Appel à contribution : Comment penser et analyser la progression dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture des textes littéraires ?


Pour le n°62 de Repères - Date limite de réception des propositions : 29 février 2020

Comment penser et analyser la progression dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture des textes littéraires ?

Dossier : coordonné par Jean-Louis Dufays et Magali Brunel

Ce numéro vise à rassembler différents travaux portant sur la notion de progression dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture des textes littéraires, qui interrogent centralement les choix méthodologiques relatifs à cet objet d’étude. De nombreux didacticiens du français manifestent en effet aujourd’hui un intérêt convergent pour cette problématique. Leurs recherches s’intéressent tout particulièrement à l’étude des pratiques de classe effectives et s’appuient de plus en plus sur des méthodologies communes, qui intègrent une dimension comparatiste, voire internationale.

Comme l’a souligné Elisabeth Nonnon (2010) dès le numéro41 de Repères, la notion de progression figure « au cœur des tensions de l’activité d’enseignement » et elle constitue un concept clé pour les recherches en didactique. Elle aide en effet non seulement à mieux comprendre le travail de l’enseignant, mais également à cerner l’apprentissage des élèves, et elle peut être étudiée aussi bien au niveau micro – à l’échelle d’une séquence d’enseignement – qu’au niveau macro – au niveau du curriculum.

Sur le plan macro, la progression curriculaire dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture fait l’objet d’une attention croissante depuis la fin des années 2000 (Audigier, Crahay et Dolz, 2006), et elle a donné lieu à plusieurs travaux marquants. Quatre articles de l’ouvrage collectif Curriculum et progression en français (Dumortier et al., 2012) sont ainsi consacrés à l’étude curriculaire des prescriptions dans les programmes des différents pays francophones. À un niveau plus local, Thévenaz-Christen (2014) s’appuie sur les documents professionnels récoltés chez les enseignants de différents cycles scolaires à différentes périodes de l’année pour mettre en évidence leur centration successive sur le code, sur l’entrainement de la compréhension, puis sur les analyses de textes à l’aide d’outils métalangagiers. Elle montre également l’intrication dans les pratiques enseignantes de deux modèles : communicatif et traditionnel.

Sur le plan des pratiques effectives, l’étude de la progression des apprentissages et des enseignements en lecture des textes littéraires a également fait l’objet de recherches pionnières chez Hébert (2013) et dans l’ouvrage collectif L’enseignement et l’apprentissage de la lecture aux différents niveaux de la scolarité (Brunel et al., 2017). Tout récemment, une étude genevoise d’envergure (Ronveaux et Schneuwly, 2018) a comparé les pratiques d’enseignement à deux niveaux de la scolarité à propos de deux mêmes textes réputés littéraires. Elle aboutit à trois constats : les pratiques se distinguent nettement selon la réputation du texte ; le rapport des élèves au texte littéraire évolue au fil du curriculum par un processus de disciplination progressive ; enfin, les pratiques d’enseignement se caractérisent par leur variété, des pratiques nouvelles étant intégrées aux anciennes par sédimentation.

Par ailleurs, les pratiques d’enseignement de la lecture des textes littéraires constituent aujourd’hui un domaine bien balisé, qui a déjà fait l’objet de différentes synthèses (Daunay, 2007 ; Ahr, 2015 ; Brunel et Dufays, 2016). Bon nombre de recherches portent sur les concepts et les notions qui aident à modéliser ces pratiques – en particulier celles de lecture littéraire (Louichon, 2011 ; Dufays, 2017 ; Ahr, 2018) et de sujet lecteur (Langlade et Rouxel, 2004 ; Mazauric, Langlade et Fourtanier, 2011). D’autres travaux s’intéressent aux référentiels, aux programmes ou aux outils (manuels, moyens d’enseignement), ou encore à des ingénieries ou à des dispositifs spécifiques (journal de lecture, débat interprétatif, etc.). Enfin, de plus en plus d’études visent à décrire des situations de classes effectives : elles permettent de mieux cerner les temps et les lieux de la lecture (Dezutter et Dufays, 2015), mais aussi le traitement qui est fait de différents objets enseignés – genres, textes, notions, processus –, ainsi que le fonctionnement des dispositifs construits, les gestes professionnels (Bucheton, 2009) ou didactiques (Schneuwly et Dolz, 2009) de l’enseignant ou encore les genres d’activités scolaires mobilisés (Aeby Daghé, 2014). Ces études permettent par là même, sur le plan méthodologique, de diversifier et d’affiner les angles d’analyse des pratiques d’enseignement de la lecture.

Les recherches portant sur les apprentissages de nature littéraire sont moins nombreuses. Au-delà des enquêtes internationales PISA et PIRLS, qui ne portent pas spécifiquement sur l’appropriation des textes littéraires, on dispose d’études sociologiques, longitudinales (Baudelot, Cartier et Detrez, 1999) ou ciblées sur une tranche d’âge particulière (Renard, 2011), mais aussi de quelques recherches plus spécifiquement didactiques, qui s’intéressent à différents aspects précis d’un apprentissage : on peut évoquer à ce propos l’étude d’Hébert (2004) sur les cercles de lecture, ainsi que celles qui sont rassemblées dans l’ouvrage collectif Didactique du français. Du côté des élèves (Daunay et Dufays, 2014).

