Compte-rendu de la Rencontre-débat Enseigner l'oral ? du 19 mars 2016


Animée par Maryse Rebière, avec Corinne Weber et Véronique Boiron. Claude Cortier absente, diaporama et texte en ligne.

Lire et télécharger le compte-rendu en PDF             Voir la journée d'ateliers  (ajournée)

Lire la problématique                                                  

Introduction de Maryse Rebière :

Importance de l’oral dans les nouveaux programmes avec un focus sur les cycles 3 et 4.

Dans les programmes, plusieurs entrées sont intéressantes :

-       Les situations foisonnantes proposées.

-       La corrélation entre langage et pensée. Le langage outil et vecteur de conceptualisation.

-       L’organisation des textes autour des langages.

-       L’insistance sur les différents types d’oraux dans les disciplines (ancrage disciplinaire).

-       La mise en place d’un entrainement à l’oral : l’oral ça s’apprend ! Regard réflexif sur l’oral.

-       La place accordée à l’oral dans les croisements disciplinaires (EPI notamment).

*******************

Intervention de Corinne Weber - Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3

Interrogations autour de l’objet Oral ou comment mieux gérer les compétences langagières

Télécharger le diaporama

Au départ, Corinne Weber travaillait sur l’écrit. Puis une question s’est posée à elle sur les pratiques de l’évaluation de l’oral (didactique de l’oralité).

La pratique du langage désigne un objet multiforme et flou. Pendant longtemps la norme d’évaluation de l’oral était celle de l’écrit.

Il y a un écart entre le français de scolarisation et celui des usages.

Dans les nouveaux programmes, un regain de l’apprentissage de l’oral est observé.

Chacun a SA pratique de l’oral (contexte d’enseignement et d’apprentissage notamment).
 

La relation à l’oral et son histoire 

Des modèles fondés sur la langue écrite (sans voix), avec une norme homogène de la langue (pratiques pédagogiques : répétition, apprentissage par cœur).

Dans les années 1970, ces pratiques normées ont été bouleversées.

Vers les années 1990, cette idée de langue normée revient (au travers notamment de notions de consignes, de tâches, de régulation, d’évaluation).

 

Actuellement, la vision du langage parlé a évolué.

Chaque locuteur appartient, du point de vue du langage, à plusieurs groupes sociaux et donc utilise plusieurs types de langage dans une même journée.

La langue fait partie de l’identité de chacun.

Il n’existe pas un langage mais des langages.

L’oral est un objet de pensée (Vygotski), il sert à penser.
 

Dans l’oral spontané, on s’exprime par unités courtes, inachevées, avec des zones de recouvrement entre prononciation, syntaxe, lexique, intonation, avec des marqueurs phatiques, avec des gestes, avec des phénomènes paraverbaux. Ces éléments et tout le paraverbal organisent le discours.

Le langage parlé a une identité propre et n’a rien à voir avec la grammaire de l’écrit (structures facilitatrices, anaphores, relative avec verbe, « c’est », compactage des unités syntaxiques, reprises, hésitations, certains déictiques, rôle de la prosodie).

Le discours se construit au fur et à mesure de l’action communicative, avec des zones de recouvrement, avec des allers et retours entre le français normé et français parlé dans un même discours.

Le tissage du discours se construit au fur et à mesure que la parole et la pensée se construisent.
 

Il existe une morphologie de l’écrit, une zone commune entre l’oral et l’écrit et une zone propre à l’oral. C’est cette prise de conscience de la zone propre à l’oral et des mécanismes de l’oral, qu’il faut développer chez les élèves (et les enseignants).
 

Grammaire de l’oralité et mise en discours

Quelques perspectives didactiques ?

Pôle interactionnel : On apprend dans l’interaction et par l’interaction (MT Vasseur)

 L’enseignant peut construire des micro scénarios (discussions, débat) en anticipant les ressources que l’élève aura à mobiliser.

Pôle structurel : variables linguistiques.
 

Qu’est ce qu’un « bon parlant » ?

