Quelques réactions de collègues à la question : Que pensez-vous du maintien de l’oral de français pour l’EAF en première ? (Académies de Créteil et Caen)
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Evidemment c'est absurde. On ne peut pas préparer les élèves, ils font les explications tout seuls, rien à voir avec un travail en classe. Je ne comprends pas ce maintien. C'est très stressant pour les élèves.
Je suis pour ma part frappée par l'inquiétude de mes élèves de première : à chaque cours en ligne, ce sont des questions auxquelles je ne peux pas répondre. Exemples tout frais d'hier :
- Mais pourquoi cette épreuve seulement ? C'est absurde.
- Dans quel lycée devrons-nous aller, on va être mélangés avec des gens qui viennent de loin ?
- Et si cette épreuve nous met en danger ?
- Mais est-ce que ça vaut vraiment la peine de la préparer si finalement elle a des chances d'être annulée ?
Cette dernière question met d'ailleurs en péril pas mal le sérieux de la préparation : une partie de mes élèves voyant que le retour au lycée est repoussé se dit que ces oraux ne vont pas tenir et donc qu'ils ne voient pas trop pourquoi ils se feraient suer à les préparer. Disons que ceux qui les préparent bien dans ma classe sont ceux qui ont toujours été bien impliqués. Par ailleurs, avec le confinement, je vois sur la page Facebook de la réforme en lettres se multiplier les explications toutes faites par les profs angoissés que les élèves n'ont qu'à répéter comme des perroquets. On me dira que c'était déjà ça avant le confinement mais là c'est encore pire. Les profs font des PowerPoint, des vidéos, c'est super joli, mais super descendant, avec l'élève en oie gavée bombardé de contenus. J'ai l'une de mes meilleures élèves qui est en train de craquer parce que dans les autres matières c'est pareil, elle se dit ensevelie sous les PDF. Quel est l'intérêt de ce type de travail ? La tension incertaine liée à la préparation de cette épreuve est nocive pour la santé mentale de nos élèves.
1/ Les annonces du lundi 13 avril quant au retour à l'école lundi 11 mai m'ont laissée depuis dans la plus grande confusion. C’est la raison pour laquelle il me semble encore opportun de faire part de ces remarques :
- Le retour progressif à l’école relèverait du souci de justice sociale : comment ne pas saisir la dimension fallacieuse de l’argument de Monsieur Macron ? Comment ne pas entrevoir ce que cache ce paravent : la préoccupation prioritaire de la reprise économique. Pour aller retravailler, il faut faire garder les enfants. Il faut donc que l’école reprenne…
- Pourquoi alors, afin d’alléger la tâche administrative et logistique et la prise de risque sanitaire, ne pas demander seulement aux parents ne pouvant faire du télétravail et n’ayant pas d’autre choix que de rejoindre leur lieu de travail, de confier leurs enfants aux écoles ? Pourquoi ne pas limiter la reprise scolaire à ces parents et seulement pour des enfants en maternelle, primaire et au collège ? Cela aurait atténué le risque numérique. Les lycéens peuvent « se garder » et travailler pour bon nombre en autonomie, via des outils à présent mis en place et opérationnels, d’autant que le choix du contrôle continu a aplani les difficultés et angoisses des élèves.
- Comment alors (re)mettre en marche... une « usine à gaz » pour un mois et demi seulement alors même que la question des examens était (quasi) réglée (issue apaisante pour tous) en passant en contrôle continu et les outils de travail à distance enfin opérationnels (et les décrocheurs pas si nombreux : finalement, je peux dire que les décrocheurs... avaient déjà décroché, avant l'arrêt des cours...) ?
- Comment respecter les distances sociales et les barrières sanitaires ?! Dans le hall d'entrée ? les couloirs étroits et bondés ?
- Comment éduquer les élèves, avant la reprise, à cette nouvelle vie sociale faite de gestes barrières ? Le jour même... par voie d’affichages dans les couloirs ? Sur chaque porte de cours avant d’entrer en salle de classe ?
- Comment se parer, se prémunir contre le virus en touchant 1/ la poignée de porte 2/ le bureau 3/ le clavier d'ordinateur 4/ les boutons de marche de l'écran et de la tour 5/ la brosse pour le tableau ? 6/ les photocopies et copies d'élèves 7/ en stagnant dans une salle confinée ?
- Comment matérialiser au sol la distance que les élèves devront respecter aux pauses par rapport au bureau du professeur à qui les élèves ont toujours une question à poser ?
- Comment parler derrière... un masque ? Etre audible ? Et quel(s) masque(s) ? pendant des heures ? En changer au bout de 4 heures sinon, d’après le Journal de la Santé sur la 5, il n’est plus valable en raison de l’humidité ? En pic semi-caniculaire en juin ?
- Comment passer de gestes précautionneux pour la moindre course dehors actuellement à une reprise insouciante, l'appréhension voire la "psychose" du virus ayant fait son chemin dans tous les esprits ?
Ce sont toutes ces questions auxquelles nous sommes tous confrontés...
2/ Une autre question me taraude, se mêlant aussi à un sentiment d'injustice : pourquoi donc maintenir l'oral du bac de français ?
A l'aune du principe d'équité et de justice sociale, cette épreuve est parfaitement inéquitable : nos élèves, déjà très fragiles, de grands fragiles, sont quasi livrés à eux-mêmes depuis l'arrêt des cours, les cours de français à distance ne suffisent pas et ont relevé jusque-là du renforcement des acquis préconisé par les inspecteurs eux-mêmes. Or pour mener le programme jusqu'à 15 textes, il faut encore avancer et apprendre. Cheminer alors que nous sommes chacun sur un chemin qui ne se croise plus en chair et en os, de vive voix...
