L’école publique restera-t-elle un bien commun ?


Appel aux candidat·e·s à la présidentielle

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L’école publique restera-t-elle un bien commun ?

Pour tous un projet d’émancipation, de liberté, de vie choisie 

 

Nous voici en campagne électorale, et l’école, l’éducation reviennent timidement dans les débats. Il y aura fallu la manifestation du 13 janvier, et le désarroi des parents, valse des protocoles sanitaires et organisation du lycée obligent ! Mais de quoi parle-t-on ? L’élection présidentielle nécessite que l’on décode les discours et éléments de langage trompeurs, et que l’on affirme de vrais projets de société et avec eux des engagements dans les services publics, concrets, chiffrés.

 

(Lire aussi l'interpellation des candidat·e·s avec des questions précises)


De quoi parlaient-ils donc dans les manifs ? 

Le 13 janvier, enseignants, familles, acteurs de l’éducation se sont massivement retrouvés dans la rue pour protester. De quoi parlaient-ils ? Certes des ordres et contre-ordres, des improvisations ineptes, à la dernière minute, d’un ministre en vacances quand la maison commune brûle, des masques qu’on mégotait, des classes non ventilées, de la santé des élèves, de leurs familles, des éducateurs. Bien sûr, les enseignants comparaient leurs salaires lamentables au regard de leurs collègues des autres pays européens. Les plus jeunes faisaient des additions, calculaient la note d’essence pour aller travailler, souvent très loin, y ajoutaient le coût de la nourrice, disaient qu’à la fin du mois, il ne restait rien. Pas question d’acheter un livre à 23 euros.

 

Mais l’essentiel, chemin faisant, n’était plus là. Les enseignants disaient à leurs concitoyens leur grande lassitude devant l’incessante valse des injonctions : livret rouge ou vert du ministre, évaluations pensées d’en haut, nouvelles méthodes à appliquer avec leur mode d’emploi joint. Ils commentaient « la réforme » du ministre, celle du lycée, ses programmes pléthoriques infaisables, ses options précoces, qui orientent les choix et compartimentent l’intelligence. Ils disaient le temps qu’ils n’avaient plus pour développer la curiosité, faire lire, faire discuter les élèves, lancer des projets pour donner du sens aux apprentissages techniques, scientifiques ; ils disaient l’impasse d’une conception linéaire, cumulative, des savoirs « dits » fondamentaux, français et maths, des savoirs rabougris, décharnés, coupés de la culture. Ils disaient aussi combien ils se sentaient dépossédés de leur métier, de leurs responsabilités de concepteurs, ajusteurs de leurs pratiques, des valeurs pour lesquels ils s’étaient engagés. Certains, certaines disaient que s’ils le pouvaient, ils le quitteraient. Plus de sens ! Une grande lassitude, une vraie désespérance. 

 


L’école, centre de tri

Alors oui, comme pour l’hôpital, le mal vient de loin et a pris une très inquiétante tournure pendant ce quinquennat. 

L’école et l’université sont prises dans un combat violent qui pervertit leurs valeurs fondamentales. La vision néo-libérale qui sévit plus ou moins partout en Europe est largement mise en œuvre depuis cinq ans déjà par le gouvernement. Trier, marchandiser, économiser, privatiser en sont les finalités principales. Il faut en comprendre les mécanismes principaux et la logique qui conduit à individualiser, mettre en concurrence constamment les élèves. Le chantier numéro 1 de notre ministre depuis son arrivée est en effet l’obsession du tri par les évaluations. Niveau après niveau, par toutes sortes de subterfuges, on sélectionne, on trie les enfants des classes populaires mais aussi moyennes, en pourchassant tous « leurs manques », « leurs incompétences ». Dès la maternelle ils sont étiquetés, séparés en groupes de niveau, assignés à une place le plus tôt possible. Certains ne s’en remettent jamais. Au lycée, sans la compréhension fine des enjeux du choix des options, les voici à nouveau relégués et bloqués pour Parcoursup. Là où les enfants de familles aisées vont redorer leur bulletin de notes dans des officines privées, 48% seulement des bacheliers issus des classes populaires entrent à l’université, puis s’arrêtent avant le master, inaccessible dans une université exsangue par manque de crédits, de profs, de place.

