Danièle MANESSE & Gilles SIOUFFI (dir.), Le féminin et le masculin dans la langue. L’écriture inclusive en questions,


Note de lecture de Marina KRYLYSCHIN - Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »

Danièle MANESSE & Gilles SIOUFFI (dir.), Le féminin et le masculin dans la langue. L’écriture inclusive en questions, Paris, E.S.F. « Sciences humaines », 2019 (207 p., 13,90 euros)

L’intention des auteurs, dans cet ouvrage, est d’éclairer par l’examen la question controversée, voire idéologique, de l’écriture inclusive, en documentant précisément, sans technicisme, la capacité prêtée à la langue française d’« exclure » l’Autre féminin, et d’observer comment les questions du genre et de l’écriture inclusive sont traitées dans d’autres pays et d’autres langues.

L’ouvrage s’organise en trois parties intitulées « Questions préalables », « Ce que l’histoire de la langue nous apprend », « Que se passe-t-il dans d’autres langues ? ». À la partie 1, dans l’article « L’écriture inclusive : question d’usage ou question d’autorité ? », Gilles Siouffi rappelle que les autorités compétentes concernant la langue en France n’ont pas toujours joué le rôle prescriptif qu’on imagine et que nombre de leurs instances, dotées d’une capacité législative, peinent aujourd’hui à construire de nouvelles normes dans les usages (la féminisation des noms de métiers, les recommandations concernant l’orthographe de 1990). La difficulté de construire et de faire appliquer des règles pour la langue française s’explique également par des phénomènes d’ordre socioculturel comme l’apparition de nouvelle normes communautaires, substituant à l’usage, à la langue comme bien commun, des manières de faire soucieuses de visibilité, et dont l’écriture inclusive serait une manifestation. Dans « La langue à tous ses niveaux face à l’écriture inclusive », Danièle Manesse distingue clairement les discours sur la langue de la langue, qui ne peut être à l’image du monde et qui sert à le dire. Le masculin de la langue n’est ainsi pas celui du monde sensible, et c’est sur cet amalgame que repose en partie l’argumentaire des partisans de l’écriture inclusive. De même, en imposant dans la langue écrite des traits qui n’ont pas leur origine dans la langue orale, ils ignorent le caractère d’abord oral de la langue avant d’être représentée à l’écrit. La relation oral/écrit se trouve ainsi perturbée sur le plan de la ponctuation, sur celui de la linéarité de l’écrit, et la mobilisation de signes inconstants sur le plan formel en malmène le caractère fixe, complique son apprentissage.

À la partie 2, dans « La question du neutre et la construction des accords depuis le latin vers le français », Bernard Colombat rappelle qu’il existait pour les latins quatre genres : le neutre, le féminin, le masculin et le commun ; que le neutre était également utilisé pour les êtres humains et pouvait aussi marquer une distinction entre le masculin et le féminin. Plus tard, les neutres latins se sont répartis entre le masculin et le féminin avant de disparaitre progressivement des grammaires à partir de 1530. Les accords de proximité, qui concernent le genre et le nombre, ont historiquement été l’objet de règles diverses parfois considérées comme des « anomalies ». Cette sensibilité latine à la discordance de genre a amené les grammairiens à poser une hiérarchie dans ces accidents et à juger le pluriel plus « digne » que le singulier, la première personne plus « digne » que la seconde, le masculin plus « digne » que le féminin, lui-même plus digne que le neutre, et avec le temps, l’appariement d’éléments en cas d’accord complexe est devenu plus normé. André Chervel revient dans « La place du masculin dans la langue française : pourquoi le masculin l’emporte sur le féminin » sur la dimension centrale du masculin dans l’économie générale du système de la langue française et replace l’opposition masculin/féminin dans un système d’oppositions autres, entre des formes de base et des formes construites historiquement sur ces bases (pluriel/singulier, substantif/adjectif, infinitif/autres formes verbales, première/seconde/troisième personne...). Dans « L’accord de proximité et la grammaire », l’auteur retrace des points de questionnement et de revirement concernant ce type d’accord et montre que l’usage est souvent passé outre l’avis des grammairiens. Dans « L’école au front ou l’école face à l’écriture inclusive », Danièle Manesse replace la question de l’écriture inclusive dans l’espace scolaire, face à la complexité de notre système d’écriture et aux difficultés inhérentes à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de la langue écrite.

À la partie 3, dans « Anglais et langue inclusive : multiplication des marques ou neutrali- sation ? », Élise Mignot revient sur le caractère masculin du lexique anglais dont man et le pronom he qui, dans des lois diverses depuis 1850, référent aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Sur le plan de l’usage, une multiplication des marques de genre a été envisagée puis oubliée en faveur d’une stratégie de neutralisation, par le biais de néologismes ou bien en mobilisant l’existant dans la langue comme le pronom they.

Dans « La question du genre en Allemagne », Peter Eisenberg restitue les termes de l’important débat politique et linguistique que génère, en Allemagne, cette question et rappelle la possibilité qu’a la langue allemande, à travers le masculin générique, de désigner les personnes sans les discriminer. Dans « Le genre en langue arabe », Leda Mansour montre comment le sens du féminin et du masculin est marqué de façon instable en arabe : la marque du féminin n’est pas toujours présente et peut s’appliquer à des mots masculins naturels ou à des référents de sexe masculin. De même, des mots féminins peuvent recouvrir la forme du masculin et ne disposer d’aucune marque spécifique. Enfin, bien que, selon l’auteure, le genre ne soit pas une catégorie grammaticale en coréen, Joung Eun Rim explique, dans « Dire le genre en langue coréenne », le rôle communicationnel des désinences flexionnelles en coréen puis montre comment, concernant les noms de métiers ainsi que certains verbes d’action et de description, l’usage marque le genre biologique.

Marina KRYLYSCHIN

 

Soumis par   le 13 Janvier 2020