Concrètement j'ai « attaqué », au lendemain du confinement, le théâtre dans mes 2 classes de 1ère... sans que jamais la plupart de mes élèves n'aient mis le pied dans une salle de spectacle (l'actualité empêchera définitivement un tel projet). Je travaille Beckett, "Oh les beaux jours" (eh oui... quelle résonance...), pièce au programme de la réforme du bac de français, texte choisi, ardu, aride, magnifique mais assez désespérant puisqu'il s'agit d'une femme... confinée et enterrée... jusqu'au cou, qui voit le temps s'écouler très lentement... Comment diable affronter toutes ces difficultés ?
Les élèves de 1ères, seule cohorte d'élèves en France ayant déjà subi les épreuves d'E3C et fait les frais de la réforme, devraient aussi subir cet oral de français préparé seuls en partie, et dans quelles conditions : quelles conditions familiales ? quelle anxiété ? maladie de proches ? difficultés de connexion ? difficultés économiques ? On ne sait pas.
Seuls ces élèves de 1ères auraient à affronter une épreuve, alors que tous les autres élèves français attendent patiemment la fin de l'année en fournissant un travail sans le stress surnuméraire d'un examen terminal... ? Sans compter les parents ayant recours à des cours particuliers par Internet, ce dont nos élèves de zones défavorisées ne peuvent bénéficier, on est loin, bien loin du principe d'égalité et de justice sociale tant exhibé.
Je ne parle pas, pour mes élèves de Bagnolet, dans un lycée classé « Zone prévention violence » ou à ce jour « Politique de la ville », de la déperdition, du décrochage, effarant : élèves qui ne sont pas même là pour mon heure de français quotidienne via la classe du CNED... soit 9 à 10 voire 12 élèves grand maximum sur une classe de 23 élèves au total : à peine la moitié des classes ! La situation est identique voire plus accusée pour mes collègues de lettres. Si mes élèves n’assistent pas au cours de français pour lequel je me démène, je doute qu’ils soient en train de réviser les textes de français pour l’oral... Cette remarque vaut pour mes deux classes de Première générale.
Je ne parle même pas des modalités de mise en œuvre sanitaires de cette épreuve de bac orale(manipuler des papiers vecteurs de potentielle contagion tels que la liste d’émargement ou le bordereau de l’épreuve, vérifier les textes dans le porte-documents en respectant les « gestes barrières », et, pour le candidat, parler derrière un masque... puis pour le professeur, engager un dialogue derrière ce masque, en pleine chaleur estivale, dans la même salle, 8 heures par jour...)
3/ Par ailleurs, enfin, alors même que la décision est actée depuis belle lurette sans tenir compte de cette actualité, et parue au BO, pourquoi donc tenir à changer une partie du programme de français alors qu’en cette année de suspension des cours en mars, nous n’aurons même pas la possibilité de couvrir tous les pans des nouveaux programmes ? Pourquoi donc alors s’échiner (comme je l’ai fait) à rendre accessible, à distance, des œuvres intenses et ardues comme Oh les beaux jours... si distantes en elles-mêmes des élèves... ? Tout ça... pour... si peu...
L’été sera assurément assombri par une rentrée de toute façon problématique et angoissante, et il faudrait être préoccupé, comme l’été dernier, à délaisser et jeter aux oubliettes des œuvres pourtant bien travaillées, à ficeler de nouveaux pans du programme dans une logique de confinement persistant sans espoir de « prendre des vacances » enfin régénérantes ?
Pourquoi donc ce renouvellement d’un pan quasi inexploité cette année ?
Pourquoi donc ce renouvellement alors que le secret d’une bonne pédagogie est d’expérimenter au moins (!) une fois son cours puis de l’amender ? Les élèves, eux, de surcroît, « neufs » à chaque fois, ne connaissent pas les textes ! Les professeurs, eux, ont leur curiosité intellectuelle pour varier leurs cours et leurs lectures autant qu’ils le désirent ! Nous ne sommes pas dans une logique de concours de l’agrégation pour les professeurs mais d’apprentissage et d’appropriation sereins des œuvres par et POUR les élèves !
Il serait pertinent de faire valoir ce maintien des programmes et des œuvres 2019-2020 au bac de français afin que chacun puisse se tourner vers des jours meilleurs de manière un peu (euphémisme) sereine, alors même que l’inconnu, l’impréparé et l’angoisse sont en travers du beau chemin de l’école.
4/ Dernier point : les interrogations posées par la « reprise » de septembre. Toutes les questions posées dans le premier paragraphe se posent.
Je soumets un des aspects de cette reprise, non des moindres : les professeurs ont leur voix comme premier outil de travail. Outil souvent, quotidiennement mis à mal, érodé par le brouhaha qu’il faut régulièrement affronter, résorber, puis on « pousse de nouveau la voix » pour obtenir le reflux du vacarme voulu par les travaux en îlots ou les débuts et fins de cours, on « force » alors la voix. Combien parmi nous ont dû consulter un phoniatre, ou se sont retrouvés aphones, ou ont souffert d’une voix éraillée par des heures de prise de parole...
Or dans les mois à venir, il faudra a priori parler... derrière un masque, et tenter de comprendre ce que nous disent les élèves dont la parole sera cette fois étouffée par un masque en tissu... Une forme de dystopie cauchemardesque.
Je propose donc que chaque établissement de France mette à disposition dans chaque salle ou pour chaque professeur un micro (sur chaque bureau ? avec l’impossibilité de circuler) ou un micro-cravate Bluetooth ? ou un micro avec oreillettes ? ou un amplificateur de voix.
J’ai soumis l’idée à ma Proviseure au lycée Eugène Hénaff de Bagnolet et au collègue chargé du réseau informatique, deux appareils ont été commandés pour voir si cela peut être étendu à l’échelle de l’établissement. L’un des rares avantages de cette regrettable pandémie est qu’en télétravail via la classe virtuelle du CNED, l’on parle avec des oreillettes et un micro, et cela est très appréciable. Il faut donc tirer parti de cette situation pour la transposer quand nous reviendrons dans les murs de nos établissements scolaires.
