Trois romans qui parlent de racines, L’hippopotame de Manjura (Laurent Massias), L'enfant au bout de la plage (Linda Olsson), la peur de grandir (Fatou Diome)...


par Marlène Lebrun

Lire le billet en format Word

L’été, le temps de lire, le temps des coups de cœur. C’est justement un petit bonheur lectoral  que je voudrais  partager : le premier roman de Laurent Massias, L’hippopotame de Manjura[i]. Pour pallier les dérives technicistes et structuralistes, Tzetan Todorov[ii] a rappelé les véritables enjeux de la lecture littéraire à l’école, une paidéïa[iii] sans laquelle il n’y a pas de littérature qui vaille, une aventure de l’humain  pour éviter que  le texte littéraire ne soit  en péril  et reste une belle aux pages dormantes, faute de sens.

C’est du double point de vue d’une amatrice éclairée de littérature, au sens de Jean-Louis Dumortier[iv], et d’une didacticienne du français que s’écrit cette note de lecture. Le roman de Laurent Massias est un récit initiatique qui narre la quête identitaire d’un jeune Malgache retiré de son île natale pour être adopté par un couple de Français qui le ramènent dans l’hexagone. Arrachement pour ce petit  de huit ans qui  était heureux dans son orphelinat à Madagascar où, entouré de l’amour bienveillant  des religieuses, le jeune Malgache connait ses premiers émois amoureux. S’il sait que l’adoption concrétise une chance d’avenir pour un petit orphelin,  Mahaléo ressent des sentiments ambivalents  oscillant entre l’espoir et la crainte. L’exil sera  l’histoire d’une acculturation, d’une re-construction auprès de ses parents adoptifs.

 En parallèle  s’entrecroisent et se déclinent deux histoires, chapitre après chapitre, celle des parents pour qui l’arrivée de ce jeune Malgache dans leur couple constitue un  choc et un révélateur, et celle du  jeune garçon dont le lecteur suit le parcours identitaire jusqu'à l’adolescence. L’acculturation  sera  lente, semée de blessures, d’aléas, pour apprivoiser une nouvelle culture,  de nouveaux lieux, de nouveaux amis, de nouveaux parents, bref pour grandir. En classe, l’interprétation du Petit Prince[v] permet à   Mahaléo,  d’être compris, voire admiré par ses pairs.

 Le décentrement de soi qu’impose une adoption, impliquant une histoire d’amour à construire, sera impossible  pour le père adoptif. Un portrait au vitriol d’un « beauf » qui, en dehors du foot, a peu de  centres d’intérêt. Chemin faisant, le lecteur retiendra les paysages de Madagascar, la découverte passionnée de la musique qui deviendra la profession d’un adolescent  ayant eu  à subir la violence incontrôlée d’un père adoptif pas assez mature pour apprendre à aimer et à faire grandir un enfant déraciné et fragile.

Si lire c’est lier, ce roman qui parle aux affects peut être mis en réseau  avec  deux autres romans qui parlent aussi de racines, de résilience et d’exorcisme. L’enfant au bout de la plage[vi]de la Néo-Zélandaise  Linda Olsson narre la rencontre  d’une quinquagénaire solitaire et d’un jeune garçon autiste. Ils ont tous les deux en commun un passé douloureux qu’ils vont s’aider à exorciser mutuellement.  La musique sera aussi un vecteur identitaire. Dans La peur de grandir de Fatou Diome[vii], l’écrivaine raconte la difficulté d’oublier, de cicatriser les blessures quand on a une enfance où l’on a connu le rejet des siens pour faute de bâtardise. Comme  pour le petit Malgache, c’est l’amour inconditionnel des grands-parents qui sauve de tout  et donne  à la Petite la force de continuer.

Trois romans sensibles et poignants à lire en réseau  avec des adolescents : une langue simple qui parle au cœur et qui, in fine, donne à penser sur toutes les facettes de l’amour sans lequel, quelle que soit sa formule, fraternelle, filiale, amicale, amoureuse, aucune résilience n’est possible. Chacun des jeunes héros  a su faire face aux loups[viii] pour enfin grandir et vivre.  Dans les trois romans, la musique, force de vie,  tient une place symbolique prépondérante. Chaque auteur entrecroise les histoires, celle du passé qui resurgit, qui a  blessé  mais  dont  on apprend à ne plus  avoir peur parce qu’il vous constitue et donne même du  sens au présent pour vivre  enfin son avenir  avec force et confiance.

A une époque consumériste où le présent, pas celui du carpe diem, dévore l’avenir, nul doute que ces trois romans interpelleront  des adolescents friands de quête de sens à travers des débats interprétatifs et des  partages de lecture.

 



[i] MASSIAS, Laurent (2014) : L’hippopotame de Manjura,  Edition la société des écrivains.

[ii]TODOROV, Tzetan (2007), La littérature en péril, Paris,   Flammarion, coll. Café Voltaire.

[iii]Le mot paedeia or paideia (παιδεία) signifie « éducation  en grec ancien.  A Athènes,  l’ éducation  était comprise comme modelage ou élévation, par laquelle les étudiants s'élevaient à leur « vraie » forme, celle de l'authentique nature humaine.

[iv]DUMORTIER, Jean-Louis (2001). Lire le récit de fiction. Pour étayer un apprentissage : de la théorie à la pratique. Bruxelles : De Boeck Duculot.

[v]C’est aussi ce roman de Saint Exupéry qui constituera pour la petite du roman de  Fatou Diome, qui l’a lu et relu moult fois,  un révélateur et un indice  de la confiance que l’on peut  accorder  ou non aux adultes.

[vi] OLSSON  Linda (2011, 2014 pour la traduction française) : L’enfant au bout de la plage, Editions de l’archipel.

[vii]DIOME, Fatou (2013) : Impossible de grandir, Paris, Flammarion.

[viii]DIOME, Fatou (Ibid.) : « Devenir adulte, c’est oser se retourner et, enfin, faire face aux loups. ». Il devient alors possible de grandir.

Soumis par   le 27 August 2014