Ognon... Chronique de Alain Chevarin


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Le fait que, en ce mois de mai 2017, vingt-sept ans après la publication des « rectifications orthographiques » recommandées par le Conseil supérieur de la langue française en 1990 et insérées par Darcos dans les programmes scolaires en 2008, une chroniqueuse de télévision en mal de buzz ait vivement reproché à l’ex-ministre de l’éducation Vallaud-Belkacem cette prétendue « réforme de l’orthographe » est révélateur de deux phénomènes inquiétants, l’un sociétal, l’autre politique.

D’une part, cela témoigne de la persistance d’un attachement irrationnel à une orthographe immuable et figée jusque dans ses aberrations. C’est ce qui conduit certain-e-s à s’insurger contre la suppression du -i- de oignon, qui n’est ni prononcé ni étymologique, ou contre la correction de nénuphar en un nénufar conforme à l’étymologie, ou contre le fait d’écrire désormais portemonnaie sans tiret comme on écrivait depuis longtemps portefeuille. Quant à la suppression de l’accent circonflexe sur, seulement, certains -u- et -i- pour lesquels il ne joue aucun rôle dans la langue actuelle (il est conservé lorsqu’il a une valeur distinctive, comme dans mûr / mur), elle est vécue comme un véritable scandale, et l’introduction à l’école de cette orthographe rectifiée conduit à vouer aux gémonies le ministre qui a osé suivre les recommandations du Conseil supérieur.

Ou plutôt la ministre. Car lorsque, en juin 2008, sous Sarkozy, le ministère Darcos fait inscrire dans les programmes que, en primaire « L’orthographe révisée est la référence [] », et que au collège « Pour l’enseignement de la langue française, le professeur tient compte des rectifications de l’orthographe proposées par le Rapport du Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française », il n’y a pas de réaction notable. Mais lorsque, fin 2015, le ministère de Vallaud-Belkacem reprend la même consigne : « L’enseignement de l’orthographe a pour référence les rectifications orthographiques publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990 », et que, dans la foulée, en février 2016 des éditeurs de manuels décident de l’appliquer, c’est la curée : droite et extrême droite dénoncent un « nivellement par le bas » (Ciotti) ou « une « réforme-massacre de notre belle langue française ! » (Philippot). Pour La Manif pour tous, « @fhollande s’attaque à notre identité », et Laurence Parisot ressent une « Fêlure à l’âme ». Et cela va des propos policés de Fillon (« ce n’est vraiment pas le moment ») jusqu’aux déferlements racistes d’internautes cachés derrière leurs pseudos : « notre langue doit rester ce qu’elle était, si c’est trop fatigant pour un arabe d’apprendre à mettre des accents qu’ils retournent au pays ».

Enfin, tristement révélateur, un dernier fait en dit long sur les « défenseurs du circonflexe ». Après le massacre à Charlie Hebdo, les internautes avaient exprimé leur soutien avec l’expression « Je suis Charlie » et créé sur Twitter le mot-dièse #jesuisCharlie, qui a été repris au fil des attentats sous les formes #jesuisBruxelles ou #jesuisParis. En février 2016, quand les éditeurs de manuels scolaires s’apprêtent à tenir compte de quelques rectifications orthographiques, d’aucuns ont jugé bon de créer le mot-dièse #jesuiscirconflexe. Et dans un amalgame qui ne paraît pas les gêner, certains se jetteront dessus, de Philippot : « Face à l’infâme et bête réforme, devant laquelle quelques démagogues se pâment, parce que le français est notre âme, #Jesuiscirconflexe » à Estrosi : « Refusons la réforme absurde de l’orthographe et le nivellement vers le bas ! #Jesuiscirconflexe » …

Alain Chevarin

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Soumis par   le 01 Juin 2017