Quelques remarques sur les tests évaluatifs du CP et CE1 de cette année et leurs résultats


de Dominique Bucheton

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 Dominique Bucheton,                                 
Vice-présidente de l’AFEF,                              
Professeure honoraire à la faculté d’éducation de Montpellier2,
Ex directrice du laboratoire de recherche LIRDEF de Montpellier,
     

 

Les limites de mon propos : Je n’ai eu en ma possession que les guides et livrets élèves de 2019, auxquels sont venus s’ajouter les résultats des tests de cette année 2020 et les multiples comparaisons qui sont faites par rapport à 2019. Le document du ministère qui affirme que très peu de changements ont été apportés dans les objectifs évaluatifs de cette année est particulièrement difficile à lire. J’y ai passé pas loin de six heures et je doute que des conseiller.es pédagogiques surchargé.es de tâches acceptent de s’y plonger.

L’étude, certes rapide de ces documents a suscité chez moi une très grande consternation et une vive inquiétude. Et ce pour divers motifs.

1) L’absence de l’évaluation des compétences d’écriture

Enseignante, formatrice, chercheuse ayant très longuement travaillé en didactique du français et particulièrement en didactique de l’écriture, je ne trouve dans ces tests et repères RIEN SUR L’écriture. Mis à part le fait en CE1 d’orthographier quelques mots en principe connus et mémorisés globalement depuis la grande section (les jours de la semaine, ou mois de l’année) ou de contrôler des correspondances phonie/graphie de quelques syllabes complexes. Quelle belle ambition !  Le document de présentation affirme que « ces évaluations sont une « photographie » des connaissances et compétences en français ». FAUX :  les élèves de CP et CE1 sont capables de produire des phrases et des petits textes dans des contextes disciplinaires variés et c’est à cette occasion qu’ils enrichissent leurs maniements de la langue et les premiers éléments de la grammaire. Évaluer cette compétence demande qu’on s’y intéresse et qu’on en ait mesuré les enjeux notamment pour l’apprentissage de la lecture (voir recherche Goigoux et travaux LIRDEF de Montpellier) ! Écrire une phrase, un petit texte avec un lanceur, pour raconter expliquer, commenter, écrire une liste de mots autour d’un thème ou d’une question, avant ou après une séance etc… N’est-ce pas une compétence clé pour apprendre à penser, à travailler « le stylo à la main », en CP comme en CE1. Supposer qu’elle vient bien après l’acquisition de la lecture est faux et très réducteur en termes de curricula y compris par rapport aux IO de 2015.

2) La confusion langue et langage (voir le socle commun qui demande la maitrise des « langages »)

La photographie que donnent ces résultats est donc celle très limitée de connaissances et compétences sur quelques aspects du système de la langue. Mais absolument pas du/des langages. L’enseignement du français dans toutes les disciplines vise à conduire les élèves à se parler, écrire, lire pour communiquer, s’écouter, comprendre, penser et apprendre, etc... Un enseignement qui commence dès la maternelle. Il y a quarante ans l’objectif demandé était de ne pas dépasser « la phrase en CM2, le paragraphe en 6ème et peut-être un texte en 5ème » (extrait d’un CR d’inspection en 1990). Avec ces évaluations, on y revient. Les concepteurs de ces évaluations ont donc des conceptions très limitées de ce que c’est que le langage et les conditions de ses apprentissages. Ils confondent le système de la langue et la question du langage. (La didactique du français et les programmes depuis quarante ans de travaux et recherches, pratiques professionnelles, instructions discutées, ont montré qu’on ne peut dissocier sans risque de perte de sens et motivation pour les élèves ces deux dimensions :  le travail sur la langue et celui sur les langages et donc les contextes dans lesquels ils  sont mis en œuvre.

3) Une conception discutable du développement des apprentissages langagiers

- Ces tests sont en contradiction avec la notion de cycle : laisser du temps au temps
Qui a enseigné en maternelle, CP, CE1, voire collège sait combien l’évolution, maturation des capacités d’attention, conceptualisation, assimilation des apprentissages des élèves sont diverses selon les élèves, et bien souvent peu corrélées au temps des apprentissages scolaires. Certains en CP « déclenchent » l’association graphie-phonie en octobre, d’autres en janvier, ou à Pâques, ou en CE1 voire plus tard ! (Axel Kahn écrit avoir appris à lire en 5ème). Et ceci pour des raisons multiples que l’on ne connait pas. Les élèves ne sont pas des algorithmes programmables. Les tests, tels qu’ils sont conçus, mettent en échec 15 à 20 % des élèves à l’entrée de l’année : c’est bien là le risque d’un stigmate psychologique qui, si on regarde les résultats de CE1, les poursuit. L’apprentissage des lettres au travers de toutes sortes de jeux d’écriture en GS de maternelle est une visée non un requis en fin d’année. Patience donc. Vertu première du pédagogue bienveillant.