C’est un sujet capable de s’adapter, de varier son discours en fonction du sujet, des règles et des contraintes linguistiques.

L’élève doit pouvoir adapter son discours à une situation propre.
 

Quelles activités proposer ?

-       Passer de la grammaire de l’oral à celle de l’écrit

-       Favoriser le passage de l’une à l’autre (syntaxe, lexique, morphosyntaxe)

-       Travailler la variabilité des procédures

-       Sensibiliser à la coexistence de plusieurs systèmes grammaticaux
 

La charpente de l’oralité s’appuie sur le sens et le contexte de la prise de parole. Schéma en téléchargement

De nombreuses compétences sont mobilisées dans la production d’un discours.

(CF : Weber. C. 2013, Pour une didactique de l’oralité. Enseigner le français tel qu’il est parlé, Ed. Didier, p. 262)

-       Comprendre et interpréter

-       L’oralité (voix et corps, intonation)

-       Syntaxe et vocabulaire

-       Mise en discours (genre et énonciation)

-       Culturel (savoir être, règles de coopération)

-       Corrélation intonation / gestuelle

-       Normes : variations langagières (énonciation adaptée)

L’enseignant peut prendre des extraits de films pour analyser avec ses élèves les compétences mobilisées par les locuteurs.

Plus les marques de l’oral sont modélisées, plus l’élève comprendra les mécanismes mis en œuvre à l’oral. Il pourra ainsi planifier, comprendre et maitriser le langage qu’il utilise.

L’enseignant peut ainsi lors d’une discussion entre élèves, évaluer au travers d’une grille d’observation, l’oral chez ses élèves.

On peut mettre les élèves en situation de jeux de rôle.
 

L’analyse du langage redonne à la parole la légitimité qui lui revient.

L’usage des paramètres verbaux est rarement laissé au hasard.

Il s’agit bien de sensibiliser l’élève à la coexistence de plusieurs systèmes grammaticaux en concurrence aux différents plans du discours.

 

Discussion - débat et remarques :

- La question de quel français enseigner en FLE est posée.

- Enseigner l’oral c’est enseigner aussi la variation.

- Quid de la formation des enseignants (en amont) ?

- Quelle est la spécificité de l’oral et de l’enseignement du français et dans les autres disciplines ?

- Evaluer les jeux d’interaction par des grilles d’observation.

*******************

Le FA programme un numéro sur la didactique de l’oral, coordonné par Lucile Cadet et Anne Pégaz, en s’appuyant sur les travaux de l’AFEF sur l’oral en 2015-2016.

*******************

Intervention de Véronique Boiron, MDC - Université de Bordeaux

Apprendre à l’école maternelle : la question des usages scolaires du langage

 

A l’école maternelle les enfants doivent apprendre le langage de l’école, apprendre (sans complément ? cela surprend) et produire de l’écrit.

Le langage donne forme à la pensée, donne forme à sa propre pensée et participe de la construction de la relation de soi à soi (réflexivité).

La présence des échanges verbaux est essentielle. A l’école on apprend en parlant.

L’activité langagière est une activité humaine, profondément intellectuelle. Elle transforme le rapport à soi et aux autres. Le langage est l’activité d’UN sujet qui lui permet de : comprendre, communiquer, lire, écrire, rêver, imaginer, penser, réfléchir, interroger, justifier, argumenter, …
 

Le nouveau programme de la maternelle revient sur le fait que le langage oral s’apprend et cela pour développer l’activité intellectuelle des élèves. 

Le langage oral doit rester une priorité à l’école maternelle car il s’agit d’apprendre à :

communiquer, donner forme à sa penser, s’extraire du moment présent, construire des mondes (Frédéric François), mener des activités intellectuelles (abstraction, généralisation, catégorisation), démultiplier les expériences du monde, construire des scénarios langagiers et des expériences, organiser, hiérarchiser les savoirs, prendre le pouvoir, …
 

Le langage n’est pas qu’une compétence scolaire.
 

