Jean-Claude Gumberg, adaptateur de contes merveilleux


Dossier Théâtre en classe - Dominique Seghetchian

Description : http://2.bp.blogspot.com/-d79uPAp4cho/US-DmgW1bAI/AAAAAAAAAXA/94V1ifN4--E/s1600/Le+petit+chaperon+uf.gifJean-Claude Grumberg, adaptateur de contes merveilleux

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Le Petit Chaperon Uf, Claude Grumberg, ©Actes Sud, collection Heyoka jeunesse. 2005. Recommandé pour la troisième sur les listes d’ouvrages pour la jeunesse de l’Éducation nationale. La couverture et les illustrations sont de Benjamin Bachelier.

« À l’orée d’un bois, le Petit Chaperon rouge rencontre Wolf, un loup déguisé en caporal. Il lui apprend la triste vérité : elle est Uf et, comme pour tous les Ufs petits et grands, tout ou presque lui est interdit. Jean-Claude Grumberg revisite avec humour le célèbre conte populaire qui, sous sa plume, devient une parabole douce-amère sur l’intolérance. »

Une histoire où la fiction tisse la littérature, l’autobiographie et l’Histoire

Cette quatrième de couverture synthétise les différents aspects de cette adaptation du célèbre conte. Jean-Claude Grumberg propose comme sous-titre « Un conte du bon vieux temps… » ? Formule reprise, également par l’auteur lui-même, avec un point d’interrogation en titre d’un prologue qui répond « Un temps pas si vieux et pas si bon où des loups de noir vêtus pourchassaient les petits-enfants – dont l’auteur faisait partie –, les obligeant à porter du jaune afin d’être facilement reconnaissables. » Dans la biographie placée à la fin du livre, sans doute pour mieux marquer qu’il s’agit d’enfants maltraités par l’Histoire, l’auteur est désigné par son prénom et le lecteur apprend la disparition à Auschwitz-Birkenau de son père et de son grand-père et qu’ « il s’inspire souvent des contes pour enfants, sans doute parce que, pendant ces années de guerre, il [a vécu] caché et sous un faux nom avec son frère ainé, loin de sa mère et de son père… » Culture et expérience sont alors au service d’un projet hautement politique au sens de citoyen qu’il présente dans son prologue : « Connaitre l’histoire, les histoires, la vraie Histoire, à quoi cela sert-il ? Sinon à alerter les chaperons d’aujourd’hui, à avertir les enfants que la liberté de traverser le bois pour porter à sa mère-grand un pot de beurre et une galette n’est jamais définitivement acquise… Cette liberté appartient à chacun et à tous. » mais aussi, loin des discours lénifiants, c’est une invitation à une résistance active contre la « bête immonde » : « les loups eux seront toujours les loups et vous savez comme ils savent dissimuler leur bave et leurs grandes dents sous de belles et trompeuses paroles avant de se mettre à hurler et à mordre ». L’écriture de Jean-Claude Grumberg participe donc d’un projet humaniste on ne peut plus actuel.

Un apologue en faveur de la tolérance

C’est sans doute ce qui a poussé l’Éducation Nationale à recommander cette pièce pour la  classe de troisième. Pourtant les notes d’intention des metteurs en scène indiquent une œuvre accessible au jeune public à partir de 7 ou 8 ans. Au demeurant les progressions accessibles sur Eduscol[1] situe le message de cette pièce en rapport avec le CM2 :

« L’extermination des juifs et des tziganes : un crime contre l’humanité

·À partir de témoignages, en particulier de récits d’enfants, connaître quelques traits de

l’extermination des juifs et des tziganes.

·Savoir donner une définition simple de crime contre l’humanité. »

L’un n’empêche pas l’autre et le propre de la bonne littérature jeunesse, quel qu’en soit le média, est de se prêter à des lectures différentes, et adaptées, selon l’âge du lectorat ou du public.

Description : http://marvelll.fr/wp-content/uploads/Couvertures-Maus.jpgParmi les univers que les metteurs en scène associent au Petit Chaperon Uf, on trouve Brecht et la bande dessinée d’Art Spigelman, Maus[2]. En troisième, c’est plutôt dans le cadre d’un groupement, et pourquoi pas en histoire des arts, que l’étude du Petit Chaperon Uf trouverait sa place.