 

Économiser l’argent public, à l’école comme à l’hôpital : une maladie chronique !  Pourquoi une gestion saine des finances publiques implique-t-elle de casser le modèle social de nos institutions ? Dans un moment de pénurie intense de personnels, notre ministre a tenu à rendre une part de son budget ! Les économies sont la règle, sur les salaires, sur les statuts « vacataires » ou « contrats d’insertion », sur une formation initiale réduite à peau de chagrin et une formation continue dont aucune grande entreprise ne se satisferait. Si bien que les postes de professeurs mis au concours ne sont même pas remplis, comment un tel métier pourrait-il être attractif ? 

Quant à la privatisation de multiples services, outils, didacticiels, elle offre l’opportunité de dividendes juteux : l’école est discrètement « colonisée » par des « solutions » technologiques, souvent intéressées par la mécanisation des apprentissages, l'évaluation des élèves, la gouvernance du système, la captation d'utilisateurs et de données... plutôt que de mettre en œuvre des pédagogies actives, construire de réelles communautés de travail, déployer des logiciels libres...

 

La suite va de soi : les finalités de l’école ne sont plus d’éduquer. Elles sont d’orienter par l’échec les enfants des classes populaires vers des emplois qu’ils croiront avoir choisi. De repérer, diriger, subventionner et rémunérer les futurs premiers de cordée pour faire des études dans les « grandes écoles ». Pas la peine d’élargir la culture des plus modestes. On restreint en lycée professionnel les enseignements littéraires et artistiques. Pas besoin qu’ils aient de l’ambition, qu’ils se mettent à réfléchir, rêver, imaginer ! Inutile pour les métiers qu’ils feront ! Voire dangereux…


Une gouvernance autocratique

Un tel libéralisme agressif en matière de projet éducatif s’est appuyé sur des méthodes qui le sont tout autant, une gouvernance autocratique. Décret après décret, tout au long de ce quinquennat le ministre de l’Éducation nationale a transgressé de manière unilatérale et martiale les voies institutionnelles traditionnelles sans jamais être inquiété. Et pourtant nous l’affirmons :

  • Non, un ministre n’a pas le droit d’ordonner de changer les programmes selon sa seule volonté et les conseils de quelques technocrates ou chercheurs affidés. 
  • Non, une réforme telle que celle du baccalauréat dont on aperçoit aujourd’hui les pires dysfonctionnements, n’a pas été discutée. 
  • Non, Parcoursup n’a été ni discuté, ni voté au parlement avant d’être mis en place dans le secret de ses algorithmes de tri. 
  • Oui, les syndicats sont maintenant interdits de siéger en commissions paritaires pour surveiller, contrôler les nominations. 
  • Oui, certaines associations professionnelles ont été privées de subventions. 
  • Oui, le ministre a subventionné grassement un syndicat lycéen. C’est la loi du Prince. 

 

Une autre méthode tout aussi redoutable et efficiente est la dissuasion. Elle consiste à faire régner les menaces, les pressions, humilier, déresponsabiliser les enseignants en les réduisant à un simple statut d’exécutants et non de concepteurs de leurs pratiques. En leur déniant le droit de donner en public leur point de vue sur l’école et ses dysfonctionnements. En les menaçant, les harcelant, les déplaçant (rappelons le taux de suicides, de démissions, de burn out, déjà élevé et qui ne cesse d’augmenter). 

 

Enfin, dernière stratégie, certes un peu usée après cinq ans : l’occupation constante des médias, un vaste plan de communication qui tient de l’art stratégique de l’intox et du camouflage, du discours détourné sans vergogne. Ainsi l’opération CP dédoublés a été en fait pensée comme une magnifique opération de communication pour séduire les familles et les enseignants concernés. La réalité qu’on commence à découvrir par des premières études est moins brillante : pas d’améliorations sensibles des résultats en lecture en CE1. Les chercheurs l’avaient annoncé : le dédoublement des classes de CP, expérimenté sous Sarkozy, avait été abandonné, couteux en emplois il n’avait pas montré de progrès sensibles.  Échec cuisant d’une opération montée par le Directeur général de l’enseignement scolaire de l’époque, Jean-Michel Blanquer.

