Le français aujourd’hui n° 216 – Mars 2022
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Le français aujourd’hui n° 216 – Mars 2022
LES ÉCRITS D’APPROPRIATION EN QUESTION(S)
Appel à contributions
Coordination :
Martine JACQUES - Université de Bourgogne Franche-Comté & INSPé de Bourgogne, CPTC
Caroline RAULET-MARCEL - Université de Bourgogne Franche-Comté & INSPé de Bourgogne, CPTC
Séverine TAILHANDIER - Université de Bourgogne Franche-Comté & INSPé de Bourgogne
Échéancier :
3 mai 2021 : envoi des propositions de contribution, descriptif d’une page maximum (hors bibliographie), avec le rattachement institutionnel et scientifique du (des) auteur(s), un titre explicite et cinq mots-clés. Ces propositions devront être adressées par courrier électronique aux trois adresses suivantes : Martine.Jacques@u-bourgogne.fr ; caroline.raulet-marcel@u-bourgogne.fr et Severine.Barbero@u-bourgogne.fr
7 juin 2021 : réponses (acceptation, demande de modification ou refus) transmises aux auteurs par les coordinatrices.
1er septembre 2021 : réception de la première version de l’article pour expertise en double aveugle.
1er octobre 2021 : retour des expertises et demandes d’éventuelles réécritures.
1er novembre 2021 : deuxième version de l’article.
15 mars 2021: parution du numéro et envoi aux auteurs.
Les consignes de rédaction et de présentation seront fournies après acceptation des propositions.
Argumentaire :
Commentarii, translatio, praelectio, amplificatio, paraphrase, les travaux écrits à partir du texte lu ont, depuis le modèle de la paideia antique, fait partie intégrante des moyens donnés aux élèves et aux créateurs pour se saisir d’un texte. Exégèse et rhétorique les ont mobilisés dans le cadre des apprentissages en vue de former un lecteur ainsi qu’un orateur ou un scripteur expert : autant de stratégies qui allient geste critique et créativité dans un même mouvement vers le texte et vers sa mobilisation dans le cadre d’une construction personnelle et culturelle. S’instaure ainsi une relation singulière et scolaire fondée sur un continuum de gestes – l’explication de textes moderne naissant au xixe siècle des exercices de traduction propres au cours de littérature des collèges classiques et sur une évolution du rapport aux œuvres. On assiste en effet au passage progressif d’une logique de l’imprégnation au primat accordé à une herméneutique sous le signe de l’admiration due aux textes patrimoniaux. En 2002, l’instauration du sujet d’écriture d’invention dans l’épreuve anticipée de français du baccalauréat manifeste la volonté de renouer en partie avec l’innutrition et l’imitation au cœur de la rhétorique. Cette épreuve disparait lors de la dernière réforme du lycée, mais l’exercice reste préconisé dans les « écrits d’appropriation ». Cette notion apparait, sans être véritablement définie, pour la première fois dans les nouveaux programmes de Seconde et Première de 2019 et elle fera l’objet du numéro 216 du français aujourd’hui à paraitre en mars 2022. Peut-on inscrire ces « écrits d’appropriations » dans une tradition qui remonte à la rhétorique antique ? Cette nouvelle forme n’est certes pas sans ancêtres – dont les fonctionnalités peuvent nous aider à l’interroger – mais il serait vain de ne la penser que comme une reprise, alors que les théories modernes de la lecture sont au cœur de ces pratiques aujourd’hui mises en avant. On pense à l’importance neuve accordée au sujet lecteur et scripteur et au renouvèlement récent de l’approche analytique des textes, deux processus intimement liés auxquels Le français aujourd’hui a déjà consacré deux numéros, en 2007 (n° 157, « Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour la didactique ») et tout récemment en 2020 (n° 210, « Approches analytiques des textes littéraires »).