- La doctrine du « décodage d’abord » : une mono conception dangereuse de l’entrée dans la lecture : Les concepteurs des tests vérifient par les évaluations leurs propres conceptions de l’apprentissage du lire : selon eux l’apprentissage de la lecture relèverait d’une progressivité du simple : les lettres, les sons, au complexe : la phrase, le texte. Cette conception et donc la méthode proposée n’a jamais été démontréeNous ne savons pas comment le cerveau pense, élabore des raisonnements. On peut aujourd’hui voir des circuits, des aires de stimulations, voire leurs connexions, des réponses à celles-ci mais pas des raisonnements. On en est très loin disent les neuroscientifiques sérieux.  La méthode dite « syllabique » ou ses avatars   fonctionne peut-être pour certains cerveaux déjà très organisés, déductifs, non pour d’autres. On connait les cas assez nombreux de ceux qui apprennent à lire tout seuls, ou qui ont l’orthographe « naturelle » sans en connaître les règles) : Ils se sont construit leurs propres circuits dans divers contextes.

Les tests prétendent être là pour proposer des remédiations spécifiques aux élèves classés en trois ou quatre groupes. Des « entrainements » sur de petites tâches décontextualisées risquent fort de ne pas aboutir (comme les exercices de Bled si longtemps pratiqués à satiété sans grands effets sur l’orthographe ! La sagesse pédagogique est donc de multiplier, diversifier les approches du lire écrire. Et par exemple notamment de faire écrire pour faire résoudre des problèmes de graphie phonie, créer le besoin de discriminer un son une lettre, interroger la difficulté de certaines pluri-phoniques (G).

- Une curieuse conception de la compréhension et de ses conditions

Autre remarque, les tests CE1 présupposent que » lire dans sa tête » au sens de décoder suffit pour comprendre un texte long donné. Ce serait une opération simultanée ! Fichtre ! On peut lire de l’anglais sans rien y comprendre ! Pour avoir lu une seule fois moi-même certains des textes proposés aux élèves, je me suis surprise à être incapable de donner deux réponses sur quatre (je n’avais pas mémorisé, le récit n’avait aucun intérêt pour moi ou le texte documentaire comportait trop d’informations, etc.). Ou alors je connaissais la réponse depuis longtemps et je n’avais pas besoin du texte. Autrement dit les paramètres de la compréhension sont très multiples. On le sait ! Les tests ainsi risquent de classer les élèves « en difficulté de compréhension » alors que le problème est ailleurs. Ils doivent être faits en relation avec la classe et réfléchis et proposés dans des contextes familiers aux élèves de l’établissement.

- Peu de progrès d’après ces tests en REP entre le CP et le CE1, sur des items proches : Une étude très critique et fine s’impose.

Les évaluations CE2 semblent montrer que y compris sur les items linguistiques les plus simples, les progrès depuis le CP sont peu spectaculaires. Évalue-t-on vraiment les compétences de lecture des élèves de CE1 au travers de ces tests de décodage parfois infantilisants ? Autre question : pourquoi, la focalisation demandée aux enseignants de CP (livet de rentrée et formations diverses), sur ces compétences phonographiques supposées de base semble avoir produit si peu de fruits… En REP il y a eu en 2018-2019 des classes dédoublées, certes avec un mois de confinement, et pas de résultats spectaculaires ! On reste avec 15 à 20% d’échecs sur ces items, moins en compréhension ! La potion serait-elle plus délétère que le mal. Les résultats globaux montrent qu’en début d’année, les élèves défavorisées de CP et de CE1 de Rep, sont dans la même situation désespérante devant ces tests (voir doc du ministère)

4) Le plus consternant et le plus grave : un effet dévastateur de réduction des objectifs d’enseignement du français et une diminution des compétences langagières des élèves.

Ces évaluations pour tout dire simplistes, naïves, mal faites, déconnectées de tout ce qu’on a pu apprendre et comprendre sur l’entrée en littératie, font courir le risque d’une réduction majeure des objectifs d’apprentissages langagiers et compétences du lire-écrire-parler exigées dans le socle commun. En présentant comme des obstacles incontournables, premiers, demandant des remédiations-renforcement, on va amener les enseignants à délaisser (question de temps) tous les apprentissages culturels autres, les activité réflexives portées par des activités langagières, orales écrites et de lecture. On va ainsi « enfoncer » un peu plus les enfants des milieux populaires qui y ont peu accès. Les écarts avec les élèves des écoles privées montrent que, eux, trouvent chez eux la culture, les lectures nécessaires. Les travaux de recherche internationaux qui analysent cette gestion computationnelle des savoirs des élèves pour piloter les systèmes éducatifs font deux constats : le premier est une augmentation du principe de tri précoce des élèves. Le deuxième est une diminution des curricula. En éliminant ce qui est difficile à évaluer par des tests standardisés : l’écriture, l’oral, en évaluant en même temps l’obédience des enseignants à ces préconisations très surveillées plusieurs fois dans l’année, on est en train d’affaiblir et mettre en danger les finalités de l’éducation : développer le pouvoir de penser, développer un haut niveau de culture.

 

 

Soumis par   le 27 Novembre 2020