 

Sur la toile, la variété des mises en scène

http://www.youtube.com/watch?v=otx65_v2W2o présente 8 minutes d’extraits d’une représentation par Foxcompagniebobigny. Cette vidéo peut fournir un intéressant support de travail pour la représentation (spectacle à partir de 8 ans), à croiser par exemple avec les notes d’intention d’autres compagnies, présentées ci-dessous. Il est possible aussi d’étudier la représentation du Petit Chaperon Uf au regard des illustrations de Benjamin Bachelier, des affiches, des photos extraites de mises en scènes, de même qu’il est possible de rapprocher celles-ci des illustrations de différentes éditions du Petit Chaperon rouge. Un autre intérêt de cette captation vidéo en cours de représentation est l’enregistrement de réactions des enfants : que signifie « être spectateur » ?

http://www.theatresendracenie.com/educ_09_10/DP/DPchaperonuf.pdf présente le dossier pédagogique par lequel la Compagnie Pipo (Draguignan) accompagne mise en scène de Sylvie Orcier (metteure en scène, comédienne et scénographe). « Je souhaite rendre compte des duels de l'enfant face aux monstres, de ses traumatismes dans l'apprentissage. Je veux montrer la violence faite par l’adulte qui lui impose une réalité que l’enfant ne veut pas voir. » écrit-elle. Au service de ce projet, un décor, des masques…

Parmi les pistes de travail suggérées, celle sur les voix, les ruptures de ton et de rythme peut être appuyée sur la vidéo précédente. On trouve également le thème de la Deuxième Guerre mondiale et celui de l’adaptation des contes.

Enfin on notera l’étude de Guillemette de Grissac, alors formatrice de l’IUFM de la Réunion. Après un retour sur le sens du conte du Petit Chaperon rouge à travers ses deux fins, autour de la notion de conte d’avertissement, elle étudie comment Jean-Claude Grumberg met en place une écriture distanciée de l’histoire grâce à un loup ridicule et clownesque et aux métamorphose du petit chaperon rouge. Il met en scène des figures féminines modernes qui ont perdu la naïveté qui faisait leur fragilité : le PCRpetit chaperon cherche à comprendre, la grand-mère fait de la résistance, c’est le petit chaperon qui arrête le jeu : deus ex-machina qui enraye la mécanique historique totalitaire, il rappelle qu’on est au théâtre et discute des fins possibles, en tout cas Wolf doit le reconnaitre : « On ne joue plus. », « La pièce est finie » (p. 42).

Guillemette de Grissac parle de contre utopie à propos du Petit Chaperon Uf : papiers et sans papiers, militaire qui obéit aux ordres sans réfléchir, atteintes aux droits de l’homme inscrites dans la loi, telles sont quelques-unes des caractéristiques d’un état totalitaire contre lesquelles Jean-Claude Grumberg entend mettre en garde le jeune public (et les adultes qui les accompagnent).

A cela il faut ajouter la présence d’une biblio- et d’une sitographie ainsi que d’une chronologie du Petit Chaperon rouge où manque celui de Joël Pommerat.

http://www.cndp.fr/crdp-reims/fileadmin/documents/cddp10/Chaperon_rouge/Analyse-Grumberg-petit-chaperon_uf.pdf reprend partiellement l’analyse de Guillemette Grissac mais complète les pistes de travail en classe.

Description : https://sites.google.com/site/associationetincelles/_/rsrc/1303383513330/creations-1/saison-2009-2010/Visuel.jpg?height=400&width=268http://www.lestroiscoups.com/article-le-petit-chaperon-uf-de-jean-claude-grumberg-critique-de-laura-plas-le-lucernaire-a-paris-67120247.html  présente une autre analyse intéressante, signée Laura Plas, autour d’un spectacle de la Cie Etincelles, monté au Lucernaire.

Elle explique comment le passage du conte à la fable permet de parler de l’abominable en donnant à penser sans traumatiser ni ennuyer (ce qui est le défi de toute pédagogie) et présente une représentation qui donne une résonnance particulière au texte : par le décor, le choix des acteurs et le jeu sur la langue avec une réflexion sur les accents et les jeux de mots…

http://www.dsn.asso.fr/jp/action/uf/images/dossier.pdf La Scène nationale de Dieppe offre dans un bandeau à gauche du site, un accès à des versions du conte : Perrault, Grimm, Roald Dahl, mais aussi des versions régionales (Nivernais, Touraine, Velay intéressantes pour travailler les variations régionales de la langue – je me porte garante du tourangeau –DS ) et une version chinoise où c’est la vieille grand-mère qui prend la route pour aller nourrir ses trois petites-filles laissées seules par leurs parents et doit affronter le loup.

Cette scène présente les choix artistiques de la compagnie pUnChiSnOtdeAd et de Cyril Bourgois qui présentent un travail avec marionnettes, incrustations vidéo, musique électro-acoustique…

La musique comme langage universel (Guillemette de Grissac) ?