Les travaux de recherche menés depuis 1990 ont montré que de nombreux enfants éprouvent des difficultés à comprendre l’école (Florin, Bautier, …)

On n’apprend pas aux élèves à prendre la parole. Il y a souvent une incompréhension de l’enfant sur ce que l’école attend de lui.
 

Le rôle du langage du maitre 

Apprendre à l’enfant à se décentrer de son quotidien, construire une culture commune, construire et généraliser des expériences humaines, favoriser la compréhension et l’usage de nouvelles manières de dire, …

L’enjeu pour chaque enfant est d’entrer dans un nouveau monde de significations. 

Il s’agit donc pour l’enseignant de prendre en compte l’enfant, ses centres d’intérêt et ses savoirs (Vygotski) en faisant du lien avec son quotidien.

Pour certains enfants, il y a une telle dose d’étrangeté à l’école que cela les empêche de comprendre les enjeux d’apprentissage (Bautier).

Il est nécessaire pour l’enseignant de penser l’articulation penser-parler.
 

La question des ruptures 

-       Le langage de la maison / langage de l’école

-       Le contenu des interactions

-       Une communication minimale élaborée demandée par le maitre

-       Un code restreint à la maison mais efficace en milieu familial qui ne l’est plus à l’école

-       Une communication dans une situation partagée (connivence, récit, explication, …)
 

Les ruptures de langage Maison / École

Des manières très étranges de parler, de faire : « aller aux toilettes, faire de la peinture, faire un dessin, prendre le cahier rouge, les absents sont là, je veux voir tous les yeux posés sur moi, donnez-moi les mots avec [a], …».

L’école n’est pas explicite dans l’utilisation de la langue.

Le langage des apprentissages scolaires est un langage scriptural (entourer, encadrer, relier, barrer, recopier, compléter, …)

La question des objets de la maison et ceux de l’école (colle, vélo, …)

L’école utilise des objets mais avec des usages différents (Ex : pailles pour souffler dedans, s’assoir OU assoir sur un tapis, monter sur un banc en chaussettes, …).

Certains enfants sont tiraillés entre les valeurs de l’école et celles de la maison.

Faire un gâteau ou faire une sortie ne revêt pas les mêmes réalités à la maison et à l’école.

C’est à l’enseignant de s’adapter et de faire comprendre ce qui est demandé.

Les activités scolaires sont des prétextes à l’apprentissage et l’enfant doit le comprendre pour devenir élève 

Des pratiques étranges et opaques qui peuvent empêcher de parler-penser (Ex : trier, jouer, …)

Ces manières de dire, d’agir, de faire, relèvent d’apprentissages très progressifs pour comprendre l’école et apprendre.

Les enseignants (surtout débutants) ne réalisent pas à quel point ce sont les enseignants qui rendent l’activité attrayante et compréhensible pour les enfants.

La découverte préalable d’un objet (Ex : cerceau, ballon, stylo, album) favorise l’appropriation de cet l’objet.

L’école maternelle creuse les inégalités si elle n’explicite pas ce qui est attendu, si elle ne donne pas du sens aux apprentissages.
 

Le langage à l’école maternelle doit être enseigné car il est souvent plus structuré, plus distancié que celui de la maison.

Le langage oral n’est pas facilement évaluable, en raison de ses caractéristiques.

L’apprentissage du langage n’est pas réductible à l’apprentissage du vocabulaire.

L’implicite de l’enseignant n’est pas celui de chaque élève.

L’enseignant doit tenir compte des connaissances des enfants avant d’aller vers des demandes plus complexes.
 

Il est nécessaire de favoriser la pédagogie de l’écoute par l’enseignant des élèves de sa classe au sens de la prise en compte réelle de l’enfant. Replacer l’enfant dans sa globalité et dans son environnement.

On est aussi sur la question du bilinguisme social.

La pédagogie « de la devinette » est rarement efficiente et devrait être évitée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remarques et conclusion :

Il s’agit vraiment de repenser les formes scolaires.

*******************

Intervention de Claude Cortier, Université Lyon 2

L'oral - Les oraux - Approches sociodidactiques

Claude Cortier n'a pas pu participer à la rencontre-débat (raison familiale grave) mais voici le résumé de son intervention, et le texte complet en téléchargement.