Sous l’intitulé d’« écrits d’appropriation », les nouveaux programmes de Seconde et Première, énumèrent un certain nombre de pratiques d’écriture destinées à favoriser l’exploration personnelle d’un genre, d’un style, d’un texte. Les écrits d’appropriation doivent « facilite[r] la compréhension approfondie » des lectures (Ministère de l’Éducation nationale 2019a : 9). Loin de se cantonner aux écrits d’invention, ils sont de natures variées et les textes institutionnels en proposent une liste détaillée en fonction des objets d’étude : il peut s’agir ainsi de restituer des impressions de lecture, de résumer le passage d’une œuvre, de rédiger des textes littéraires – qu’il s’agisse de privilégier l’invention ou l’« intervention » – , d’écrire le compte rendu ou l’analyse d’un article de presse, de justifier ses choix dans la constitution d’une anthologie, de rédiger une note d’intention de mise en scène etc. Cette énumération montre que l’on a affaire ici à plusieurs régimes d’appropriation – sensible, réflexive, analytique, éthique, créative… (aucun n’étant exclusif des autres) – et que le lien instauré avec les lectures est susceptible, lui aussi, de prendre plusieurs formes selon que l’on demande à l’élève de devenir auteur, critique, éditeur ou metteur en scène pour mieux comprendre et interpréter ce qu’il lit. Se joue là, de façon générale, l’« éducation de la sensibilité et du gout » (Ministère de l’Éducation nationale 2019a et b : 2), la construction d’une « culture personnelle » (Id.) à l’intersection d’une sensibilité singulière et de références partagées. Dans tous les cas, ces exercices ont manifestement vocation à favoriser l’implication dans la lecture tout en permettant également de garder trace de cette lecture. On retrouve dans ces exercices la diversité des « gestes appropriatifs » recensés par Bénédicte Shawky-Milcent (2016) (prélever, reformuler, (se) raconter, réécrire, analyser), les « écrits d’appropriation » semblant prolonger à bien des égards les « écrits appropriatifs » (2014) présentés dans son travail de doctorat. Ces quelques éléments d’introduction soulignent l’intérêt mais aussi la complexité de ces écrits et des notions théorique qui les sous-tendent. Le présent numéro a vocation à apporter un éclairage scientifique, historique et didactique sur cette nouvelle préconisation des programmes.
On s’efforcera tout d’abord de questionner ce que les programmes entendent par « appropriation » : on mettra en lumière les présupposés théoriques que mobilise cette notion en appréciant les écarts ménagés ou non par les textes officiels avec la définition qui en est donnée par B. Shawky-Milcent dans Un Dictionnaire de didactique de la littérature :
L’appropriation littéraire désigne le processus singulier par lequel un lecteur, puisant dans ses ressources personnelles et mobilisant différentes facultés, fait sienne une œuvre littéraire, tout en mettant du sien, créant ainsi en lui une trace susceptible de s’inscrire dans sa mémoire. (Brillant Rannou et al. 2020 : 221)
On replacera aussi la notion d’appropriation dans l’ensemble des travaux engagés sur le sujet lecteur et scripteur, en montrant dans quelle mesure les pratiques d’écriture recommandées par les programmes reprennent celles mises à l’honneur par les recherches récentes en didactique de la littérature, qu’il s’agisse, pour ne citer que quelques exemples, du carnet de lecteur/lecture ou d’écrivain (Ahr et Joole 2013 ; Tauveron 2005), de l’autobiographie de lecteur (Rouxel 2004 a et b), du journal de personnage (Larrivé 2018), autant de formes significatives de la diversité et de la vitalité des « formes plurielles des écritures de la réception » (Le Goff et Fourtanier 2017). Subjectivité, créativité et réflexivité viennent se conjuguer pour permettre au jeune lecteur de s’approprier un texte en s’y aménageant une place qui permette, in fine, d’actualiser le texte pour le comprendre et l’interpréter mais aussi sans doute pour mieux se comprendre soi-même (Shawky-Milcent 2016). La lecture et l’écriture deviennent les deux facettes de la littérature comme modus ludendi (Farhat 2014). Cette approche rejoint aussi les travaux pour un enseignement explicite de la lecture interprétative (Tailhandier 2018) où la stratégie expérientielle du lecteur est convoquée de façon décisive. Les recherches en didactique de l’écriture offrent enfin des repères pour analyser les écrits d’appropriation selon qu’ils relèvent d’un « brouillonnement » réflexif (Bucheton 2014 :177) propre aux écrits de travail (Tauveron 2002) et aux écrits intermédiaires (Chabanne et Bucheton 2002), ou bien qu’ils visent un destinataire autre que soi dans un geste d’écriture habité par une intentionnalité esthétique, comme en miroir de celle de l’auteur lu.
