Bilan de la mise en oeuvre programmes de français au lycée Juillet 2020


Préparation d'une rencontre avec le Conseil supérieur des programmes

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Français au Lycée

2019-2020 UNE ANNEE DE REFORME : une série d’injonctions contradictoires

 

 

PREMIERE DIFFICULTE : LE RENOUVELEMENT DU PROGRAMME DE SECONDE ET DE PREMIERE EN MEME TEMPS, ET LA CREATION DE LA SPECIALITE HLP : DES COLLEGUES INSECURISES

 

La charge de travail imposée a été colossale. Il a fallu travailler à flux tendus.

Trois conséquences négatives :

  1. une absence de recul sur les cours, qui, à peine achevés, étaient testés avec les élèves ;
  2. moins de temps pour corriger les travaux des élèves (« pas réussi à ramasser autant de travaux écrits que les années précédentes, d’où une grande frustration et la peur de ne pas avoir suffisamment bien suivi les progrès ni bien évalué les difficultés des élèves »),
  3. un sacrifice des moments personnels et familiaux afin de pouvoir assurer un « service » de qualité auprès des élèves. (Or, cela ne devrait pas être.)

 

 

DEUXIEME DIFFICULTE : LA LOURDEUR DES NOUVEAUX PROGRAMMES IMPOSES, ET L’ABSENCE DE MOYENS SUPPLEMENTAIRES

 

On se souvient d’un temps (2006-2009) où les secondes bénéficiaient de 6h de français : le programme « d’antan » était pourtant moins « copieux » que celui de cette année.

 

La mise en œuvre des programmes a été complexifiée par :

  • le découpage insensé et austère de la poésie du MA au XVIIIe pour de jeunes générations qui ont besoin d’être stimulées par une proximité chronologique tout au moins au départ, au démarrage de la découverte d’un code poétique qui leur semble lointain au début ;
  • la multiplication des œuvres intégrales, doublées de « parcours » ;
  • l’accroissement des exercices techniques (commentaire linéaire vs commentaire « composé », essai vs dissertation, question de grammaire, contraction de texte).

Or, si l’on veut que l’enseignement des Lettres ait du sens pour les élèves, et en garde pour nous-mêmes, il faut savoir « prendre son temps », et ne pas aller « à toute vitesse » Dès lors, nous sommes pris entre deux injonctions contradictoires : terminer le programme (surtout pour les premières du fait de l’examen de fin d’année, et plus particulièrement pour les premières générales du fait de la dissertation sur œuvre)  / créer des situations pédagogiques propices au développement de l’esprit critique des élèves, et favorisant leur autonomie intellectuelle.

 

Témoignage « Contrainte-carcan en 1ère techno de trouver un texte support de la contraction-essai en lien avec l’objet d’étude littérature d’idées.

- Point positif : le lien entre le nouveau sujet contraction/essai et les attendus des épreuves de BTS

- MAIS un sujet qui reste difficile au niveau de la gestion du temps (contraction d'un texte de 1000 mots + essai rédigé) par rapport au commentaire ou à la dissertation (4h pour un seul sujet) et au niveau de l'expression écrite (manque de vocabulaire, tendance au copier / coller pour la contraction + problème de compréhension de l'article support). Pour avoir testé la méthode de cet exercice en Seconde, les élèves qui s'en sortent le mieux sont...ceux qui vont en série générale !

À l’écrit du bac, aucune issue de secours pour des élèves fragiles ou en très grande difficulté, du type « Écrit d’invention » (même si on sait que cette épreuve semblait faussement facile). Perte de l’écrit d’invention : plus aucun écrit d’imagination. On étouffe. »

 

            En outre, on regrette la perte de notre liberté pédagogique en première. Si la dissertation sur œuvre semble une bonne idée, on aurait préféré qu’on nous impose un thème (// au parcours), mais que l’on nous laisse le choix de l’œuvre. Cette uniformisation du programme entraine plusieurs conséquences négatives :

Durant l’année :

  • la non-adaptation des œuvres aux réalités vécues par les élèves,
  • la difficulté à intégrer les prix littéraires (exemple : Prix littéraire des Lycéens et Apprentis ou Prix Goncourt des Lycéens) dans nos progressions,
  • la difficulté à monter des projets interdisciplinaires autour de thématiques communes
  • (la mise en concurrence des professeurs ?)

