses et interrogations. 

 

La tragédie qui a ôté la vie à notre collègue a des causes profondes et multiples, dont l’analyse revient à la société et à l’État. Nos réponses dans l’École ne peuvent être que complexes et demandent du temps pour les penser et assurer la pérennité de leur mise en œuvre. Notre responsabilité commune est de nous parler, de construire un espace collectif de parole que tous les acteurs et partenaires de l’École puissent partager. 

En créant un espace collectif de parole, remettons l’École au cœur de la société, pour qu’elle retrouve la dignité et la considération qu’elle mérite.

Soumis par   le 22 Octobre 2020