Tribune de l'AFEF
Former les enseignants, une priorité... Vraiment ?
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Entre autres nouvelles estivales, le ministre a décrété qu’il fallait s’attaquer à un nouveau chantier : la formation continue. Non pas son contenu, Jean-Michel Blanquer avait déjà entamé le travail avec la mise en place des EAFC (Ecoles Académiques de la Formation Continue), mais ses modalités temporelles. Il s’agit de déplacer la formation continue qui ne doit plus avoir lieu sur le temps scolaire afin de respecter l’engagement que le ministre a pris à son arrivée : limiter, voire supprimer les absences des enseignants.
La petite chanson avait déjà été entendue à l’arrivée de Jean-Michel Blanquer (formations sur temps de vacances avec rémunération des formés …). Il ne s’agit donc pas d’une nouveauté dans l’esprit, mais dans la pratique puisque cela n’avait pas été suivi de beaucoup d’effet à l’époque alors que là, le mot d’ordre est lancé : éviter de vider les établissements et, pour ce faire, privilégier les formations le mercredi après-midi, le samedi matin (et à terme pendant les vacances scolaires).
A peine arrivé au ministère, Gabriel Attal bouleverse donc l’organisation de la formation continue par des annonces médiatiques, sans préparation et sans concertation avec les concernés, ni sans les informer avant qu’ils n’acceptent leurs missions pour la rentrée. De ce point de vue, la méthode ne change pas.
Comment cela se traduit-il ? A la rentrée, les formations pour lesquelles un calendrier avait déjà été décidé et acté en fin d’année scolaire dernière, sont gelées. Les inscriptions au PRAF (Plan de formation) sont suspendues à des annonces officielles (un texte de loi par exemple qui n’existe toujours pas, imposant la formation continue sur temps hors scolaire).
Plusieurs présupposés sous-tendent cette annonce devenue décision :
- Les absences des enseignants seraient donc dues à la formation continue : les chiffres disent pourtant le contraire. Les absences contextuelles liées à la formation continue ne représentent pas la majorité des absences, loin s’en faut. En 2019, elle était évaluée à 19,4 % contre 36,6% pour des arrêts de maladie [1]). "En 2020-2021, la formation continue était à l'origine de 10,2 % des heures d'enseignement non assurées, et près de 17,2% en 2018-2019 avant la crise sanitaire.", dixit la Cour de comptes. Mettre les absences des enseignants sur le dos de la formation continue relève donc d’une grande malhonnêteté et permet de cacher, derrière cet arbrisseau, la forêt d’une rentrée calamiteuse par l’absence d’enseignants titulaires devant les élèves. Les postes non pourvus par la désaffection pour le métier et une politique économique d’évidement (baisse des postes dont ceux de titulaires remplaçants notamment) sont ainsi passés sous silence par le ministre, pourtant très présent dans les médias depuis la rentrée.
- Le temps de travail des enseignants n’est considéré que du point de vue de la présence devant les élèves. En d’autres termes, le mercredi après-midi est considéré comme du temps disponible. C’est oublier que les enseignants d’EPS sont devant les élèves le mercredi après-midi en encadrant les associations sportives, tout comme certains enseignants intervenant dans les classes supérieures type BTS. Et pour la grande majorité des enseignants, le mercredi après-midi, une partie du week-end et des "vacances" sont consacrés au travail dit « invisible » : préparations, corrections, lectures professionnelles... C’est donc méconnaitre la réalité du travail des enseignants que de s’imaginer que le temps hors scolaire est nécessairement du temps libre !
- La conception de la formation sous-jacente interroge également. La formation continue n’a cessé d’être réduite. Depuis des années, on a fait fi des formations au long cours où les enseignants pouvaient partir plusieurs jours, parfois deux semaines pour des formations approfondies qui permettaient réellement d’accroitre les compétences professionnelles. Désormais, on n’a plus aucun complexe à appeler « formation » une convocation d’une demi-journée. Mieux, le ministre incite aux créneaux de formation ‘’sécables’’ pour ne pas dire atomisés et si c‘est en visio, c’est encore mieux imagine-t-on, notamment parce que dans des académies très étendues, le trajet aller-retour sera au moins aussi long que la durée de la formation elle-même … Dans tous les cas, cette atomisation ne pourra que réduire l’action des formateurs à une information magistrale des « bonnes pratiques » inventoriées par le ministère, sans que les formateurs ne puissent réellement proposer de temps d’appropriation, de réflexion sur les propositions de chercheurs en didactique.
