Enseigner l'oral ? Rencontre-débat de l'AFEF - Samedi 19 mars 2016


Animée par Maryse Rebière, avec la participation de Véronique Boiron, Claude Cortier et Corinne Weber. Lycée Paul-Bert, Paris 14ème

Problématique

Particulièrement sensibles aux implications sociales et culturelles de leur discipline, les enseignants de français constatent quotidiennement son rôle et particulièrement celui de l'oral, dans la sélection sociale et scolaire. En effet, si l'oral est le lieu "premier" de l'interaction sociale, il l'est aussi de l'élaboration cognitive. Des compétences orales sont requises dans presque toutes les disciplines dont elles sont, au côté des compétences scripturales, des outils majeurs de construction des savoirs. Les chercheurs, tant en français langue première qu'en français langue seconde ou étrangère ont régulièrement travaillé depuis une vingtaine d'années sur le rôle spécifique du langage écrit dans les processus d’apprentissage, de conceptualisation, d’affiliation aux diverses communautés disciplinaires, d'élaboration de sujet cognitif. L'oral, à la différence de l'écrit, est demeuré largement inexploré. Pourtant, la question de la définition de l'objet "oral" et de son enseignement n'est pas nouvelle. Une Lettre de la Didactique du Français Langue Maternelle (aujourd'hui Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français) de 1994 plaidait déjà pour une didactique de l'oral, "un chantier à ouvrir" écrivait E. Nonnon qui s'interrogeait sur les points auxquels nous nous heurtons en 2016 : "l'oral existe-t-il comme objet d'apprentissage et comme objet théorique ? [...] Comment articuler les pratiques orales comme moyen d'apprentissage et l'oral comme objet d'apprentissage?". On peut penser que l'état des pratiques tel qu'il est présenté dans cette Lettre de 1994 ne doit pas différer profondément de celui qu'on pourrait faire actuellement. Dans les écoles, collèges, lycées, universités, en formation des enseignants, il semble que les choses ont peu bougé ces vingt dernières années. Si le rôle des pratiques d'écrit est aujourd'hui reconnu, et particulièrement celui des pratiques d'écrit réflexif, l'école ignore majoritairement le rôle de médiation du travail langagier oral dans l'activité de conceptualisation (construction, déplacement de point de vue, négociations....), creuset de la secondarisation des pratiques langagières.  

Les enseignants y compris ceux de français, spécialistes de la langue, sont profondément démunis sur la manière d’aborder ce domaine. Si l'écrit leur semble un objet (relativement) cernable et enseignable, en revanche l'oral  des élèves, les variations langagières autant linguistiques que cognitives et culturelles, voire affectives, les outils pour l'analyser et les propositions d'enseignement leur échappent. Au final les élèves doivent souvent trouver leur chemin tout seuls dans ces divers modes de penser, parler, agir à l'école et dans la société.

 

 Apporter aux élèves les accompagnements nécessaires  est  une tâche prioritaire dans la lutte contre les inégalités sociales. Il importe d'inscrire cette priorité dans un continuum de la maternelle à l'université ce qui revient à  considérer les élèves dans leur diversité et leur globalité. Les nouveaux programmes vont dans ce sens quand ils rappellent l'importance d'un travail "intense" de l'oral. Si cette instruction est usuelle pour l'école primaire, en revanche elle est, ce qui est nouveau,  particulièrement  soulignée pour le cycle 4 où l'oral est élevé au rang d'entrée majeure. 

 

Cependant...que doit-on enseigner? La lecture des Programmes focalise sur les pratiques langagières et suggère des situations de mises en oeuvre. Les "objets" à enseigner sont flous, prudemment désignés sous l'expression "connaissances associées", et composent une liste hétérogène dont on ne voit pas bien s'ils doivent être instutionnalisés ni comment, sauf pour le chapitre consacré aux genres de l'oral (argumentation, compte rendu, récit). Ces derniers et leur enseignement ont largement été développés par des didacticiens suisses (Dolz et Schneuwly,  1998)  et tout aussi largement mis en cause. En effet, si ces derniers tentent de définir ces genres de l'oral et de distinguer "des traits définitoires qui contraignent la production et l’interprétation langagière afin de les constituer en objets d’apprentissage permettant de construire des activités d’enseignement "(De Piétro, Schneuwly, 2003), ces traits définitoires varient trop d'une discipline à l'autre pour qu'on puisse envisager de manière efficace un enseignement des genres formels, les  pratiques  langagières  ne  pouvant  être  considérées  en  dehors  des objets  et donc des disciplines auxquelles  elles  se réfèrent.

 

Objets flous, pistes didactiques discutées ou peu creusées (sur quels travaux s'appuyer pour mettre en oeuvre des situations qui permettraient aux élèves de construire une identité sociale, affective, scolaire, disciplinaire...?), les enseignants de français, comme ceux des autres disciplines, quels que soient les niveaux d’enseignement et les publics concernés, doivent cependant aujourd’hui intégrer dans leurs préoccupations ordinaires la question de l’enseignement de l'oral pour penser, apprendre, écrire, parler et se construire. 

 

La liste des questions que nous nous nous posons est infinie.

Questions sur l'objet :

Comment identifier l'oral "général" des oraux disciplinaires? points communs, différences, fonctions...Comment identifier ce qui est acceptable et attendu en général à l'école (contenus, formes) et ce qui est acceptable et attendu dans chaque discipline? En conséquence...quelle est la place du professeur de français?

 

Questions sur l'organisation :

Comment inscrire des situations consacrées à l'oral dans la globalité de l'enseignement du français (et des autres disciplines)? Comment articuler la gestion du groupe classe avec les petits groupes qui paraissent incontournables pour permettre à chacun de prendre la parole?

 

Questions sur l'enseignement :

Pourquoi est-ce si difficile de donner la parole aux élèves? et que cette parole ait de l'intérêt pour les autres? 

Comment faire progresser les formulations des élèves vers des énoncés acceptables en classe? Quelle place réserver aux reformulations (déplacer son point de vue, négocier, s'inscrire dans une culture donnée) sans perdre la spontanéité qui caractérise l'oral ? et donc comment articuler oral-moyen de communication et oral-objet d'apprentissage?

Comment gérer la nécessaire et incontournable imbrication des pratiques d'oral et d'écrit?

Comment envisager une évaluation pertinente?

 

Comptes rendus de la journée Laboratoire d'idées du 26 septembre 2015

Soumis par   le 11 Avril 2016