Voici le lien à explorer pour un amplificateur de voix sans fil et pour la faisabilité de l’idée :
Merci pour ce message, j’étais surprise et me sentais un peu isolée du peu de retentissement que rencontrait le maintien de cette épreuve.
En dehors même des considérations sanitaires qui s’imposent progressivement à nous (passer ou faire passer un oral avec un masque ? Désinfecter entre deux passages de candidats ? On ne peut que supposer), et même si le nombre réglementaire de 15 textes est atteint, je trouve aussi le maintien de l’épreuve absurde.
Les élèves de première à bout de nerf (ce sont les mêmes qui sont en première ligne pour la réforme) sont abasourdis ; j’ai perdu le contact avec certains d’entre eux. Je tâtonne pour leur donner un travail régulier qui ne soit pas une source de stress pour eux et j’aurais beaucoup aimé, comme avec mes autres classes, pouvoir changer ma façon de travailler pour adopter une approche plus conviviale, basée sur la curiosité, afin de ne pas ajouter du stress et de la frustration à ces adolescents enfermés.
En admettant même que nous finissions par revenir au lycée : quand ? Dans quelles conditions ? Nous qui leur répétons que l’oral repose sur un entraînement régulier, peut-on décemment leur faire une prépa express sur l’art de s’exprimer à l’oral en 2-3 semaines avec des horaires chamboulés et encore inconnus ? Répondre à toutes leurs questions ? Calmer leurs inquiétudes légitimes ? Les élèves ne sont en tout cas pas franchement volontaires pour s’entraîner sur Skype comme je leur ai proposé, et je ne les en blâme pas.
Des questions épineuses se posent déjà : comment être sûr de pouvoir récolter la liste des œuvres qu’ils veulent présenter à la deuxième partie de l’oral ? Ou : comment être certain de pouvoir leur transmettre le descriptif des textes avant l’oral ?
La préparation rigoureuse et suivie de cet oral par les temps qui courent imposerait donc : un accès aux livres (ce qui déjà ne va pas toujours de soi), un ordinateur ou une tablette, une connexion internet, et maintenant de quoi imprimer plus d’une trentaine de pages au pied levé ?
Bref, vous connaissez sans doute toutes ces réserves mais je me suis laissé emporter, tant la situation me semble ridicule, et même nocive. Également pour des considérations plus égoïstes : je n’ai moins que jamais envie de prendre les transports en commun pour faire passer l’épreuve (je suis en moyenne à 2h de mon lycée habituel) où en plus des conditions habituelles de cette période (canicule comme l’an dernier ? Des collègues me disent d’ailleurs que si le confort minimum des élèves était assuré - ventilateurs dans les couloirs d’attente, rien n’était prévu pour les professeurs qui passaient la journée à interroger les candidats, ce qui n’augure rien de bon pour nous), il faudra désormais faire semblant de croire que, si la distanciation sociale est respectée, nous ne serons pas contaminés.
A ma connaissance, rien n’a été mis en œuvre pour vérifier quels collègues seraient en mesure de faire passer l’oral (ce qui exclut ceux qui ont une santé fragile ou des proches dans cette même situation), ce qui est – il me semble – une donnée essentielle à l’organisation de l’épreuve. Rien n’a non plus été proposé pour les élèves qui seraient dans l’incapacité de se déplacer pour cause de santé fragile.
Je suis ulcérée. Compte tenu de la complexité de la situation, je trouve que ces instants seraient mieux employés, en termes de travail, à maintenir un contact régulier et rassurant avec les élèves, à s’organiser avec sa direction pour mettre en œuvre la rentrée prochaine (d’autant plus que le virus circulera toujours en septembre, il semblerait), ou tout bêtement pour lire et préparer des cours que la marche forcée de la réforme ne nous a pas laissé le loisir de préparer au mieux (dans mon cas du moins).
Je suis d’autant plus effarée que cette épreuve est la seule maintenue, et que je n’ai pas trouvé d’argument pertinent dans la communication gouvernementale qui expliquerait sa spécificité : l’épreuve aura lieu, c’est un état de fait. Paraît-il.
Mes excuses pour la longueur de ce mail qui ne correspond pas vraiment aux « quelques lignes » attendues, mais c’est la première fois qu’on me demande d’exprimer mon ressenti à ce sujet en dehors de mon équipe. J’espère que cela vous sera utile.
Pour ma part, j'ai deux classes de première soit 59 élèves. Depuis la fermeture des établissements scolaires puis l'annonce du maintien de l'épreuve orale de français, j'essaye de maintenir le lien avec les élèves pour continuer à préparer l'épreuve orale.
Pour le moment sur ces 59 élèves, j'ai un lien plutôt convenable via l'ENT avec 31 élèves.
Je constate depuis septembre 2019 que la réforme du lycée n'a pas permis aux élèves de se construire une identité de groupe classe en première.
Étant donné que je suis aussi un groupe de seconde de 33 élèves et un groupe de terminale (25 élèves plutôt fragiles), je constate que ces deux groupes sont beaucoup plus actifs. J'ai pu constater évidemment des échanges entre eux qui leur ont permis de s'entraider dans les travaux demandés. Dans la classe de seconde, 7 élèves peu actifs et en terminale L, 4 élèves perdus.
Ainsi, il me semble extrêmement injuste pour des élèves fragilisés par une réforme implacable de les faire travailler sur une épreuve orale qui nécessite pour la deuxième partie un échange entre pairs que nous n'avons évidemment pas eu le temps de mener à bien en classe et qu'ils ne peuvent pas mener en autonomie chez eux puisqu'ils n'ont pas tissé de réels liens de travail au sein même de leur classe.