Enfin, encore plus rares sont les études qui visent à mettre en relation les pratiques d’enseignement et les apprentissages. C’était là cependant tout l’objet de l’importante recherche collective Lire et écrire au CP dirigée par Roland Goigoux (2017), qui s’est proposée d’étudier l’influence des pratiques d’enseignement sur la qualité des premiers apprentissages, et cela constitue sans doute un nouvel enjeu mobilisateur pour les recherches en didactique de la lecture des textes littéraires.

La focalisation de la didactique de la lecture et de la littérature sur la progression des enseignements et des apprentissages constitue sans doute un tournant après une période de centration sur des questions épistémologiques et théoriques, et elle se précise aujourd’hui par la volonté de travailler sur des corpus plus étoffés en manifestant une attention méthodologique accrue. Le présent numéro se propose de contribuer à cette évolution en s’intéressant plus spécifiquement aux choix méthodologiques qu’implique le questionnement des chercheurs sur la question de la progression. Sous l’impulsion des études d’envergure sur les pratiques effectives qui ont été menées ces dernières années en Suisse (Schneuwly et Dolz, 2009 ; Thévenaz-Christen, 2014 ; Ronveaux et Schneuwly, 2019) et en France (Goigoux, 2017), ce numéro se propose de mettre en évidence la diversité des méthodologies mises en œuvre aujourd’hui dans différents projets afin d’identifier leurs convergences et leurs spécificités. A priori, parmi les outils d’analyse communs actuellement mobilisés par plusieurs équipes, on peut citer le synopsis, la typologie des opérations ou des processus de lecture, la typologie des gestes professionnels ou didactiques, celles des schèmes didactiques transversaux, ou encore celle des genres d’activité scolaire. L’explicitation de ces catégorisations de l’activité enseignante devrait permettre de mieux cerner les dispositifs de recherche et la construction des protocoles d’analyse, mais aussi leurs limites et leurs difficultés. En partageant ainsi leurs propositions, leurs interrogations et leurs intérêts, les didacticiens de la lecture et de la littérature consolident leur propre démarche scientifique et contribuent aux avancées de leur champ de recherche.

Les articles de ce numéro porteront donc à la fois sur l’analyse de la progression dans les pratiques effectives d’enseignement et/ou d’apprentissage de la lecture des textes littéraires et sur les méthodologies de recherche employées pour analyser cette progression. On privilégiera à ce propos les études qui comparent des pratiques d’enseignement ou d’apprentissage sur deux ou plusieurs cycles ou niveaux scolaires.

Si le projet vise la constitution de grands ensembles de données, les auteurs seront particulièrement attentifs à expliciter les méthodes de traitement retenues, qu’elles soient qualitatives, quantitatives ou mixtes. On s’attachera également à expliciter les objets de recherche propres à chaque étude, ainsi que les types de données qui s’y rattachent : par exemple, l’utilisation de séances de classe filmées peut être associée à des questionnaires ou à des entretiens avec des enseignants ou des élèves, ou encore confrontée aux textes officiels, aux formes scolaires ou aux apprentissages des élèves. Dans tous les cas, il s’agira de préciser les intérêts spécifiques de chacun de ces choix. Que permettent-ils de questionner ou de montrer ? Quels sont leurs enjeux mais également leurs limites ?

Le numéro visera également à identifier des voies de recherche nouvelles ou à cerner une forme de « changement d’échelle » dans les travaux réalisés. On cherchera à rendre visibles de nouvelles questions posées sur la progression en didactique de la lecture et de la littérature en les mettant en relation avec leurs méthodologies.

Enfin, s’il est probablement trop tôt pour exiger que tous les articles présentent des résultats de recherche généralisables, on espère néanmoins pouvoir déjà dégager quelques constats convergents, qui pourraient concerner par exemple les formes scolaires liées aux différents niveaux d’enseignement, ainsi qu’aux différents contextes sociopolitiques ou socioculturels envisagés.

Ce numéro de Repères devrait ainsi permettre à la fois de mettre en évidence de nouvelles recherches d’envergure et d’actualiser les connaissances scientifiques sur les méthodologies, les concepts et les orientations qui sont aujourd’hui privilégiés dans les différents pays francophones en vue de mieux comprendre l’enseignement et l’apprentissage de la lecture des textes littéraires au fil de la scolarité.
 

Bibliographie
Aeby Daghé, S. (2014). Candide, La fée carabine et les autres. Vers un modèle didactique de la

lecture littéraire. Berne, Suisse : Peter Lang.
Ahr, S. (2015). Enseigner la littérature aujourd’hui. «Disputes» françaises. Paris: Honoré

Champion.
Ahr, S. (dir.). (2018). Former à la lecture littéraire. Paris : Canopé ; CNDP.