La variété et la richesse des interprétations du Petit Chaperon Uf se manifeste dans la variété des choix musicaux : de la variété des musiques juives et roumaines à une musique électro-acoustique. Cette opportunité est ouverte par le texte même de Grumberg : « Le policier : Bien c’est pas terrible comme fin… On pourrait faire au moins un peu de musique. // Wolf : Quel genre de musique ? // Le policier : De la musique Uf, les gens adorent ça. // Petit chaperon : D’accord mais pas trop triste hein ? // Le policier : Dde la musique Uf gaie alors ? // Petit chaperon : Voilà. // Didascalie : Le policier sort son instrument de musique et joue de la musique Uf gaie tandis que le loup et le Petit chaperon sortent chacun de son côté ou mieux restent en scène et jouent également de la musique Uf pas trop triste. » (p. 43).

 

Description : http://www.actes-sud.fr/sites/default/files/imagecache/c_visuel_cat_w120px/couv_jpg/9782742763191.jpg

Mange ta main, Jean-Claude Grumberg, ©Actes Sud, collection Heyoka jeunesse. 2006. Recommandé pour la sixième sur les listes d’ouvrages pour la jeunesse de l’Éducation nationale. La couverture et les illustrations sont de Marjorie Pourchet.

Couples en perdition et enfants maltraités

La « biographie » de l’auteur, placée en fin du livre, nous apprend qu’il y a un rapport entre le prénom de la mère de l’auteur (à laquelle la pièce est dédicacée) et le nom d’un des principaux personnages : Madame Zonzon. Il nous apprend aussi que le titre trouve son origine dans les expressions que celle-ci utilisait pour éduquer ses enfants à faire face avec stoïcisme aux aléas et aux affres de la pauvreté. Mange ta main aurait ainsi à voir avec la faim, le désir inassouvi : « quand mon frère ou moi pleurnichions ‘Maman j’ai faim’, elle répliquait ‘Mange ta main et garde l’autre pour demain’. Maman revient pauvre orphelin nous permet de comprendre ce que pouvait être la frustration de l’enfant ainsi privé d’amour ou du moins de l’expression de l’amour. On ne s’étonnera pas du peu de cas que ces couples en proie à mille difficultés fassent peu de cas des enfants et que ceux-ci soient les premières victimes de leurs petitesses.

Mange ta main se déroule dans le bureau de Madame Zonzon, racommodeuse de couples. Elle y reçoit le couple Poucet. Lui, beaucoup plus petit que son épouse, est colérique et dévoré par la jalousie sociale ; elle, la plus jeune des filles Logre, lui reproche la cicatrice qui l’a rendue difforme, la perte de ses sœurs, de sa famille : « Poucet : Et voilà, et voilà, le passé, toujours le passé ! Sa cicatrice, ses petites sœurs, son petit papa, sa petite maman, et que je te ressasse, que je te le ressasse, et que je te le pommade à longueur de nuit et de jour ! Nous on avait rien à manger, rien de chez moins que rien. Sept enfants, sept garçons madame Zonzon, et rien à bouffer. Papa bûcheron, maman bûcheronne… » (p. 19). Et comme bon nombre d’enfants victimes de leur famille, chacun de défendre ses parents.

Contes détournés et théâtre dans le théâtre

On aura compris que Mange ta main est un conte détourné et que « l’infâme Perlo » (par exemple p. 47) cache Charles Perrault. Madame Zonzon réussit son « travail » de raccommodeuse avec le couple Poucet : « Tous les deux sortent comme ils peuvent, bras dessus bras dessous » (didascalie de la p. 46). Mais la pièce va déraper et Madame Zonzon va d’abord rembarrer Monsieur Bleu : « L’homme : Je ne sais que dire sinon que la curiosité féminine est un bien vilain défaut, surtout pour les femmes. » (la sottise de la réplique souligne à merveille comment la langue – à travers de la lexicalisation d’un groupe nominal – entérine les préjugés) // « Zonzon : Ouais, écoutez ça parait logique pour les six dernières mais pour la première ? ». Une rupture se produit alors, Madame Zonzon cesse de jouer le jeu : « C’est pas le texte ! C’est pas du tout le texte ! », crie en coulisse une voix féminine outragée (p. 55) tandis que Zonzon arrache la barbe postiche de Poucet qui bat en retraite : « Non non, moi je sors. Elle m’a humilié. Elle m’a arraché la barbe devant tout le monde. Je sors et je vais de ce pas dire à Perlo que son histoire ne tient pas la route » (p. 54). Il avait tenté de remplacer au pied levé un autre acteur malade, Barbe.