 

*Lors des examens : 

  • la mise en concurrence des élèves provenant d’établissements socialement différents, d’où une crainte d’un renforcement des inégalités sociales,
  • la monotonie des exposés à l’oral (?).

 

Témoignages

« Imposer des textes (souvent ceux des agrégations passées), sans marge de manœuvre (trois choix...), sans prendre en compte la sensibilité de l'enseignant (il est plus simple de faire apprécier des œuvres que l'on apprécie), sans possibilité de s'adapter aux classes, ou alors très vite en faisant des passerelles (mais le temps manque, et le bac approche !!!) et il n'y a que 4 heures en 1ère techno… »

« Je viens d'avoir une discussion musclée avec des collègues qui me disaient que notre mission (sic) était de transmettre les œuvres du patrimoine... le patrimoine s'arrêtant au XXème siècle bien entendu. La littérature vivante, qu'est-ce qu'on en fait ?  Puisque ces œuvres sont si difficiles, les parcours associés se trouvent réduits, et finalement, tous les liens intéressants sont passés sous silence. On en revient à ce que vous évoquiez : qu'est-ce que cela veut dire "enseigner le français" en lycée ? Quels sont nos objectifs ? Moi je dirai qu'il s'agit de leur donner envie de lire, de leur montrer comment s'y prendre, pas d'en faire des perroquets entravés. » 

 

Programmes de seconde versus programmes de première

Le programme de 2nde laisse beaucoup de liberté dans les thématiques, dans les genres, dans les oeuvres. On peut croiser les objets d'étude, on peut les faire résonner entre eux tout au long de l'année. Et on peut construire les compétences attendues au fur et à mesure. 

Témoignage : « Je m'en suis rendu compte pendant le confinement : les élèves avaient acquis les bases du commentaire, du paragraphe argumenté, ils avaient acquis des gestes de travail et de réflexion ce qui permis pendant le troisième trimestre et malgré le confinement, d'approfondir tous ces gestes, de façon assez efficace. »

 

Le programme de 1ère permet très peu de liberté et de marge de manœuvre, tant le programme est dense et hétéroclite: morcèlement et saupoudrage font perdre toute notion de progression.  Les œuvres au programme sont soit vues et revues soit très éloignées des préoccupations de nos élèves. Les lectures cursives sont plus libres, en particulier pour les séries technologiques, car elles n'ont pas vocation à nourrir la dissertation comme dans les filières générales. Il est cependant difficile avec ces nouveaux programmes de faire lire une œuvre d'un autre genre que celui fléché par l'objet d'étude alors que mettre en regard des écritures différentes autour d'un même thème est souvent enrichissant et permet de varier. Cela complique également les liens avec la programmation théâtrale de chaque saison.

 

Remarques sur les épreuves écrites :

  • Un commentaire littéraire n'est pas une étude linéaire. 

Témoignage : « Je pensais naïvement au début de l'année passer de l'un à l'autre facilement et travailler l'un en travaillant l'autre mais en réalité, ce n'est pas possible. Transformer un commentaire littéraire en étude linéaire est beaucoup plus complexe que ce que j'imaginais. On ne peut donc travailler l'oral en travaillant l'écrit (sauf pour la construction du propos). » 

  • La dissertation est peut-être la forme la plus intéressante à travailler car, comme elle repose sur une thématique, on peut la préparer pendant l'année et apprendre aux élèves à utiliser des arguments déjà pensés en classe et en collectif en les structurant afin qu'ils répondent à la problématique. 