Audigier, F., Crahay, M. et Dolz, J. (dir.). (2006). Curriculum, enseignement et pilotage. Bruxelles, Belgique : De Boeck.

Baudelot, C., Cartier, M. et Detrez, C. (1999). Et pourtant ils lisent... Paris : Seuil.

Brunel, M. et Dufays, J.-L. (2016). La didactique de la lecture et de la littérature à l’aube du XXIe siècle. État des recherches en cours et focus sur la perspective curriculaire. Dans A. Petitjean (dir.), Didactiques du français et de la littérature (p. 233-266). Metz : CREM ; Université de Lorraine.

Brunel, M., Émery-Bruneau, J., Dufays, J.-L., Dezutter, O. et Falardeau, E. (dir.). (2017). L’enseignement et l’apprentissage de la lecture aux différents niveaux de la scolarité. Namur, Belgique : Presses universitaires de Namur.

Bucheton, D. (dir.). (2009). L’agir enseignant. Des gestes professionnels ajustés. Toulouse: Octarès.

Daunay, B. (2007). État des recherches en didactique de la littérature. Revue française de pédagogie, 159, 139-189.

Daunay, B. et Dufays, J.-L. (dir.). (2014). Didactique du français : du côté des élèves. Comprendre les discours et les pratiques des apprenants. Bruxelles, Belgique : De Boeck.

Dezutter, O. et Dufays, J.-L. (dir.). (2015). Explorer les lieux et les temps de la lecture [numéro thématique]. Repères, 51.

Dufays, J.-L. (2017). La lecture littéraire, histoire et avatars d’un modèle didactique. Tréma, 45. Récupéré sur le site de la revue : <http://trema.revues.org/3486

Dumortier, J.-L., Van Beveren, J. et Vrydaghs, D. (dir.). (2012). Curriculum et progression en français. Actes du 11e colloque de l’AIRDF. Namur, Belgique : Presses universitaires de Namur.

Goigoux, R. (dir.). (2017). Lire et écrire. Rapport de recherche. Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages. Lyon : IFÉ. Récupéré sur : <http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-e…;.

Hébert, M. (2004). Les cercles littéraires entre pairs en première secondaire. Étude des relations entre les modalités de lecture et de collaboration. Revue des sciences de l’éducation, 30(3), 465- 696.

Hébert, M. (2013). Lire, commenter, discuter un même roman au primaire et au secondaire. Quelles différences ? Revue des sciences de l’éducation, 39(1), 119-146.

Langlade, G. et Rouxel, A. (dir.). (2004). Le sujet lecteur, lecture subjective et enseignement de la littérature. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Louichon, B. (2011). La lecture littéraire est-elle un concept didactique? Dans B.Daunay, Y. Reuter et B. Schneuwly (dir.), Les concepts et les méthodes en didactique du français (p. 195- 216). Namur, Belgique : Presses universitaires de Namur.

Mazauric, C., Langlade, G. et Fourtanier, M.-J. (dir.). (2011). Le texte du lecteur (2 vol.). Bruxelles, Belgique : Peter Lang.

Nonnon, E. (2010). La notion de progression au cœur des tensions de l’activité d’enseignement. Repères, 41, 5-34.

Renard, F. (2011). Les lycéens et la lecture. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Ronveaux, C. (2014). L’archi-élève lecteur en progression entre tâche, activité et performance de lecture. Dans B. Daunay et J.-L. Dufays, Didactique du français : du côté des élèves. Comprendre les discours et les pratiques des apprenants (p. 123-138). Bruxelles, Belgique : De Boeck.

Ronveaux, C. et Schneuwly, B. (dir.). (2019). Lire des textes réputés littéraires. Disciplination et sédimentation. Enquête au fil des degrés scolaires en Suisse romande. Bruxelles, Belgique : Peter Lang.

Schneuwly, B. et Dolz, J. (dir.). (2009). Des objets enseignés en classe de français. Le travail de l’enseignant sur la rédaction de textes argumentatifs et sur la subordonnée relative. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Thévenaz-Christen, T. (dir.). (2014). La lecture enseignée au fil de l’école obligatoire. L’exemple genevois. Namur, Belgique : Presses universitaires de Namur.

 

Modalités de soumission

Date limite de réception des propositions : 29 février 2020

Les propositions (3 pages maximum) devront être envoyées aux deux coordinateurs du numéro : Jean-Louis Dufays (jean-louis.dufays@uclouvain.be) et Magali Brunel (Magali.BRUNEL@univ- cotedazur.fr).

Merci d’indiquer pour chaque proposition le nom et le rattachement institutionnel du ou des auteur·e·s.

– Envoi des propositions (3 pages maximum) pour le 29 février 2020. Retour des avis le 31 mars 2020.

– Envoi de la 1re version des articles pour le 15 juin 2020. Retour des évaluations le 15 juillet 2020.

– Envoi de la version définitive des articles pour le 31 aout 2020. Parution prévue du numéro : décembre 2020.

Soumis par   le 18 Novembre 2019