Si ce travail n’est plus possible, comment oser encore appeler cela formation ? Ou plutôt, quelles sont les fonctions assignées à la formation ? Être uniquement la voix de son maitre déversée « magistralement » en attendant que les enseignants appliquent ? Et dans ce cas, en effet, autant le faire par caméra interposée. Nul besoin de se réunir dans une salle pour échanger, mutualiser, réfléchir ensemble et dans un contact direct et humain. Se former ne relève donc plus d’une volonté de développer des compétences professionnelles indispensables : analyser son activité d’enseignant, celle de ses élèves pour mieux ajuster ses gestes professionnels, être un professionnel réflexif, mais aussi inventif. Non, la formation n’a plus cette visée humaniste et élévatrice. Elle n’est plus vraiment de la formation, mais de l’information. L’étiquette subsiste car le ministère ne peut s’exempter de fournir à ses personnels ce à quoi tout professionnel a droit, mais c’est à peu près tout ce qu’il va rester.
La formation continue, pourquoi tant de haine ?
On peut imaginer que le ministre a trouvé un appui réel dans le référé de la cour des comptes qui contient en lui-même les contradictions déjà existantes entre la conception ‘’théorique’’ que l’on peut avoir de la formation et de sa nécessité pour les personnels et les moyens alloués et modalités imposées. En effet, si le rapport souligne la nécessité de la formation continue pour le développement professionnel et l’impact que cela peut avoir sur la réussite des élèves, si le rapport montre à quel point la formation continue est un maillon très faible dans le système français par rapport aux autres pays européens (cf. rapport de l’OCDE), la cour des comptes propose des pistes d’amélioration qui vont de la formation sur temps de vacances à son corollaire obligé : la redéfinition du services des enseignants (modifications des obligations de service, annualisation du temps de travail, formation obligatoire prise dans le temps de service et placée sur temps hors scolaire). Si le ministre a réaffirmé la nécessité de la formation des enseignants, il n’empêche qu’il impose, à marche forcée, une redéfinition de celle-ci et de ses modalités, tant pour les formés que pour les formateurs qui sont, comme d’habitude, mis devant le fait accompli.
Le ministre vise donc à :
. faire des économies (c’est bien le sens et la fonction des rapports de la Cour des comptes) sur le dos des personnels ;
. à modifier le statut et le service des enseignants ; idée dans l’air de la droite depuis bien longtemps déjà puisque le temps de service est toujours fondé sur le temps devant élèves qui parait aux yeux de tout un chacun injuste au regard du temps de travail obligatoire, mais au final, les études (même celles du ministère) montrent que le temps de travail d’un enseignant dépasse largement le temps légal de travail (35h) ;
. à conformer les professeurs : on ne cesse de souligner les difficultés à faire face à l’hétérogénéité toujours plus croissante des élèves, aux nouvelles technologies qui nous encerclent au quotidien, aux nouvelles visions du monde qui s’en dégagent. Faire rencontrer aux enseignants les savoirs et instruments culturels divers dont ils ont besoin pour comprendre l'évolution des modes de vie, de penser, comprendre les projets des enfants/ adolescents dans leur immense diversité culturelle et sociale demande du temps et de la réflexivité. Mais comment y parvenir si on ne nous laisse jamais le temps d’y réfléchir, si on se sent sans cesse attaqués, délégitimés, non reconnus dans le travail fourni de manière REELLE et non fantasmée ?
Les professeurs aspirent à une formation au long cours, stimulante
Les formateurs, les enseignants, et les élèves au bout de la chaine méritent mieux que ces ajustements de bouts de ficelle qu’on leur impose. Nous attendons donc que soit proposée :
. une formation étroitement liée au travail collaboratif des enseignants, pour préparer, mettre en place, accompagner, évaluer de vrais projets éducatifs ajustés à la diversité des publics ;
. une formation assurée par des formateurs formés à la recherche, qui permette la proximité et les liens avec des équipes de recherche (comme les LEA), l'ouverture culturelle aux sciences sociales, cognitives, au numérique ;
. une formation qui prend en compte le temps long pour que ces formations portent leur fruit et permettent de faire évoluer les pratiques ;
. une formation qui valorise reconnaisse l'implication des enseignants dans des projets de recherche action formation.
En un mot une formation réflexive, exigeante, au long cours, reconnue, qui n’abime pas le statut des professeurs, invités à suivre des formations, payés en heures supplémentaires !
Que le ministre cesse son discours au moins-disant avec des "fondamentaux" (expression creuse et piégée) et leur mise en œuvre, visiblement inefficace au regard des résultats en proportion du nombre d'heures qui y sont consacrées en France.
Apprendre aux élèves à penser, questionner le monde dans lequel ils vivent, demande aujourd'hui et de façon urgente une large pluridisciplinarité, des pratiques langagières très ajustées à ces différentes formes de réflexion didactique, une réelle formation de tous les professeurs, exigeante et digne des missions qu’ils ont à accomplir auprès des élèves.
Pour l’AFEF, Isabelle HENRY et Karine RISSELIN
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