Le dimanche 9 février, dans l'émission "Le Grand Jury" de RTL, Jean-François Copé s'insurgeait contre la publicité faite, grâce à l'ABCD de l'égalité, à l'album Tous à poil de Claire Franek et Mac Daniau (éditions du Rouergue).
Les réactions ne se font pas attendre, l'espace Presse de l'UMP, le 10 février, reprend et justifie les propos de son chef de parti sous le titre : « Tous à poil » : Jean-François Copé pose une question que de nombreux parents d'élèves se posent. Cela mérite une réponse claire de Vincent Peillon
Le Figaro, le même jour, donne la parole aux auteurs et à l'éditrice : L'album Tous à poil ! attaqué par Copé: les auteurs se défendent. "«Nous avons toujours édité des livres qui traitent par l'humour de questions essentielles. Cela reste des livres destinés aux enfants. Aujourd'hui, on veut les instrumentaliser. Il est dommage que la littérature jeunesse devienne un enjeu dans un débat sur la supposée théorie du genre. D'autant que depuis quelques temps, d'autres de nos livres sont violemment critiqués», déclare l'éditrice Sylvie Gracia."
Les soutiens sont unanimes. Glané sur le web...
Jean-Michel Apathie, sur RTL.fr (12 février 2014) titre "Tous à poil" : ça déconne totalement ! et conclut : "Il faut arrêter de fantasmer et désigner à la vindicte publique ceux qui racontent n'importe quoi sur la théorie du genre. il faudrait instaurer un seul mot d'ordre : "Tous à poil !"
Claude Ponti, sur Libération.fr (12 février 2014), s'insurge : "Critiquer un livre pour enfant sans le comprendre est bête !". "Les enfants méritent le meilleur de nous. Pas l’à-peu-près, pas la manipulation ou l’utilisation, jamais l’ignorance, l’hypocrisie ou l’incompétence."
D'autres auteurs élargissent la question. Sur LePoint.fr (12 février 2014), Marion Cocquet, dans Théorie du genre : la littérature jeunesse, un danger pour nos enfants ? fait état de la consternation des éditeurs, voire de leur amusement, et revient sur différents albums qui n'avaient pas fait de vague jusque-là, notamment sur Petit-Bleu et Petit-Jaune, de Leo Lionni, vendu à des centaines de milliers d'exemplaires et où certains lisent une évocation de l'homosexualité. "Le livre parle des différences et de la tolérance, note Louis Delas. Il a été révolutionnaire, c'est désormais un classique."
Et Quentin Girard, sur Libération.fr (11 février 2014), s'interroge sur Les livres de jeunesse pour faire plaisir à Copé : "«Max et les maximonstres», «le Livre de la jungle» ou «Blanche-neige et les sept nains» sont-ils vraiment des ouvrages à confier aux enfants ?" "Pour faciliter la tâche de Jean- François Copé, nous avons dressé une liste d’ouvrages. Car, même parmi les grands classiques, selon les critères du président de l’UMP et de ses amis, certains sont plus que déviants." Et de dresser une liste : Les Trois brigands, de Tomi Ungerer, Max et les maximonstres, de Maurice Sendak, Puni-Cagibi, d’Alain Serres et Claude K. Dubois, De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch, Jérôme par coeur, de Thomas Scotto et Olivier Tallec. La liste est encore longue, précise l'auteur, de Blanche-Neige au Livre de la Jungle, en passant par Boucle d'Or. Avant de conclure : "PS : vous l’aurez compris, les histoires citées ci-dessus sont souvent excellentes. Elles sont le signe d’une littérature jeunesse diversifiée et créative. L’enfant a aussi besoin de rêve, d’imagination et d’une certaine irrévérence pour grandir."
Signalons aussi, sur le blog de l'Ecole des Lettres, la déclaration : L’Association des bibliothécaires de France s’oppose aux tentatives de censure des bibliothèques publiques
Et Mattea Battaglia, dans Le Monde du 14 février (Lemonde.fr 13/02), rappelle, avec "Théorie du genre" ; ces livres qui ont alimenté la rumeur", que ces ouvrages de littérature jeunesse (…) ont surtout alimenté les fantasmes de ceux qui voient, dans les « ABCD de l'égalité », « l'invasion » d'une prétendue théorie du genre à l'école. « Aucun journaliste, aucun politique n'a lu mon livre », s'amuse Piotr Barsony, qui a cosigné il y a dix ans Papa porte une robe (Seuil, 2004). Et il donne la parole à Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUIPP : « Il ne s'agit pas de faire la promotion de telle ou telle orientation sexuelle, mais d'aider les professeurs des écoles à aborder la question si les enfants la mettent en avant. L'école, la classe, la cour de récréation sont des lieux où se construit la personnalité des enfants, où s'ancrent également les stéréotypes, et qui n'est pas à l'abri, loin s'en faut, des discriminations, rappelle-t-il. Faire comme si ces livres constituaient un danger, une atteinte à la pudeur, c'est totalement grotesque ! »
Cela dit, les libraires peuvent se réjouir, s'ils avaient du stock de l'album incriminé, ils n'auront pas eu du mal à l'écouler cette semaine. Et peut-être aussi à faire connaitre d'autres albums. Et le géant Amazon se frotte les mains, qui classe le 13 février Tous à poil ! de Claire Franek et Marc Daniau n°1 meilleure vente dans Livres. Bonnes lectures !
Suite... Le Monde du 14 février propose un dossier Décryptages : "Y a-t-il trop d’études de genre dans la littérature jeunesse ?" avec deux points de vues : Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse, estime que « les livres pour enfants ne sont pas des manuels de morale ». En revanche, pour le pédopsychiatre et psychanalyste Christian Flavigny, « L'enfant n'est pas un adulte en miniature, et certains livres malmènent ses repères fondateurs entre les sexes et les générations »
Le 15 février, toujours dans le Monde, Mattea Bettaglia titre : "Effrayé par les rumeurs sur le genre, un collège annule une pièce contre le sexisme". "Sur le site Internet de la compagnie théâtrale Interligne, l'information apparaît en « une », sous l'onglet « actualités ». La représentation scolaire du spectacle Quand même !, programmée le 13 février au lycée Grandmont, à Tours, a été « annulée ». Une nouvelle victime des polémiques et des rumeurs sur la diffusion d'une prétendue « théorie du genre » à l'école ?"
Et Libération, le 19 février, réserve sa rubrique Portrait aux deux auteurs de "Tous à poil" : "Marc Daniau et Claire Franek : tout nus et tous à poil". "Lorsqu’ils ont commencé, dans les années 90, la liberté était totale. «Aujourd’hui, les éditeurs sont peut-être un peu plus frileux», explique Claire Franek. En cause, une pression commerciale plus forte, des sorties plus nombreuses, une durée de vie du livre moins longue. «Avant on imprimait entre 5 000 et 8 000 exemplaires, maintenant cela dépasse rarement 3 000», à savoir le nombre d’exemplaires bientôt écoulés de Tous à poil !"
- Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire