Conférence de consensus, Lyon, mars 2016 : que faut-il retenir, à la veille de la publication des recommandations du jury ?


de Joëlle Thébault

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La récente conférence de consensus est l’occasion pour nous, en attendant les recommandations du jury (rendues publiques le 7 avril) de faire le point sur quelques acquis et quelques interrogations.

 

Elle s’inscrit dans une parfaite continuité avec la conférence de 2003, puisque celle-ci soulignait déjà (O. Dezutter, J-E Gombert) :

-       la nécessité de travailler simultanément le code et le sens ;

-       l’importance de l’automatisation de mécanismes de base et de stratégies ;

-       l’importance de l’explicitation (ou métacognition) ;

-       la nécessité d’enseigner la compréhension (on sait que c’est possible) ;

-       la nécessité de construire didactiquement le lien lecture-écriture.

 

L’observation des pratiques montre que ces préconisations ont hélas eu peu d’effet dans les classes : poids des habitudes, manque de volonté politique ou de formation professionnelle ? Tout cela à la fois peut-être. 

 

Or, dans le même temps, les enjeux de ces apprentissages sont devenus de plus en plus criants, puisqu’on constate simultanément :

-       le développement exponentiel du rôle de l’écrit dans notre société, en particulier sur des supports numériques (H. Fernandez, J. Morais, J-F. Rouet) ;

-       l’aggravation des écarts entre les élèves qui réussissent le mieux et les élèves les plus faibles, soulignée par toutes les évaluations nationales ou internationales, quel que soit l’âge des élèves évalués et les supports de lecture concernés (O. Dezutter, T. Rocher, J. Morais). 

 

Nous sommes un pays moyennement performant, et particulièrement inéquitable… 

(T. Rocher)

*

Ce qu’on sait :

-       La complexité de l’acte de lire est telle que les apprentissages impliqués, implicites et explicites, sont très nombreux. Il aurait fallu compter le nombre d’occurrences du mot stratégies : il a été présent, et plusieurs fois, dans toutes les interventions.

-       Tous réaffirment le caractère indispensable de la fluidité dans l’identification des mots écrits, sur laquelle repose tout le reste, en même temps que la mise en place et le développement de capacités réflexives :  Il faut un apprentissage continu de la lecture, développant à la fois  les automatismes nécessaires à une lecture fluide en contexte et des capacités réflexives : une lecture stratégique, composante de la métacognition, qui permet de raisonner, d’utiliser des modèles de situation, de s’auto-évaluer et de réguler sa lecture. (M. Bianco)

-       Le travail sur la compréhension doit commencer très tôt et se poursuivre assidument à toutes les étapes de la scolarité, voire au-delà de la scolarité obligatoire (T. Rocher, M. Bianco, S. Cèbe).

-       L’entrée en littératie doit se faire dès la petite enfance (J. Morais). Les compétences de lecteur doivent être entretenues tout au long de la vie, sinon elles s’érodent (H. Fernandez).

La pratique de la lecture a un effet déterminant : la condition essentielle à l’apprentissage implicite est un engagement délibéré dans le traitement des informations, ce qui suppose gout et habitude de lire. (B. Lété)

 

Ce qui interroge : une réflexion doit avoir lieu à propos des supports.

-        La lecture de textes n’est efficace pour les apprentis lecteurs que si un nombre suffisant de mots peut être reconnu (J. Morais, B. Lété, J. Ecalle). Mais apprendre à comprendre suppose des supports complexes, pour percevoir les opérations intellectuelles en jeu et acquérir les stratégies indispensables (M. Bianco).

Une priorité serait donc d’utiliser des supports différents selon qu’on vise à entrainer soit la reconnaissance des mots, soit la compréhension dans un texte oralisé par l’enseignant.  Il faudrait aider les enseignants à s’autoriser à avoir de vrais temps de travail à l’oral(R. Goigoux).

-       Pour ne pas enfermer les élèves dans l’échec, on peut procéder à des évaluations et mener des activités ciblées (J. Ecalle). On peut différencier sur un même support les objectifs et les activités, de façon à mettre les élèves face à des tâches maitrisables sans exclure ou bien ajuster le travail aux possibilités des élèves (extraits, parties travaillées à l’oral) en gardant un cadre commun(M. Bianco).

-       Pour que les adolescents lisent suffisamment, il devient impératif dedéplacer les représentations communes sur ce qu’il convient de lire en tenant compte de ce qu’est la lecture des adultes (qui lisent plus qu’ils ne le disent) : il ne s’agit pas de livres, encore moins de littérature. A côté du développement d’une lecture littéraire (J-L. Dufays, A. Vibert), il faut donc diversifier les supports et les modalités de lecture (A. Vibert) donner sa place à la lecture de textes informatifs, qui rebute moins les garçons (S. De Croix, C. Détrez). C’est seulement à ce prix que l’on peut s’attaquer à toutes les difficultés spécifiques présentées par les textes documentaires (M. Jaubert, S. De Croix), en particulier sur support numérique (J-F. Rouet, A. Tricot).

-       Quant au rôle des enseignants des différentes disciplines dans la lecture, il semble de plus en plus urgent de mettre en place un travail en commun français-autres disciplines, avec l’aide du professeur documentaliste quand c’est possible : apprendre à apprendre en lisant n’est pas une perte de temps (M. Jaubert, S. De Croix, J-F. Rouet)

Ce qui reste à faire :

Pour une part importante, ces propos sont en cohérence avec les programmes qui devront être mis en œuvre à partir de la rentrée 2016 : on le constate par exemple dans la poursuite de l’apprentissage de la lecture bien au-delà du CP, dans la place donnée à un apprentissage explicite de la compréhension (de la maternelle au collège), dans l’insistance sur les croisements entre disciplines (Vibert).

Reste aux enseignants la responsabilité de s’en emparer. Un appui précieux pourrait être apporté dans cette évolution par une formation initiale et continue à la hauteur des enjeux, évoquée par beaucoup d’intervenants, et que personne ne conteste. Mais comme le faisait remarquer J-F. Rouet, il est vain de s’en référer à ce mythe : une formation totalement adaptée verra-t-elle le jour ? A-t-elle même jamais vraiment existé ?

La voie est ouverte, et c’est dans les  initiatives multiples que l’on peut placer son espoir. C’est ce que l’AFEF entend poursuivre, en particulier dans le cadre des groupes de travail qui se mettent en place dans ses régionales. 

Soumis par   le 06 Avril 2016