Témoignage : « L'exercice a beaucoup plu malgré les peurs et les a priori des élèves. »

 

Remarques sur les filières technologiques

  • Elles sont les plus malmenées car les attendus officiels sont très loin de ce que les élèves sont capables d'apprendre à faire en un an. Il y a beaucoup trop de gestes scolaires différents à maitriser : commentaire littéraire, étude linéaire, contraction, essai, grammaire, lecture imposée et cursive, présentation de sa lecture. 
  • La contraction de texte demande de comprendre le texte : et un texte argumentatif contemporain est complexe, sans parler de sa longueur pour des lecteurs souvent précaires - ou qui se pensent tels. Trouver une méthode pour la contraction de texte est donc difficile car tout fait obstacle, tout est résistant pour les élèves. On va donc accepter des contractions qui seront au mieux médiocres. Poudre aux yeux des élèves....
  • L’essai est peut-être l'exercice que l'on pourrait développer en 2nde pour apprendre aux élèves à raisonner. Cela servirait la dissertation et l'essai. Les sujets de bac semblent avoir peu de sens et paraissent très artificiels.

 

Propositions : 

  • Proposer une série de mises en scène plutôt qu'un texte "à froid" pour l'objet d'étude "théâtre" 
  • Avoir le choix entre au moins 10 œuvres pour chaque objet d'étude : des œuvres de tous les siècles au programme.
  • Permettre une véritable étude de l’œuvre en tant qu’œuvre, sans pointillisme (et non en pensant à 3 textes qui dessèchent l’œuvre) ; y associer 3 à 4 textes par parcours que l’élève pourrait défendre à l’oral.
  • À l’écrit, créer une 3ème épreuve avec un sujet créatif.

 

TROISIEME DIFFICULTE : L’EPREUVE ORALE DE FRANÇAIS

La première partie de l’épreuve orale ne présente que peu d’intérêt. L'étude linéaire se transforme en récitation.

La lecture analytique dans le cadre d’un examen reste un objet didactique impensé – ce ne doit pas être le souvenir de l’épreuve passée au concours : l’élève se contente de « réciter » une explication travaillée (même s’il l’a élaborée lui-même). 

Il n’est plus possible d’évaluer sa compréhension du texte, des termes employés, des notions convoquées... Nous enregistrons sa parole, mais n’échangeons plus avec lui.

 

Même s’il est intéressant et pertinent que l’élève présente ensuite une œuvre choisie, un trop bref échangeintervient dans la seconde partie de l’épreuve orale : 5 – 6 minutes maximum. Dérisoire ! La défense du livre en 2 minutes ou le règne du « speed reading, saying (and not thinking) » !?! (4 minutes maximum) : c’est décidément trop court. Les élèves racontent, résument le texte, au lieu d’argumenter. Uniformisation du propos (mono-source : Wikipedia ?). Terribles résumés qui aplanissent la richesse et les nuances de l’œuvre et terrible effet de répétition. Il faudrait au moinspouvoir rattacher les questions à la contemporanéité de l’œuvre. Pourtant la défense d’un livre est a priori intéressante…

 

Témoignage : « Le temps manquant encore plus qu’avant (avant la Réforme) aux professeurs, les « polycopiés » synthétisant le cours à la fin et la modalité de l’oral (sans question qui vise à « casser » le « par cœur ») invitent plus que jamais au psittacisme… »

 

Dans l’ancienne épreuve, nous avions 10 minutes d’entretien avec l’élève. Cet échange permettait d’évaluer la réflexion et la culture du candidat, ainsi que de valoriser son implication personnelle.

L’entretien permettait aussi à l’élève d’exposer son parcours de spectateur (parcours théâtre, cinéma, ...). Or, la nouvelle épreuve évince les activités culturelles. Le descriptif ne devant comporter qu’une liste de textes, comment l’examinateur pourrait-il aider l’élève à discourir sur des expériences vécues si ce dernier ne parvient pas à les intégrer à son discours ?