On envisagera aussi de façon diachronique et synchronique la place de ces pratiques d’écriture dans les programmes de français de l’école primaire au lycée. Pour le second degré, on voit bien le lien entre l’instauration des écrits d’appropriation et le constat de l’inquiétant désengagement des élèves du collège et surtout du lycée vis-à-vis des lectures scolaires (Frier et Guernier 2007). Cette nouvelle pratique peut-elle s’inscrire dans les propositions déjà fournies par l’institution pour « faire place au sujet lecteur en classe » en « renouvel[ant] les approches de la lecture analytique » (Vibert 2013) et en rapprochant lectures scolaires et lectures personnelles ? De ce point vue, peut-on d’ailleurs envisager un rapprochement entre écrits d’appropriation scolaires et personnels, à l’exemple des écrits mobilisés dans le cadre de la fan fiction (Brunel 2018) ? À travers une étude du terme « appropriation » dans les programmes du lycée, on s’intéressera à « l’appropriation personnelle » (Ministère de l’Éducation nationale 2019a et b : 2) des œuvres que les programmes préconisent pour « former le sens esthétique des élèves et cultiver leur gout » (Id.) et au fait que cette appropriation, lorsqu’il est question des écrits d’appropriation semble subordonnée à l’objectif d’une « compréhension approfondie » (Ministère de l’Éducation nationale 2019a : 9). En quoi ces pratiques peuvent-elles motiver le « plaisir de la littérature » (Ministère de l’Éducation nationale 2019a et b : 2) auquel convient aussi les programmes ? On interrogera la tension, présente au cœur de ces écrits, entre expérience subjective (d’écriture et de lecture) et posture analytique, notamment en classe de Première où ces pratiques d’écriture semblent à première vue entrer en concurrence avec la logique argumentative et certificative qui préside à la préparation des épreuves écrites du baccalauréat, épreuves où le « texte du lecteur » (Mazauric, Fourtanier et Langlade 2011), son « activité fictionnalisante » (Langlade 2008) sont rarement valorisés comme tels. Cela amène-t-il l’enseignant à délaisser les écrits d’appropriation ou bien à sélectionner ceux qui lui paraissent les plus propres à construire une distance critique chez les élèves ? Comment l’ensemble de ces écrits peuvent-ils s’articuler avec la préparation de ces épreuves ? En quoi peuvent-ils jouer un rôle dans la préparation de l’épreuve orale, notamment lorsque le lycéen doit justifier le choix personnel d’une œuvre parmi celles découvertes pendant l’année ?