Pour ma part, je souhaite que l'épreuve orale soit annulée pour cette année.
Je regrette que nous soyons tenus en otage par un examen infaisable pour des élèves que nous n'avons pas vu depuis le 13 mars. Depuis, le retour des vacances, je passe plus de temps à essayer de contacter les élèves via SMS ou appels téléphoniques pour savoir où ils en sont.
Par ailleurs, il me semble nécessaire d'avoir du temps pour mener une réflexion collégiale sur la rentrée de septembre. Nous aurons besoin de nous adapter à un nouveau mode de fonctionnement et aurons besoin de partager ce qui semble marcher auprès des élèves via la transmission numérique.
Merci beaucoup pour ce mail : j'avais justement l'intention de t'écrire à ce sujet en te demandant où en était l'AFEF sur cette question de l'oral. J'ai signé, comme mes collègues, la pétition contre le maintien de l'épreuve et je suis à présent extrêmement en colère quand j'entends Blanquer réaffirmer que cette épreuve se tiendra.
Au départ, Blanquer avait des arguments "pédagogiques" (auxquels je n'adhérais pas, mais... soit) : il n'y a pas d'équivalent à cette note d'oral dans les notes obtenues au contrôle continu, car les professeurs de français évaluent peu l'oral ; cette note était souvent à l'avantage des élèves et aurait permis de monter un peu les résultats dans la perspective de l'obtention de l'examen.
A présent, maintenant que la réouverture des lycées est (sagement) reportée, où en est-on ? Il semble que la seule question que se pose notre ministre est désormais celle de la possibilité matérielle (sanitaire) de la tenue de cette épreuve. La question du sens pédagogique de cette épreuve a totalement disparu des interrogations. En effet, si les lycées ne rouvrent qu'une semaine ou deux (ou aucune) avant l'EAF, si donc cette épreuve se tient après 3 mois de confinement, que va-t-on évaluer lors de cet oral ? On va évaluer la capacité matérielle et intellectuelle d'un élève à travailler à distance. C'est-à-dire que l'on va mesurer, avec cette note de bac, la puissance (encore plus accrue que d'ordinaire) des inégalités sociales et scolaires. Certains collègues (et donc examinateurs...) nous dirons peut-être que les élèves n'ont qu'à faire "l'effort de travailler", que "si l'on veut l'on peut", qu'à cet âge, "on est autonome", en niant toute la sociologie de l'éducation. J'imagine déjà à quel point le clivage entre les examinateurs va être exacerbé dans les jurys si cette épreuve se tient...
Le ministre avait lui-même fait comme si ces questions sociologiques le préoccupaient et avait interdit, à ce titre (juste, je trouve), la notation pendant le confinement, pour ne pas renforcer les injustices socio-scolaires. Donc... quel est le sens d'aller mettre une note, en sortant tout juste de ce confinement, si l'on n'a pas repris (et c'est tant mieux !) les cours avant au lycée ? C'est en fait mettre une note de bac sur le travail fait pendant le confinement et c'est complètement contradictoire !!!
Pardon pour ce long mail, mais j'avoue être à la fois en colère contre les décisions qui me paraissent absurdes et triste pour mes élèves que je ne peux pas accompagner correctement vers cette épreuve.
Je n'ai pas abordé ici la question matérielle de la tenue de l'examen, mais si celui avait lieu, il y aurait beaucoup à dire aussi sur la possibilité de faire un oral correct derrière un masque...
Je partage pleinement les doutes et appréhensions quant au maintien des EAF. J'ai commencé le confinement en étant en retard sur le nombre de textes car mes élèves sont en difficulté. J'ai toutefois essayé de poursuivre comme tout le monde le programme. Aujourd'hui je m'aperçois que mes élèves ont énormément de mal à maintenir le rythme et à trouver la motivation nécessaire. Pourtant ils font de leur mieux mais je ne parviens pas à avancer tant l'autonomie n'est pas maîtrisée. Je ne vois pas comment on peut décemment les interroger à l'oral après 3 mois dans ces conditions. Le maintien des EAF ne servira qu'à creuser l'écart entre les élèves qui peuvent travailler correctement car ils évoluent dans des conditions sociales qui le leur permettent et ceux qui ont beaucoup subi cette année et n'ont pas pu se relever (entre les grèves, les absences et les autres difficultés quotidiennes que tu connais). Beaucoup de parents d'élèves m'ont ainsi fait part de leurs inquiétudes. Que dire à celle qui a raté son 2eme trimestre (et donc sa moyenne annuelle) parce qu'elle a perdu quelqu'un de proche ? À ceux qui n'ont pas pu travailler pendant le confinement parce que trop occupés à s'inquiéter pour un ou des membres de la famille atteints par la maladie ? À ceux qui ont dû s'occuper des autres enfants du foyer, à ceux qui sont tombés malades et à ceux qui ne parlent pas suffisamment français à la maison malgré tous leurs efforts ? Et je ne parle pas des autres situations dramatiques dont nous n'avons parfois pas connaissance. Et ce n'est pas un hypothétique retour en classe début juin qui permettrait de gommer cela. Les difficultés sont trop profondes. Même si on avait pu reprendre aujourd'hui ça n'aurait pas été possible.
Je ne vais pas m'étendre sur l'argument sanitaire qui est évident. Il est impossible de faire passer les oraux en garantissant la sécurité de tous (à moins de prévoir des masques FFP2 et un temps de désinfection des tables à chaque nouveau candidat, un nombre limité de feuilles de brouillon etc). Mais je vois mal les élèves déjà parfois impressionnés par cette épreuve réussir leur oral alors qu'à leur timidité peut s'ajouter la peur de tomber malade ou de contaminer quelqu'un.
On ne peut pas continuer comme si rien ne s'était passé et comme si aucun traumatisme n'avait touché les élèves (et les enseignants aussi !) ces dernières semaines.