C’est ensuite Peau d’âne qui se verra opposer un ferme barrage téléphonique : « Et dites à Perlo qu’il cesse de m’envoyer des clients, mon carnet de rendez-vous est plein jusqu’à la saint Glinglin. » (p. 56). « [U]n homme encore jeune s’efforçant malgré sa petite taille de paraitre charmant » et « une femme encore jeune également, mais fagotée comme l’as de pique » (p. 57) réussiront bien à forcer sa porte mais elle parviendra à jeter dehors une Cendrillon obsédée par le ménage et un prince charmant dont celle-ci déclare : « Des enfants ? Pensez-vous ! Il ne cherche qu’à m’enfiler sa pantoufle, ce n’est pas ainsi qu’on fait des enfants ! » (p. 58).

Doit-on voir dans un tel dérapage qui justifie le sous-titre « Un conte pour enfants précoces ou adultes attardés » et dans cette intrusion virulente du théâtre dans le théâtre un souvenir de l’adaptation que Jean-Claude Grumbert avait réalisée en 1988 de la pièce très déjantée de Ludwig Tieck, Le Chat botté ?

Faut-il voir un souvenir de cette pièce dans la révolte du personnage qui ne joue plus le jeu et veut se substituer à l’auteur, dans ce théâtre qui casse l’illusion et se dévoile dans l’adresse aux spectateurs : « La femme : Chers spectateurs on jouera la vraie fin demain soir. // L’homme : En attendant bonsoir et dodo. // Zonzon (continuant à écrire dans le noir) Non non ! J’ai une idée ! J’ai une idée originale ! J’ai une idée ! Rallumez, rallumez par pitié ! // Voix homme : Vous pouvez rallumer vos portables. Tchao. // Zonzon : Il était une fois, il était une fois, merde j’ai oublié ! » (Noir complet, puis silence et saluts s’il y a lieu) » (p. 60).

Sur la toile

http://www.youtube.com/watch?v=D34LzuiDyHQ : la bande annonce du spectacle

http://www.theatremassalia.com/dyn/spip.php?article2461  présentation d’une mise en scène par la compagnie pUnChiSnOtdeAd, diaporama et quelques éléments sur le travail de marionnettes.

 

Le Chat botté – Ludwig Tieck (en 1797) – adaptation de Jean-Claude Grumberg et mise en scène de Jean-Claude Penchenat (1988) ©Actes Sud – Papiers, 1988. (épuisé)

C’est à l’auteur de 1797 que la pièce doit sa structure : une féérie en trois actes, reprenant le conte de Perrault, encadrés par un prologue et un épilogue qui, ainsi que les intermèdes entre les actes, mettent en scène le public qui assiste à ce théâtre dans le théâtre.

De son travail d’adaptation de cette pièce foisonnante[3], Jean-Claude Grumberg a peut-être retenu la richesse créatrice de l’abolition du quatrième mur, celui qui sépare la scène et la salle. Toujours est-il qu’il en tire des effets variés, tant dans Le Petit Chaperon Uf que dans Mange ta main.

 



[2]Maus, L’Intégrale, Art Spiegelman(Dessinateur), Judith Ertel(Traduction) - Bande dessinée (broché). Paru en 11/1998 ©Flammarion, 1998 ; à signaler l’étude qui en est faite par P. A. DELANNOY, Maus d’Art Spiegelman, bande dessinée et Shoah ©L’Harmattan, coll. Champs visuels, 2002. Le travail sur les choix iconiques, le symbolisme des animaux, peut éclairer le travail sur la scénographie, les masques…

[3] On peut trouver en ligne des extrait d’une analyse de ce travail par Florence Godeau (Université Lyon III) http://books.google.fr/books?id=daE5RnY3f1IC&pg=PA211&lpg=PA211&dq=le+chat+bott%C3%A9+grumberg&source=bl&ots=w1TdgA2qO7&sig=vQIhby1xm1qhMiGKSUX3EpYvQow&hl=fr&sa=X&ei=yFy0U5yIKMPO0AWMloDYDQ&ved=0CDUQ6AEwAw#v=onepage&q=le%20chat%20bott%C3%A9%20grumberg&f=false . Selon elle on a là un cas particulier d’adaptation : le passage d’un genre à l’autre, du conte au théâtre, a été opéré en 1797 par Ludwig Tieck, Grumberg a quant à lui procédé à une réécriture au sens de Genette « qui entretient avec le texte source une relation complice, à la fois de fidélité et de libre inventivité » (p. 212), il a « travaillé en homme de théâtre soucieux de faire revivre sur la scène un texte qu’il avait adoré, mais qu’il voulait aussi s’approprier, […] de sorte que l’esprit plus que la lettre en pût être transmis tant au metteur en scène qu’aux acteurs du Théâtre du Campagnol. »

 

 

Soumis par   le 04 Juillet 2014