En amont du lycée, le terme « appropriation » fréquemment utilisé dans les programmes du cycle 1 n’y concerne pas particulièrement le français mais manifeste l’importance accordée à l’implication des élèves dans leurs apprentissages. À l’école élémentaire, le terme, lorsqu’il concerne la lecture, semble en concurrence avec le terme « interpréter » qu’il a remplacé dans les ajustements récents des programmes du cycle 3. Les « écrits d’appropriation » n’y sont pas désignés en tant que tels, mais qu’il s’agisse de noter ses impressions de lecture ou ses hypothèses interprétatives avant de les partager, de s’initier à l’écriture littéraire à partir de « textes servant de modèles », ou bien encore de garder trace de ses lectures à l’aide d’un carnet ou d’une anthologie personnelle, on voit bien le lien fécond que l’écriture entretient avec la lecture afin de construire progressivement une « première culture littéraire et artistique » où les gouts de l’élève sont pris en compte. L’écriture au service de la lecture vise-t-elle toutefois exactement les mêmes enjeux que dans le second degré ? Les démarches d’appropriation des textes mises en œuvre par les enseignants sont-elles les mêmes ? Ne concernent-elles d’ailleurs que l’enseignement du français ? Comment sont-elles ensuite ressaisies au cycle 4 dans la perspective de la préparation des épreuves de français du Brevet ?
De façon générale, quelles sont les démarches d’écriture appropriative possibles et souhaitables en fonction des textes lus par les élèves, en fonction des cycles considérés ? Quelles sont les démarches effectivement mises en place dans les classes ? Pour quelle(s) finalité(s) ? En vue de quel(s) destinataire(s) ? Les enseignants peuvent-ils s’appuyer sur des outils (ressources d’accompagnement, manuels…) et lesquels ? À quels obstacles sont-ils éventuellement confrontés, notamment dans leur propre approche de la lecture et de l’écriture ? Des recherches portent actuellement sur « l’enseignant lecteur-scripteur de littérature » (XXIIèmes Rencontres des Chercheurs en Didactique de la Littérature, juin 2021) mais dans quelle mesure cette approche réflexive s’articule-t-elle à des actions de formation ? Enfin, si la manière dont les enseignants peuvent se saisir de ces écrits d’appropriation est à interroger, celle des élèves le sera aussi : quelles stratégies de lecture/écriture instaurent-ils ? S’agit-il d’un un rapport à l’objet d’enseignement, d’un plaisir spécifique tiré de la lecture mais aussi de l’écriture ? On s’intéressera au rapport à l’écriture que ces pratiques permettent de construire chez l’élève. Les programmes de lycée sont clairement structurés autour d’objectifs liés à la lecture, mais les écrits d’appropriation relèvent bien, dans leur diversité, d’un savoir-faire pour lequel les élèves ne sont pas également armés dans un cheminement où on souhaite amener chacun d’entre eux à devenir l’« auteur de sa parole » (Bucheton 2000) sur la littérature dans un rapport vivant et épanouissant à la culture.
Les contributions à ce numéro pourront s’articuler autour des axes de réflexion suivants :
- Mise en perspective historique et théorique du concept d’écrit d’appropriation : comment s’articule le concept d’appropriation des savoirs et des compétences mobilisé régulièrement dans les programmes avec celui d’écrit d’appropriation en littérature ? Peut-on le lier, et si oui comment, avec des pratiques antérieures ? Sur quel socle théorique s’appuie-t-il ? À quelle(s) résistance(s) épistémologique(s) se heurte-t-on lorsqu’on veut définir ce concept ?
- La diversité des écrits d’appropriation au fil des cycles aujourd’hui : quelles en sont les formes et les objectifs ? Quelles compétences mobilise-t-on et vise-t-on chez l’élève ? Que demande-t-on à l’élève de s’approprier en matière de lecture et d’écriture ? Quelle est la place des écritures d’appropriation dans une séquence didactique ? Quel est leur intérêt dans le cheminement du sujet lecteur ?
- Pratiques des enseignants et des élèves au sein des classes : quelles sont les pratiques didactiques mises en œuvre et observées ? Quels apports cette démarche offre-t-elle aux élèves ? Quelle place donner à l’évaluation dans ces pratiques ? Quels sont les obstacles éventuels rencontrés par les praticiens et leurs élèves ? Quels projets innovants construire dans les classes ?
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