Pour conclure je dirais que le maintien de ces épreuves est injuste, inéquitable et dangereux.
Voici mon bilan...
Depuis le 16 mars, j’ai navigué entre ENT, PRONOTE, classes virtuelles, mails pour assurer très maladroitement une pseudo « continuité pédagogique » … Les deux premières semaines ont été plus que sportives ! Cependant, le rythme est devenu progressivement plus raisonnable, sans être totalement satisfaisant.
Dans mes 3 classes, j’ai perdu le contact avec +/-9 élèves sur 36, qui ne voulaient, ne pouvaient pas travailler, pas assister aux classes virtuelles du fait d’une grande fragilité, antérieure au confinement, d'un épisode d’angoisse/de dépression, d'une domiciliation en zone blanche, d’une absence de matériel informatique, d'un partage compliqué de ce matériel avec tous les autres membres de la famille… Bref, pas de continuité pédagogique pour 25/100 de ces élèves. Quelle continuité pour ceux qui accumulent déjà toutes les fragilités ? Quel est l’intérêt de maintenir l’oral du bac alors que les plus modestes sont déjà exclus ?
Pour les autres, les classes virtuelles (3 à 4h/semaine pour chaque 1ère) ont été bénéfiques, rassurantes et ont permis d’expliquer les enjeux des activités à réaliser. Les travaux déposés ont été réguliers et nombreux.
MAIS quelques élèves soulignent la difficulté du travail à distance :
- un manque de motivation ;
- un temps devant les écrans décuplé ;
- des journées et des rythmes de vie inquiétants : des connections à l’ENT à 3h du matin, des petits déjeuners à 14h pendant la classe virtuelle…
- un épuisement devant la charge de travail à accomplir dans toutes les disciplines.
Ce travail à distance n’a fait que renforcer les disparités entre les élèves, les familles…
Aucun de mes élèves ne souhaite revenir au lycée en juin, tous ont peur. Ils n’attendent qu’une chose, c’est que l’oral soit annulé. Moi aussi.
Cette année aura été réellement pénible jusqu’au bout : depuis la réforme qui a mis sous pression le lycée jusqu’à aujourd’hui où on annonce un renouvellement des programmes de français en 1ère concernant le théâtre...
Chers vous tous et toutes,
Je suis évidemment entièrement d'accord avec vous, et me joins à un éventuel petit envoi collectif. J'imagine que d'autres auront trouvé des arguments avant nous, mais voici ce qu'on s'est à peu près dit hier :
- difficile en ces conditions de remédier aux différences de pédagogies et de rythmes pendant l'année. Les états de préparation à mi-année sont incomparables, et par conséquent vont donner lieu à des notations impossibles, et donc fondamentalement injustes : comment savoir ce qui relève d'une responsabilité de l'élève ou des choix pédagogiques de son prof ? Et même tout simplement : comment évaluer un élève sur des compétences qui s'acquièrent non seulement dans la durée, mais souvent même tout en fin d'année ?
- Comment évaluer la question de grammaire, étant donné que nos progressions sont différentes ? Il paraît impossible d'évaluer sur ce point : la définition de l'épreuve doit a minima être revue pour cette session.
- Est-il besoin de cumuler les difficultés du Covid avec l'incertitude générale où nous met le programme Blanquer ? Je pense encore aux sujets de grammaire, dont la forme nous est essentiellement inconnue parce qu'il n'y a pas encore de jurisprudence.
- Comment pallier les inégalités socio-culturelles, alors qu'elles ont été violemment exacerbées pendant le confinement ? Par ailleurs, nous soumettons de fait tous les élèves, plus encore ceux de milieux défavorisés, qui ont du mal à se mettre à travailler seuls, à un stress difficilement supportable. Leur formation redevient une source d'angoisse, puisqu'ils sont promis à être évalués sur quelque chose qu'ils auront dû apprendre à maîtriser tout seuls, peu ou prou. C'est les mettre dans un rapport traumatique à leur scolarité.
- un oral avec un masque sur le visage, ça donne quoi ? Allons-nous devoir désinfecter les tables après le passage de chaque candidat ?
- Allons-nous être suffisamment d'examinateurs ? Tous les parents voudront-ils envoyer les élèves passer leur épreuve ? Peut-on demander à un candidat de prendre ce risque pour lui-même et pour sa famille ?
- Comment distribuer les descriptifs à nos élèves ? comment les signer ?
- Est-il raisonnable d'ajouter des raisons de se déplacer à des élèves et des évaluateurs à un moment où la consigne est à la maximisation du télétravail ? Sans compter que les conditions de transport seront difficiles pour tous les usagers des transports en commun.
Voilà quelques idées auxquelles je pense, et qui ne concernent même pas : 1) la difficulté que cela va représenter pour les chefs d'établissement ; 2) la nature absurde, donc, mais surtout douteuse, de la totémisation du bac français de cette année.
Pour ma part, c’est simple : le maintien de l’oral me semble absolument aberrante car :
- TOUS les autres examens / épreuves ont été supprimés cette année, et je ne comprends toujours pas ce qui légitime le maintien de la seule épreuve se faisant en présence des élèves, dans le contexte d’une pandémie internationale ;
- l’oral est une épreuve qui se travaille de manière pratique, or tous les élèves ne peuvent pas suivre une préparation efficace aux oraux pendant la période du confinement, du fait de la « fracture numérique », comme on l’appelle ;
- quand bien même on reprendrait en juin, et que les oraux auraient lieu fin juin ou début juillet, le retour au lycée étant facultatif, tous les élèves n’auront pas une préparation suffisante (c’est un euphémisme) aux oraux, et certains seraient donc pénalisés parce qu’ils sont malades, ou que quelqu’un de leur entourage l’est, et qu’ils refusent de venir au lycée, par exemple ;
- même si on imaginait un retour en classe de TOUS les élèves de 1ère sans exception pour se préparer à l’oral en un mois, les élèves auront quand même passé au moins 2 mois de travail à distance (sans compter les nombreux cas de décrochage qu’on aura à gérer à ce moment-là au lieu de bachoter avec les élèves à 200%) : quoi de moins efficace pour la préparation d’une épreuve orale ? ;
- la mise en place des oraux nécessiterait comme d’habitude le réquisitionnement d’un nombre considérable de professeurs, or il est à peu près sûr que certains d’entre eux (nous) seront encore malades à ce stade de l’année, ou refuseront (droit de retrait éventuel ? enfants à charge à cause des écoles qui n’auront pas réouvert ?) de revenir en cours et/ou de faire passer les oraux.