 

Le projet éducatif et de société à opposer 

C’est un tout autre projet éducatif qu’il faut opposer à cette gestion néo-libérale et autoritaire, dangereuse et mortifère pour l’avenir de notre pays :

  • Un projet, issu de notre histoire scolaire, politique, de ses valeurs républicaines, ses réussites et ses erreurs payées parfois très cher. 
  • Un projet nourri de plus de cinquante ans de travaux universitaires dans tous les domaines de l’éducation, enrichi de toute l’histoire des luttes syndicales, associatives, des projets d’établissement audacieux, des expérimentations territoriales réussies, des partenariats culturels. 
  • Un projet de l’émancipation, de l’égalité, de la fraternité, d’un haut niveau de culture pour le plus grand nombre, par des mesures précises qui permettront de réenchanter l’école. 

Cet autre projet est possible, il implique une autre gouvernance démocratique de l’éducation, il impose de faire face à des défis nouveaux. 

 

Pour l’école : apprendre en urgence à tous les élèves à penser par eux-mêmes, non à répéter, apprendre à accepter la mixité culturelle, religieuse, les différences, se préparer à affronter des catastrophes climatiques et des défis économiques, apprendre à consommer autrement ; renverser leur rapport au vivant, les aider à sortir de l’individualisme, en faire des citoyens engagés, responsables de leur pays mais aussi de la planète tout entière ; les préparer  à comprendre « la force obscure » de l’information tous azimuts, à explorer, sélectionner, exploiter, créer, publier, à participer de façon éclairée, active et critique, à des espaces numériques où se réinventent les apprentissages, les écritures, les savoirs, les sociabilités ; les outiller pour faire face aux évolutions numériques et technologiques en perpétuel bouillonnement.

 

Pour la société : briser la ghettoïsation de certaines zones urbanisées en instituant une mixité entre quartiers et établissements scolaires des villes. Repenser la place d’une école équitable, inclusive, respectueuse des différences et diversités. Fixer comme priorité de former une génération nouvelle hautement éduquée inventive, cultivée dans des domaines très larges, et qui ait appris à réfléchir en collectif pour résoudre les problèmes technologiques, sociétaux, macro-économiques, géopolitiques, sanitaires, climatiques tous urgents.

 

La tâche est rude, et la responsabilité énorme de repenser l’école et former tous ses acteurs. Nous y arriverons à la condition d’ouvrir un grand chantier consultatif, long, large, ouvert, doté de fonctionnements démocratiques, et sorti du temps politique. 

 

Des principes et valeurs à réaffirmer dans leur mise en œuvre. 

Le projet éducatif novateur que nous défendons s’appuie sur un certain nombre de principes, de convictions, de recherches, de valeurs. Ils sont en nombre restreint, apparaissent comme des évidences, des truismes, et pourtant !

  • Oui, les possibilités des élèves sont sousexploitées à l’école. Ils sont selon la formule du GFEN : « tous capables ». Encore faut-il trouver le chemin pour les accompagner !
  • Oui, l’intelligence collective nourrit l’intelligence singulière et viceversa.
  • Oui, l’hétérogénéité des élèves est un avantage à condition d’apprendre à la gérer et les classes de niveaux un obstacle y compris pour les meilleurs.
  • Oui, on apprend plus vite, plus durablement et profondément quand on s’attaque à des problèmes complexes qui demandent de croiser les connaissances, de faire converger le penser, le faire, le dire, l’écrire, le dessiner, le raisonner, le ressentir. L’intuition, la créativité sont alors au rendezvous. Bien sûr à plusieurs, c’est encore mieux. 
  • Oui, on apprend aussi en s’amusant. 
  • Oui, avant le rabâchage phonologique en petite section de maternelle, il importe de développer la socialisation, le goût et l’amitié pour l’autre, le contact des copains qui aide à développer le langage. C’est à ce prix qu’on développe les premiers principes du vivre ensemble, la solidarité nécessaire à l’inclusion, l’acceptation de la différence. 

