Déclaration du LIRDEF : Appel du Ministère concernant une méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP


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LIRDEF, Université de Montpellier et Université Paul Valéry Montpellier, lundi 9 novembre 2020.
Pourquoi nous n’avons pas répondu à l‘appel à manifestation d’intérêt du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports concernant une méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP.

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Nous tenons, par cette lettre, à informer nos deux universités de tutelle, La Faculté d’Éducation de l’UM, l’INSPE Languedoc-Roussillon et nos partenaires de l’Académie de Montpellier de notre choix de ne pas répondre à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) émis par le ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports concernant l’évaluation du déploiement d’une méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP.

Comme d'autres laboratoires engagés dans la recherche sur la lecture à l'école primaire, le LIRDEF aurait pu répondre à cet appel.
Nous travaillons en effet depuis plusieurs années sur l’enseignement-apprentissage du lire-écrire à l’école et intervenons dans la formation des professeur.e.s. Investis dans le projet « Lire-écrire au CP » entre 2012 et 2020, nous avons bénéficié de la confiance des enseignant.e.s qui nous ont ouvert leurs classes et des formateurs et formatrices qui ont accompagné le projet (une dizaine classes a été observée dans notre académie). L’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture au CP sur les apprentissages des élèves a ainsi pu être étudiée selon une méthodologie contrôlée et les conclusions en ont été publiées. Plusieurs journées de formation co-organisées par le Rectorat de l’Académie de Montpellier et la Faculté d’Éducation ont permis la diffusion des résultats de la recherche auprès des enseignant.e.s du cycle 2.

Des thèses ont été soutenues sur l’entrée dans l’écrit au CP par des membres du LIRDEF et une est en cours.
Notre laboratoire a donc une compétence didactique sur la question de l’apprentissage de la lecture mais grâce à lapluridisciplinarité qui le caractérise, il a de plus une expertise reconnue dans le champ de la professionnalité enseignante et du travail enseignant et il a développé des méthodologies susceptibles de permettre de mener à bien ce genre de projet.

Nous nous sentons légitimes pour traiter de cette question centrale de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP. Pourquoi, au regard de tous ces éléments, ne pas répondre à l’appel ministériel ?

La première raison est tout simplement matérielle. Nous avons été informés officiellement de cet appel au début du moisd’octobre et nous avons découvert par la même occasion l’expérimentation en cours sur l’année 2020-21 : la mise en œuvre d’une méthode de lecture s’appuyant sur le guide de référence Pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture au CP se déploie dans 370 classes de CP réparties dans 10 départements. L’appel est ambitieux puisque l’équipe de recherche choisie devra identifier les conditions d’appropriation de cette méthode, son effet sur les pratiques pédagogiques et les acquis des élèves, sa plus-value pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour une éventuelle extension à la rentrée 2022...

Le suivi et l’évaluation d’une expérimentation de cette ampleur demandent des compétences multiples, longues à réunir. Or, l’appel a été clôturé 15 jours plus tard, le 19 octobre 2020. Quelle équipe peut-elle répondre en si peu de temps, sans connaitre la méthode expérimentée - son nom n’est pas cité - ses fondements didactiques, langagiers et linguistiques, sans connaitre le profil des 370 classes qui sont dans cette expérimentation, sans avoir la possibilité d’élaborer et donc d’anticiper un réel suivi sur une année scolaire complète puisqu’au début des travaux, les classes de CP en seront à leur 9e semaine de classe (25% du temps d’une année scolaire ne sera donc pas observé) ? Un premier bilan d’étape est attendu en février 2021, le rapport final de l’année 1 en juillet et en décembre 2021, un rapport final, assorti de recommandations, doit être remis au ministère. Ce calendrier est incompatible avec les objectifs assignés à cette recherche.

La dernière raison procède de notre conception de la démarche scientifique. Sur cette question de l’apprentissage de la lecture, deux conférences de consensus, en 2003 puis en 2016 (lire, comprendre, apprendre) ont permis d’établir un socle de connaissances partagées entre chercheurs, formateurs et praticiens. Aujourd’hui, évaluer le déploiement et l’efficacité d’une méthode (ou d’outils) doit prendre en compte une pluralité de sources scientifiques et une pluralité d’échelles pour éviter l’écueil des querelles de méthodes stériles. Nous rappelons notre attachement à la confrontation des analyses scientifiques pour faire avancer la connaissance et il nous paraitrait utile et pertinent de permettre à plusieurs équipes de recherche de mener une évaluation des compétences acquises par les élèves de ces CP en fin d’année scolaire au moyen d’outils d’évaluation indépendants de ceux utilisés par le ministère avant de formuler des préconisations. Or cet appel ne prévoit pas un tel dispositif.

Analyser une méthode testée dans des classes de CP et les conditions de son déploiement concerne la communauté éducative dans toutes ses composantes (recherche, formation, enseignement). C’est pourquoi nous serons attentifs à la conduite de cette expérimentation en analysant les documents fournis aux enseignants et demanderons que des regards croisés sur les analyses scientifiques et les retours d’expérience précèdent les préconisations.

Pour le laboratoire LIRDEF Jean-Marc LANGE, directeur

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Soumis par   le 09 Novembre 2020