Je terminerais en nuançant un peu mon propos : quand on travaille dans notre lycée, par exemple, on se rend bien compte que la justice que « l’école unique » d’aujourd’hui prétend tant bien que mal rétablir entre les élèves me semble une telle illusion que, finalement, si le gouvernement s’entête dans son absurdité et maintient l’oral de français, ce ne sera qu’une aberration de plus à compter, en cette année de réforme notamment, de la part de notre (j’ai même du mal à employer ce possessif…) ministre de l’éducation nationale...
Pardon pour ce cynisme finale (c’est plutôt de la lucidité), en vrai tu sais que j’adore mon métier (sa substance, du moins) et mes élèves (la plupart…) et que je trouve ça merveilleux, aussi, dans notre lycée, d’assister à certains cas (bien que rares) de transgression de cette fatalité bourdieusienne du déterminisme social de certains de nos élèves ;)
Le maintien de l'oral interroge en effet (et tu ne m'interroges que sur son sens, je laisse donc de côté les questions sanitaires).
D'un certain côté, on pourrait se dire que l'entraînement à l'oral pourrait se faire en petits groupes quand (ou si) les cours reprennent, ou bien en visioconférence individuelle (encore que le professeur qui ferait cela se condamnerait à négliger ses autres classes durant au moins une semaine).
Mais d'autre part, il faut se souvenir que cette épreuve suit un nouveau format en raison de la réforme. Nos élèves y ont fatalement été moins bien préparés que ceux des années d'avant durant la période où nous les avons vus, et depuis deux mois ils s'éloignent doucement des exigences scolaires et ne reçoivent plus ou plus beaucoup d'entraînement (les nôtres n'ont même pas eu de bac blanc !). En outre, si les mesures de dé-confinement sont déclinées différemment selon les régions, ceux des régions rouges (Grand Est et Ile de France a priori) seront moins préparés que leurs camarades, ce qui n'est pas juste. Par conséquent, les évaluateurs ne jugeraient pas vraiment les compétences attendues à l'épreuve : ils estimeraient vaguement le sérieux des candidats en se répétant qu'il faut être clément parce qu'en réalité, les élèves n'ont pas pu être préparés. Je crains que la note n'ait guère de valeur et que cette mesure de maintien ne serve qu'à maintenir l'illusion que tout n'est pas fini. On peut craindre une multitude de recours de la part des parents sur ces notes si elles sont faibles ou simplement inférieures aux résultats moyens de leurs enfants.
Pour finir, j'ajoute une réflexion sur l'écrit. Le ministre a annoncé que la note serait la moyenne de celles des bulletins. Mais beaucoup de professeurs ne notent pas au cours de l'année comme à l'examen : certains sont plus exigeants, certains compensent largement les notes des gros devoirs par des notes faciles, certains pénalisent les élèves qui sèchent les évaluations ou ne rendent pas les devoirs, alors que d'autres craignent d'entacher le bulletin... Les élèves, d'ailleurs, n'hésitent pas à risquer leur moyenne en encourant un zéro alors qu'ils ne le feront pas à l'examen. Par conséquent, noter au contrôle continu sans l'avoir annoncé ni cadré en amont, c'est créer des inégalités selon les professeurs et les établissements, sans que le brassage de l'examen ne pondère cela. Je me demande donc si même cette note de l'écrit ne mériterait pas d'être neutralisée, car, là aussi, nous allons vers une avalanche de recours.
Outre, le risque sanitaire, le maintien de l’oral me paraît un non-sens pédagogique. Comment préparer correctement, à distance depuis le 16 mars, des élèves à un examen oral ?
Enseigner les lettres, c’est faire vivre les textes, susciter des interrogations chez nos élèves, débattre, explorer, réfléchir ensemble. Les compétences d’oral se construisent en classe. Il est très difficile de le faire par ordinateur (et encore faut-il que les élèves en soient équipés !).
Maintenir cet oral revient à renforcer les inégalités. Il y aura ceux qui auront eu la chance d’avoir passé un oral blanc avant le mois de mars. Et il y aura les autres. Il y aura ceux qui auront eu la chance de pouvoir suivre un enseignement à distance, dans des conditions dignes. Et il y aura les autres. Il y aura ceux qui auront eu des familles qui pouvaient les aider. Et il y aura les autres.
Et pour tous, il y a la motivation. Comment maintenir l’intérêt des élèves, que l’on n’a pas vus depuis si longtemps, qui subissent, comme nous tous une situation inédite et particulièrement anxiogène ? Certains ont déjà fait le pari de l’annulation de l’épreuve.
Les élèves de première ont subi, depuis le début de l’année scolaire, la mise en place des nouveaux programmes, dont ceux de français (sans avoir été préparés à certains exercices en seconde) et les premières épreuves d’E3C, qui ne se sont pas toujours déroulées sereinement dans les établissements. Ils mériteraient certainement que nous les laissions terminer leur année de première l’esprit tranquille. Il existe nombre d’activités qui pourraient leur être proposées en vue d’élargir leur culture littéraire et laisser des « traces » durables. En lieu et place, j’ai l’impression de les préparer à un bachotage stérile et sans intérêt.