 

Tous ces principes, on le sait, faute de formation, sont très inégalement mis en œuvre tant ils rencontrent de résistances. Et pourtant, ils fonctionnent, suscitent des passions, des curiosités nouvelles. Les élèves adhèrent, acquièrent du pouvoir d’agir, gèrent leurs connaissances, leur projet d’études. Et les classes sont apaisées.

 

Une autre école est possible. Mais à quel prix ? À quelles conditions premières ? 

Nous y voilà ! Nous sommes en période électorale et nous nous adressons aux candidats. Qu’attendons-nous ? Bien sûr en accord avec toutes les grandes revendications syndicales, nous demandons des moyens, des investissements précis.

Mais plus encore de l’écoute, l’ouverture d’un grand chantier de réflexion, du débat, de la reconnaissance, l’engagement d’une vraie gouvernance démocratique et respectueuse à tous les étages de l’institution. 

Nous demandons un souffle puissant, pas de petits pansements de surface. Nous avons besoin d’être soutenus pour inventer l’école d’aujourd’hui et de demain, non par des phrases lénifiantes, mais par un projet politique concret, des mesures précises qui permettent la mise en œuvre des principes et valeurs que nous défendons. Ce sont celles de la République, du bien commun irremplaçable et fondateur de paix sociale qu’est l’école.

 

Les urgences ? Faut-il les lister ? 

  • Bien sûr, face à l’inflation galopante, en premier lieu augmenter des salaires, et plus encore rétablir la sérénité, la démocratie dans la gestion et direction des établissements. 
  • Très vite aussi ouvrir des espaces et du temps pour travailler en équipe, pour penser ensemble, se former, inventer de nouvelles pratiques, partager des projets, résoudre ensemble les problèmes ou conflits.
  • Repenser l’attractivité du métier enseignant, recruter en urgence des personnels, les accompagner, les former, leur faciliter l’intégration. Pré-recruter des étudiants futurs enseignants dans des Masters professionnels des métiers de l’éducation en leur donnant comme dans les grandes écoles des bourses d’études et non des obligations de remplacement. Favoriser ainsi le retour d’enseignant·e·s issu·e·s des milieux et cultures populaires. 
  • Rouvrir un chantier, celui des programmes, pas pour les réécrire une fois de plus, mais pour mettre du jeu entre les disciplines et donner du sens aux savoirs. 
  • Et, levier premier de l’évolution des métiers de l’éducation :  ouvrir une réflexion approfondie sur la formation initiale et continue. Les deux sont en en situation de presque mort cérébrale.  

 

 

Signataires

Collectifs :

  • AFEF (Association française pour l’enseignement du français)
  • APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public)
  • GFEN (Groupement français d’éducation nouvelle)
  • ICEM (Institut coopératif de l’école moderne – Pédagogie Freinet)
  • Questions de classes (collectif d’acteurs de l’éducation)

 

Individuels : 

  • Dominique Bucheton, vice-présidente de l'AFEF
  • Viviane Youx, présidente de l'AFEF
  • Pascale Henquinez, ICEM-pédagogie Freinet
  • Thierry Anselmino, professeur des écoles, ICEM38
  • Anne-Marie Viguès, INSPE Guyane
  • Françoise Morel, Enseignante 34
  • Emmanuelle Fort, Professeure des écoles
  • Jeanne Haugoubart (ex Dion), Gfen et Mouvement de la Paix
  • Richard Etienne, Université Paul Valéry Montpellier 3, LIRDEF
  • Dominique Glaymann, professeur émérite de Sociologie, université d’Evry, Paris-Saclay
  • Corinne Glaymann, IEN honoraire ET-EG Lettres-Histoire-Geographie

     

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Soumis par   le 01 Mars 2022