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L’« alliance éducative » : plus qu’un mode de travail, une preuve
En pratique, l’«alliance éducative», c’est un mode de travail. Pour prévenir le décrochage scolaire, en particulier, l’institution prévoit que travaillent ensemble différents professionnels intervenant en lien avec l’élève, en alliant leurs compétences et leurs savoir-faire dans le cadre d’une approche globale de celui-ci. Dès lors, comment ne pas voir dans l’«alliance éducative», au-delà d’un mode de travail, la traduction en actes d’une volonté de faire exister dans leurs différentes dimensions aussi bien l’élève que la communauté éducative ?
De quoi voir dans l’alliance éducative, plus profondément, une dynamique consubstantielle à l’École de la république. Le Code de l’éducation y invite : «Dans le cadre d’une école inclusive, [la communauté éducative] fonde sa cohérence sur la complémentarité des expertises.» «Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale.» «Par son organisation et ses méthodes, [le service public de l’éducation nationale] favorise la coopération entre les élèves». Dans le cadre ainsi caractérisé, l’«alliance éducative» est plus qu’un mode de travail, plus même qu’une dynamique essentielle : une preuve ! Preuve de sincérité dans la mise en oeuvre des missions de l’École. Preuve de vie de cette dernière !
«Désalliance éducative» : la preuve par quatre... d’une offensive contre l’École de la république
Mais des principes officiels au vécu actuel des enseignants, il y a long ! Un vécu que ne cesse actuellement de travailler une tout autre dynamique, en fait une dynamique inverse : une véritable désalliance éducative. Disparition des espace-temps dédiés à la concertation entre acteurs de l’Éducation nationale, tant structurels (tel le conseil école-collège) que ponctuels (temps d’échange initialement annoncé suite à l’attentat contre Samuel Paty). Fissuration de la formation initiale des enseignants, qui s’accompagne d’une atomisation de celle-ci. Déchirement éthique, chez des enseignants écartelés entre exigences de leur ministre et des examens auxquels ils préparent leurs élèves, et exigences inhérentes à la réalité humaine dans laquelle tout processus d’apprentissage s’enracine et trouve son sens. Approche des études littéraires qui, au lycée, tend à couper l’élève à la fois de la littérature et de lui-même... Bref, ce que l’École de la république a vocation à faire se rencontrer pour éduquer, semble condamné à l’émiettement, à la rupture, au divorce...
Jusqu’à quand, jusqu’à quel point ? À (ou avec) quoi cette «désalliance éducative» peut-elle rimer ? Déshérence éducative, la mission d’éducation revendiquée officiellement par l’école ne trouvant pas, dans les faits, de collectif propre à la prendre véritablement en charge ? Mais qui dit déshérence, dit appropriation par l’État, en l’occurrence le Ministre de l’éducation nationale. Dès lors... Virulence coercitive, l’absence de ces acteurs que sont les collectifs à même de faire vivre l’École de la république ouvrant la voie à une gestion toujours plus verticale, toujours plus directive de l’Éducation nationale ?...
Pour redonner ses chances à l’École de la république, redonner les coudées franches aux acteurs de terrain
Pour ne pas en arriver là, ou en rester là, il y a urgence. Urgence à remettre les acteurs de terrain, dans leur diversité, en situation d’assumer leur rôle comme l’exige le projet de l’Ecole républicaine, en acteurs d’une véritable «alliance éducative».
Un rôle exigeant, tant les dispositions générales du Code de l’éducation montrent qu’il appelle les enseignants à s’engager dans une dynamique complexe. Faite de disponibilité (pour faire leur travail en situant les enjeux de celui-ci à des échelles variées), de décentrage (pour coopérer, dialoguer, au-delà du «périmètre» de leur discipline et de la salle de classe), de congruence (capacité à transmettre et incarner les valeurs de la République).
Qui peut y arriver seul, en dehors des échanges nourrissants, des synergies salutaires dont la formation et la communauté éducative ont vocation à être le cadre ? S’engager dans une démarche de formation professionnelle, coopérer, donner du sens et réfléchir au sens des notions, de ses pratiques et gestes professionnels : voilà qui exige d’avoir «les coudées franches» ! C’est-à-dire une sérénité, une capacité d’initiative et un cadre institutionnel suffisamment souple et accueillant pour donner corps à cette notion d’«alliance éducative», non pas seulement au titre de la lutte contre le décrochage scolaire, mais dans le quotidien de l’Éducation nationale. Oui, pour que dans l’écriture de ce quotidien, «suivre» ne remplace plus «vivre», il y a urgence : urgence à refaire alliance, en retrouvant les coudées franches !
Guillaume Loock
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