La maïeutique, essence même de notre métier est en train de se transformer en un accouchement aux forceps, par écrans interposés, sans intérêt ni plaisir pour personne…
Au lycée, l'équipe de français a décidé, si la reprise est effective début juin, d’employer le temps restant à faire réviser les élèves de première (retour sur les textes vus à distance, entraînements).
Pour ma part, je suis très partagée à propos du maintien de cet oral...
Ce n'est pas tant l'épreuve en elle-même qui me pose problème mais plutôt les conditions dans lesquelles elle se déroulera : va-t-il falloir traverser le département pour le passer ou le faire passer ? comment garantir sur place la sécurité des élèves et des profs ? l'équité entre les élèves pourra-t-elle être maintenue quand on sait que certains n'ont pu bénéficier des cours à distance ?
Cependant, si l'oral est supprimé, quelle frustration ! Nous avons tout fait pour maintenir le lien pédagogique, les préparer, leur donner le maximum d'outils ; la plupart des élèves ont été réactifs, ont fait le maximum en dépit de conditions de travail parfois difficiles, et rien ne viendra couronner ces efforts mutuels ?
Mais la perspective de mon départ à la retraite le 1er septembre prochain me fait sans doute réagir ainsi...
Je trouve également absurde le maintien de l'oral de l'EAF - en tout cas dans sa forme actuelle. Je conçois qu'on laisse un objectif à des élèves de 1ère qui n'auront plus de français l'année suivante - il est très fortement probable qu'une annonce d'annulation de l'épreuve orale aurait entraîné l'arrêt complet du travail en français chez nos élèves. Tant que la reprise était prévue pour début mai et que l'on pouvait espérer revoir les élèves et les entraîner sur les textes vus avant le confinement et les 2 ou 3 textes que l'on aurait réussi à travailler à distance, l'oral de l'EAF, même édulcoré, avait encore du sens.
Mais si les lycées ne rouvrent leurs portes que début juin, en commençant par les lycées professionnels, de quel temps bénéficions-nous pour préparer dignement et efficacement nos élèves ? Si on ajoute le volontariat, les groupes classe de 15... et une épreuve à partir du 25 juin. Et pour évaluer quelles compétences ? Quel sens aurait cet oral si ce n'est celui de "donner une note" ?
Il devient difficile de faire travailler les élèves sur des "peut-être", sur des "selon", sur des "si" - élèves qui ont déjà essuyé les tergiversations des e3c... Et il devient tout aussi difficile pour les enseignants de Lettres de proposer un contenu et un accompagnement digne de ce nom. Donner des polycopiés, organiser des classes virtuelles où l'on essaie d'imaginer de possibles collaborations et construction du cours entre pairs ne remplace pas l'interaction en classe - en particulier pour les élèves en difficulté et les élèves dits "moyens". Je ne vois pas d'égalité - puisque c'est le maître mot - dans le maintien de l'oral de français.
Un peu de souplesse et d'adaptation semblerait bien raisonnable - et si, de façon exceptionnelle - les élèves de cette année n'avaient pas de note d'oral au bac français, serait-ce grave ? Je ne le crois pas. Organiser une session en septembre semble tout aussi compliqué. Imaginer une autre forme d'évaluation de la lecture - peut-être... - mais par qui ?
Je suis en fait partagée concernant le maintien de l'oral (suite aux réactions de mes premières).
D'un côté, je m'oppose à ces oraux :
1. Je trouve aberrant d'imposer une épreuve nationale à des élèves qui ont vécu, vivent et vivront encore, plus ou moins bien, cette crise sanitaire. Il faut écouter les peurs des élèves : certains ne souhaitent pas retourner en cours si déconfinement il y a, alors même qu'ils habitent parfois à 5 min à pied du lycée. Auront-ils le courage de prendre les transports pour se rendre sur le lieu de l'examen ? (Moi-même, je refuse de renvoyer mes enfants à l'école, puisque le lycée ne rouvre pas immédiatement, et je n'envisage pas de reprendre les transports en commun.)
2. En outre, depuis le retour des vacances, le moral des élèves ne cesse de décroître. Je passe des heures au téléphone avec mes premières afin de les booster (on vient d'organiser un faux mariage pour se changer les idées). S'ils sont démoralisés et démotivés, comment peuvent-ils réviser sereinement leur épreuve orale ?
3. De plus, les textes étudiés lors du confinement sont-ils aussi bien compris que lorsqu'ils sont analysés en classe ? (Je reconnais avancer très doucement, je privilégie la compréhension globale de l'œuvre et de ses enjeux, et à la marge, j'étudie un texte pour l'oral.) N'oublions pas également que certains élèves ne bénéficient d'aucun endroit où s'isoler pour travailler sereinement.
4. Enfin, d'un point de vue sanitaire, il me semble que l'organisation des oraux risque de poser un certain nombre de problèmes. J'avoue avoir été surprise d'apprendre que seuls les professeurs de lettres "iraient au front" (pour filer une métaphore), alors que les collègues de langue verraient leur épreuve annulée.
J'ai vécu cela comme une nouvelle punition.
D'un autre côté, ces oraux semblent porteurs de sens pour les élèves (d'après les réactions et les dires de mes premières).
1. Mes élèves ont été très déçus que l'épreuve écrite soit annulée : ils ont beaucoup travaillé, ont fait de beaux progrès depuis le début de l'année. Or, le passage en contrôle continu les pénalise. Ils ont l'impression que tous leurs efforts n'ont pas servi à grand-chose, car la moyenne des trimestres conduira à une note inférieure à celle qu'ils espéraient avoir au vu des derniers résultats obtenus. De plus, l'annonce de l'absence de note pendant le confinement a conduit les élèves les plus fragiles au désespoir : aucun moyen de se rattraper !
