Construire l'École de l'après-crise


L’AFEF exprime son soutien aux enseignants qui s’emploient à trouver leurs marques, et à aider élèves et familles à le faire également, dans ce contexte de travail profondément transformé. 

 

Une situation hors normes.

Comme personnes, comme enseignants, nous avons bien du mal à nous exprimer sur la situation de crise que nous vivons. D’une part, parce que face à ce nouveau cadre professionnel à distance (inédit, ni préparé ni stabilisé) il a d’abord fallu l’identifier, et contribuer à le construire et à le mettre en œuvre avec la communauté éducative de nos établissements (ce qui inclut la communication avec les élèves et leur famille, et qui fait bien cruellement toucher du doigt les disparités qui marquent le rapport à l’école des familles, comme les conditions de travail des élèves chez eux). D’autre part, parce que nous avons eu le sentiment que cela mettait en jeu non seulement des pratiques, mais aussi une représentation de notre métier (travail, fonction…). Le travail à distance a créé un nouveau contexte professionnel, imposant de prendre du recul, ce que nous pouvons avoir du mal à faire seuls, dans notre confinement.

 

"Apprenant"

Dans ce contexte qui réinterroge notre métier, nous sommes amenés à nous questionner sur certains mots : que signifie "apprenant", ce mot emblématique du moment, utilisé sous toutes les formes de la communication ministérielle ? Mais qu'est-ce donc qu'un apprenant dans ce contexte de confinement ? Que sommes-nous tous en train d'apprendre foncièrement de cette période ? Que pensons-nous que nos élèves/étudiants doivent réellement apprendre ? Que penser par exemple de la pression qui s’exerce sur les élèves en les abreuvant de nouveaux cours, d'évaluations et de notes sans se soucier du contexte anxiogène comme si on pouvait faire comme si de rien n'était ? La pression angoissante subie par les élèves et les parents n’est probablement que le contrepoint de notre propre angoisse. Mais la subir et la faire subir sans l’analyser et aider nos élèves à la comprendre nous conduit droit dans le mur. À cela s’ajoutent les bons mots de cet abreuvoir institutionnel : "Les bonnes pratiques de la continuité pédagogique" ; les courriers institutionnels pléthoriques avec toutes les ressources possibles ; et maintenant les "vacances apprenantes" (soutien à distance pour des élèves qui auront décroché du fait de la distance...). Comme s’il fallait absolument remplir le vide avec de l’apprenant, comme si apprendre était simple et naturel, comme si la situation n’avait rien d’exceptionnel ! 

 

 

À l’aide !

Que répondre aux collègues, aux stagiaires qui se tournent vers les formateurs pour leur demander de l'aide parce qu'ils ne s'en sortent pas et qu'ils sont en train de craquer : entre le suivi des élèves, les appels aux familles, les exigences de travail imposées (par le chef d'établissement ou par soi-même), mais aussi la gestion du confinement de ses propres enfants et de leur travail ou de leur manque d'autonomie et donc de ce sentiment de débordement que l'on vit au quotidien qui implique une réorganisation totale, pas seulement professionnelle mais aussi familiale ? Dans le cadre universitaire aussi, les conditions réelles de travail des étudiants sont cruellement mises au jour : ceux qui n'ont de connexion internet que par le téléphone, ceux qui n'ont pas d'ordinateur et travaillent sur leur téléphone (très pratique pour renvoyer un devoir écrit). Mais aussi les étudiants qui s’inquiètent de ne pas savoir s’ils pourront réellement passer leur concours, ou dans quelles conditions et quand... Même question pour les élèves de terminale. Et comment s’organisent les élèves, mais aussi leurs parents, quand il y a au mieux un seul ordinateur à la maison, à partager entre le travail scolaire des frères et sœurs et le télétravail des parents ? Bref, pour beaucoup, cette attente, ces angoisses et notamment celles liées à la propagation de la maladie et sa morbidité, sont-elles prises en compte ? Comment créer un espace vraiment rassurant et humain ? Depuis trois semaines, le soutien psychologique s’impose, notamment il faut encourager les étudiants, les élèves à ne pas tout lâcher par découragement, répondre à la grande solitude de certains. Tout cela n'est pas plus préparé que les ENT ou classes virtuelles qui buggent, et les problèmes techniques qui ajoutent au stress ambiant.

 

Priorité au soutien

Alors oui, la priorité, est au soutien : soutien aux collègues qui s'occupent des enfants des soignants ; soutien aux collègues qui font ce qu'ils peuvent avec tous les tâtonnements et les ajustements progressifs que cela implique ; soutien aux élèves, tant à ceux qui s'accrochent malgré tout qu'à ceux qui ont lâché ; soutien aux familles qui elles aussi font ce qu'elles peuvent.

Et puis analysons la perte réelle (pas celle en pourcentages dont on ne sait d'où ils sortent) : comment aider l'élève qui, en classe, avance grâce aux encouragements de l’enseignant qui va venir lui parler, l’encourager, faire l'étayage pour le relancer ou organiser la coopération dont il aura besoin ? 

 

Et après…

Analysons aussi ce que cette situation exceptionnelle nous aura apporté aussi peut-être… L’AFEF alerte et questionne sur la suite. Qu'est-ce que cette période va apprendre aux politiques de ce que l'École peut et doit devenir ? Quels risques – ou bénéfices – selon la vision que l'on a de l’avenir de l’École ? Bref, comment anticiper sur ce que l'on pourrait inventer comme École du XXIème siècle...

 

Un espace de parole

Contraints par la force des choses à un « pas de côté » et à une prise de recul par rapport à nos lieux de travail et à nos pratiques pédagogiques habituelles, nous sommes de facto amenés à regarder différemment notre enseignement et ce qui s’y joue. Le cas échéant, même si les contraintes de cette période n’en laissent pas beaucoup le temps, il peut arriver que cela nous suggère des approches nouvelles ou des ajustements à tenter quand les classes rouvriront, voire des questionnements ou des évolutions quant à nos représentations (enjeux du métier, relation avec élèves et familles...). Nous invitons ceux qui le souhaitent, dès à présent ou quand ils s’en sentiront la disponibilité, à nous faire part de ces réflexions qui nous intéressent tous pour construire l’École de l’après-crise.
 

Quelques pistes de réflexion ouvertes :

  • Qu’apprenons-nous de cette période de confinement pour construire l’École de l’après ? Que retiendrons-nous de cette expérience ?
  • Quelle formation envisager, maintenant et après, pour préparer les enseignants à des pratiques d’enseignement à distance et de travail collaboratif des élèves ?
  • Quelles pratiques de lecture, d’écriture durant le confinement ? Les élèves y ont-ils des occasions régulières d’écrire pour communiquer, penser, créer ? Les élèves sont-ils incités à lire de la poésie, des romans ? Comment ?


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Soumis par   le 03 Avril 2020