«Portées par l’intensification des relations internationales, les années 1880-1914 sont connues pour être celles d’un vaste mouvement de « réforme » de l’enseignement des langues (Puren, 1988 ; Christ et Coste, 1993) auquel ont pris part linguistes, phonéticiens et pédagogues d’Europe et d’Amérique. L’Alliance française, le Dante Alighieri voient le jour pour se disputer dans une « conquête pacifique » les nouvelles terres sous protectorat. Les associations de professeurs se multiplient. Les langues parlées des phonéticiens viendront sur le devant de la scène se conjuguer avec les méthodes actives pour des enseignements pratiques et des écoles de langage, destinés aux petits Français ou aux Indigènes allophones. La première guerre mondiale fera rupture et sera suivie d’une longue période d’immobilisme jusqu’en 1945. Le FLE se construira vraiment comme un domaine spécifique dans les années 1960 tandis que parallèlement l’enseignement du français en France est porté par d’importants mouvements de remise en question, en lien avec la démocratisation scolaire. Certains de ces mouvements de rénovation, comme le Plan Rouchette (1963-1970) ou le Manifeste de Charbonnières feront référence explicitement à des pratiques d’enseignement issues du FLE et mettront en avant un enseignement systématisé de l’oral, comme expression et communication. Ils seront suivis dans les années 80, à l’INRP, de travaux en didactique du français (sous la direction d’Hélène Romian), qui prennent appui sur la sociolinguistique et la notion de pratiques langagières ainsi que sur les caractéristiques socioculturelles des publics scolaires, pour développer différentes formes de traitement didactique de la variation, fortement contextualisées. Les médias audio-visuels font l’objet de répertoires pour l’enseignement du français (1966, 1969)

L’accent mis par le socioconstructivisme sur les interactions de classe, maitre-élèves ou entre pairs ont orienté ensuite les travaux vers « l’oral pour l’apprendre » en les éloignant du langage et de la communication et en les rapprochant des savoirs et des pratiques et communautés discursives. L’approche par les genres, développée par Dolz et Schneuwlya permis de passer « des pratiques langagières aux objets d’enseignement », tandis que des pratiques ritualisées (Quoi de neuf ? Revue de presse, etc.) peuvent permettre l’institutionnalisation de l’oral au quotidien de la classe. Les genres culturels : chansons, expressions théâtrales, slam, pratiqués plus ponctuellement sont à même de donner un ancrage dans les pratiques des jeunes.

Toutefois la question des oraux, de l’oral dans les disciplines reste un chantier à poursuivre.  Même si les travaux en Français langue seconde et langue de scolarisation (FLS-SCO) ont permis de stabiliser certaines entrées par les consignes, par les manuels, on voit bien que dans ce domaine, l’oral est resté encore le parent pauvre hormis quelques travaux sur la compréhension de l’oral et les compétences scolaires esquissés par l’équipe ICAR-INRP (Bouchard, Cortier, Parpette).

L’histoire montre toutefois que les mises en veilleuse de la problématique de l’oral précèdent souvent son resurgissement quand les enjeux liés aux tensions sociales, à la crise de l’école et à l’interrogation sur ses missions resurgissent », comme si les enjeux et les problèmes restaient entiers et continuaient de se poser dans les classes (Nonnon, 2011). Une étude plus longue nous aurait permis de montrer qu’il en va de même, et souvent concomitamment, avec les réformes de l’orthographe.

Il est peut-être temps de rassembler de nouveau les forces des champs du FLES et du FLM pour s’inspirer, sans calquer ni simplement transposer, des voies du Français sur objectifs spécifiques ou Français sur objectifs universitaires pour travailler les oraux des disciplines au collège et au lycée, et mettre davantage sur un pied d’égalité élèves des classes ordinaires et des classes prépas.»

Intervention de Claude Cortier en téléchargement

 

 

 

 

 

 

Soumis par   le 07 Avril 2016