De fait, je crains l'annulation de l'épreuve orale, qu'ils voient comme un moyen de faire valoir leur travail, et comme un moyen de remonter leurs résultats écrits.
Un peu plus haut, j'évoquais leur baisse de motivation, mais ils m'expliquent qu'ils ont l'impression que l'épreuve orale va être annulée : pourquoi donc apprendre des textes qui "ne serviront à rien" ? (cela a été l'enjeu des appels de cette semaine : quels bénéfices tirer de la préparation de l'épreuve orale de français pour l'année de Terminale ?)
2. S'il n'y a plus d'épreuve, si les conseils de classe sont passés (les nôtres sont prévus fin mai-début juin, comme d'habitude), pourquoi les élèves continueraient-ils à jouer le jeu de la continuité pédagogique jusqu'au 4 juillet ? (le problème va se poser pour les autres niveaux, je pense. Nous avons déjà "perdu" un certain nombre de secondes, par exemple.)
Du coup, je suis hésitante (je souhaite le mieux pour les élèves).
En revanche, il me semble que les élèves doivent avoir rapidement un avis définitif sur le maintien ou non de cette épreuve.
Il me semble également que la date du 4 juillet doit être revue : je ne vois pas comment maintenir un enseignement virtuel jusqu'à cette date (sauf à ne plus suivre le programme de cette année - je parle seulement pour le programme de 1re.)
Je peux comprendre les impératifs logistiques qui ont amené la suppression des épreuves écrites, et je comprends que la rentrée de juin ne sera pas idéale pour des épreuves orales d'EAF.
Cependant les élèves ont travaillé des mois l'EAF, et les compétences construites sont fondamentales pour l'année de terminale, les études supérieures et la vie adulte. Il s'agit en plus pour les jeunes d'une expérience initiatique indiscutable et irremplaçable.
Je suis donc pour le maintien des oraux si possible.
Le maintien comme la suppression de ces oraux soulève bien des questions chez moi, mais je ne suis pas opposé à ce que cette partie du Bac soit maintenue.
Je crois les conditions sanitaires réunies pour les faire passer. À trois personnes par salle au maximum, les distances de sécurité peuvent être maintenues. Un masque et nous serons parés ! Les hospitaliers ont eu à gérer pire et de bien plus près. Je souhaiterais néanmoins qu'on considère la situation (médicale et sociale) de chacun des agents avant d'imposer quoi que ce soit. Pour ma part, je suis disposé à faire passer ces oraux. Les technologies actuelles nous permettraient même de suppléer aux absences physiques, si nous voulons bien nous adapter à la situation. Enfin, il ne s'agit pas de considérer que les élèves n'ont rien fait depuis le début de l'année : la petite dizaine de textes qu'ils ont étudiés est largement suffisante pour évaluer une prestation orale basée sur la compréhension et l'analyse. Aussi, pour ces raisons, je suis pour le maintien des oraux de l'EAF.
S'il s'agissait d'annuler cette épreuve au prétexte que les élèves n'ont pas les 20 ou 24 textes attendus, alors il s'agirait de reconnaître que nous ne raisonnons plus en humanistes mais en comptables. Toutes les postures me vont tant qu'elles sont assumées.
Concernant l'EAF, je n'ai pas moi-même de premières, donc je n'ai qu'un avis de semi-concernée. Je trouve que le maintien pose de nombreux problèmes, et ne se justifie que difficilement.
Mes collègues ou amis qui doivent préparer leurs élèves à l'épreuve dans l'incertitude de son déroulement sont un peu dépassés et ont parfois l'impression de préparer à une fausse épreuve, ce que je comprends.
Son déroulement me semble difficile, voire compromis. Cela à la fois en ce qui concerne l'organisation matérielle (les passages et les transports. Une amie m'a dit que son lycée est censé accueillir mille élèves extérieurs pour les oraux !) et surtout aussi la préparation.
Le nombre de textes s'est certes trouvé réduit, mais que se passe-t-il si ce nombre n'avait pas été atteint avant le confinement (comme c'est souvent le cas) ? Il me semble très difficile, vu les conditions d'accès et de travail, d'intégrer des textes faits en confinement dans le descriptif du bac.
L'autre problème qui se pose est je pense de demander aux élèves d'aller faire une explication après deux mois d'arrêt, voire de rupture — ou dans le meilleur des cas après des oraux "blancs" par internet, mais on sait que ce ne sera pas le cas de tout le monde.
Mais j'entends d'un autre côté les raisons qui auraient pu justifier son maintien : une organisation plus "facile" — ou faisable — que pour des écrits, et un entrainement à l'oral avant les épreuves de terminale. Par contre l'argument "l'oral n'a pas de note de contrôle continu" me semble totalement irrecevable, évidemment que le travail de l'oral dans l'année aurait pu être pris en compte dans une "note" générale de contrôle continu (si c'est tout ce qui compte), cette séparation ne fait pas vraiment sens.
Globalement, si je peux comprendre certains arguments pour son maintien, il me semble que les arguments pour son annulation ont bien plus importants, et soulignent surtout des inégalités considérables qui ne devraient pas être ignorées. Ou alors ce serait encore une fois accepter les dommages collatéraux, et qu'il y aura toute une flopée de sacrifiés parmi les élèves, soumis à la bienveillance du jury.
Je me demande aussi s'il n'est pas de toute manière prévu que l'oral soit annulé au dernier moment, et que son maintien actuel n'est pas qu'un moyen de garder les élèves (et les profs...?) "mobilisés" pour une matière qu'ils n'auront plus en terminale. Comme en fait de manière générale l'idée de la possible réouverture des lycées en juin : garder la pression. Globalement beaucoup d'angoisse pour rien, ou juste pour maintenir une illusion de bon fonctionnement.
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