 

            La question de grammaire interroge : sans lien avec l’interprétation des textes, doit-elle avoir sa place lors de l’oral ? Que cherche-on réellement à évaluer ? 

 

Témoignage : « la question de grammaire n'est pas du tout l'occasion d'une réflexion sur la langue car elle est plaquée sur les textes. La négation et les propositions subordonnées circonstancielles n'ont pas toujours d'effet stylistique. À cela s'ajoute le fait que les phrases étudiées dans les textes littéraires sont rarement canoniques : il s'agit bien souvent d'exception et les élèves n'ont pas du tout le niveau grammatical requis pour les analyser - ce ne sont pas des étudiants qui passent l’ancien CAPES de Lettres. Faire des analyses grammaticales avec Beckett n'a pas été de tout repos, c’est infaisable avec un niveau de 1ère. »

 

            En outre, il semble que le cadrage de l’épreuve orale par le BO n’est pas suffisamment précis. Le BO est toujours doublé de recommandations académiques (indispensables pour assurer l’équité entre les candidats), mais en cas de litige, seul le BO fait loi.

 

Propositions : 

  • Modifier le contenu du descriptif afin qu’il mette en évidence les activités menées en classe, l’étude des parcours
  • Pouvoir revenir sur l’explication : au moins 1 question
  • Pouvoir poser des questions sur le genre lié à l’œuvre présentée > donc pouvoir se raccrocher à l’objet d’étude
  • Présenter une œuvre AUTRE QUE CELLES AU PROGRAMME NATIONAL, interdire la défense d’une nouvelle, ou seulement d’une section
  • Autoriser lors de l’EAF la présentation par l’élève de son carnet de lecteur, de ses écrits créatifs, de toutes activités ayant permis une entrée personnelle dans l’œuvre choisie > travailler l’écrit d’appropriation pour cette partie de l’épreuve (suite d’un texte, revenir sur un passage, inventer un passé, ou partir sur un lien avec le texte…)
  • Cadrer précisément la question de grammaire : quelles questions possibles ? Quelles réponses attendues ? 

 

 

QUATRIEME DIFFICULTE : L’EMPECHEMENT et LE MEPRIS ?

            La notion du temps – temps problématique à toutes les échelles – à l’année, lors des séquences, lors des séances, lors de l’EAF place le professeur de français dans une situation difficile, intenable. 

 

Témoignage : « En 1ère : environ 30-34 semaines de cours (et encore je ne compte pas les semaines d'examens blancs), 20 textes + méthodologie + grammaire + oral+ évaluations = 1 texte par semaine... (???) C'est sûr que les parcours associés qui enrichissent leur perception des ramifications d'un texte littéraire et de ses interactions avec d'autres moyens d'expression sont presque impossibles à réaliser avec ce timing. 

Je ne parle même pas de travailler l'expression orale avec méthode, ce qui suffit à "remplir" une séquence entière (et accessoirement ce qui permet de préparer le "grand oral" de terminale et les 3/4 des examens post-bac). 

Je pense aussi aux professeurs consciencieux (nombreux) qui essaient de déjouer tous ces "pièges" afin de rendre leurs cours dynamiques et clairs (sans y arriver tout le temps) ; pour cela ils mettent de nombreuses heures à réfléchir à une séquence, échangent parfois... Pour que cette séquence ne serve plus l'année d'après (alors qu'on aurait bien voulu modifier deux/trois éléments et rebondir sur ce qui a fonctionné). C'est très frustrant. »

 

En plein confinement, l’annonce du renouvèlement du programme au quart pour l’année prochaine est très mal perçue. Il semble, qu’au vu de l’année écoulée, il aurait été respectueux de conserver les œuvres de 2019-2020.

 

 

Propositions : 

  • Abaisser le nombre de textes à présenter
  • Permettre aux professeurs de ne pas forcément utiliser la nouvelle œuvre au programme > différer le renouvèlement au quart pour 2021-2022

 

 

 

Soumis par   le 06 Juillet 2020