Destruction programmée de l’Éducation nationale ! Ripostons !


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Quelques mots d’abord, ceux d’enseignants, d’élèves, de formateurs évoquant ce qui se dit, se passe dans les établissements.   Ils parlent, en vrac :   de violence institutionnellede mensonges d’État, de désespérance, de piège dans lequel ils se sentent enfermés, d’asservissement des intelligences, de détresse profonde des élèves de troisième et du bac, de massacre-bérézina de la formationde confiscation de la parole, d’inégalités débordantes, de caporalisation. Ils parlent de rage, de lassitude, d’angoisse, de désespoir. Ils parlent aussi du silence, de leur attachement aux élèves, de la souffrance cachée, du repli, de l’isolement, de la résignation, de la fuite inquiétante de certains collègues

 

Un climat scolaire houleux, fragmenté par les discours ministériels et médiatiques 

Le salmigondis des derniers aménagements imposés sans concertation pour le grand oral, les épreuves du bac de français ou au contraire l’absence d’ajustement pour le brevet des collèges et le bac pro, provoque la stupeur et fait déborder la colère.  Les inégalités entre élèves devant l’examen deviennent la nouvelle norme :  ceux des établissements publics ou privés « chics » ou ceux de banlieues pauvres n’auront en réalité pas le même diplôme, ni ensuite les mêmes chances à Parcoursup ! Les uns auront eu une scolarité quasiment normale, les autres viennent de perdre près de deux ans de cours avec la pseudo-continuité pédagogique (pur mensonge politique pour rassurer les familles qui ne sont pas dupes).

 

Une longue entreprise de dézingage de l’Éducation nationale

En réalité ce dernier épisode, habillé d’une fausse bienveillance populiste mensongère et purement électoraliste, s’inscrit dans une longue entreprise désastreuse pour l’avenir de l’Éducation nationale. Il a le mérite de révéler encore une fois le mépris profond et la maltraitance du ministre à l’égard des élèves mais aussi de leurs enseignants sommés de se livrer, à vitesse express et contre toutes leurs convictions professionnelles, à un bachotage inepte où le cours du prof est plus important que l’œuvre étudiée et parfois non lue. « On n’instruit pas, dit l’un d’entre eux : on asservit les élèves, j’enrage, j’en ai honte pour moi ! ».

 

Allons au-delà, et jetons un regard pour mesurer l’avancée de l’entreprise gouvernementale.  Depuis l’élection du président Macron, pas à pas, décret après décret, chacun pris sans débat ou avec un « faire semblant de », l’Éducation Nationale est démembrée, désossée, vidée de ses valeurs républicaines fondamentales, de ses enjeux éducatifs, de ses contenus culturels. Elle est déshabillée des formes de concertation syndicales et associatives, qui fondaient le contrat social et éducatif de la nation, la cohésion et la cohérence de l’action de ses acteurs, la clarté des missions de chacun. 

Le projet est méthodique. L’entreprise de destruction violente et détaillée s’attaque tous azimuts à tous les strates et modes de fonctionnement du système : programmes, examens, système d’orientation, formation, recrutement. Tous les corps de métier sont visés et priés de se taire et d’obéir sous peine de sanctions : enseignants, directeurs, conseillers pédagogiques, conseillers d’orientation, formateurs, corps d’inspection, etc.  L’objectif plus ou moins avoué est de trier, sélectionner les élèves, repérer les futurs premiers de cordée, pour une école à deux vitesses, faire des économies conséquentes. Et pour cela caporaliser, réduire toute liberté pédagogique, enfermer les enseignants dans un système de normes imposées, de modèles standards éventuellement numérisés. Privatiser le plus possible. Inutile pour les enseignants de penser, d’inventer, de créer, de s’ajuster aux situations, aux élèves, aux évènements ! Inutile de former les enseignants, sauf à obéir aux "instructions" et "évaluations programmées nationalement.

 

Pour mémoire, quelques attaques rappelées brièvement :

  • Des enseignants jugés et sanctionnés depuis la loi de septembre 2019 sur la liberté de penser et d’exprimer un point de vue critique sur le système éducatif ;
  • Une attaque frontale de la culture à l’école primaire : un recentrage sur "les fondamentaux" au détriment de la curiosité, de la créativité, de l’autonomie et de la culture dans toutes ses dimensions ;
  • En maternelle : les tests avec le retour du rêve sarkosyste de repérage, fichage dès l’entrée à l’École ; introduction précoce des apprentissages scolaires au mépris du développement hétérogène des jeunes enfants ;
  • Une réforme du lycée ratée dans ses objectifs d’ouverture à une pensée complexe et une culture vivante et multiforme nécessaires aux futurs professionnels et citoyens ;
  • Parcoursup : ce système jamais voté montre déjà ses limites par les inégalités entre dossiers selon les établissements d’origine ;
  • La réforme de la formation des futurs enseignants sera appliquée dès la rentrée sans aucune concertation ; un délire fouun désastreune machine infernale (mots entendus chez les chercheurs, formateurs, cadres institutionnels) ; une déstructuration qui évacue le corps mixte des formateurs, chercheurs, pédagogues, didacticiens, et met à disposition un volant de stagiaires vacataires sous-payés, bouche-trous dans les classes ;
  • La caporalisation de la gouvernance du système : un décret récent renforce les fonctions de contrôle et d’évaluation des chefs d’établissement.

 

Une riposte urgente 

Et tout cela pour quoi ? Une stratégie de carrière politique du ministre actuel de l’Éducation ?

La démonstration que le "passage en force", sans concertation, ni lois, sur le la plus grande institution de la République peut "dégrossir le mammouthet liquider l’idée même d’une fonction publique avec ses règles, ses fonctionnements démocratiques, ses valeurs ? 

Une conception néo-libérale de l’éducation largement répandue dans d’autres pays européens ou outre-Atlantique ? Un calcul électoral pour gagner les voix des nostalgiques d’une École du passé ? Pour diviser l’opinion, diviser pour régner ? Le projet d’une École encore plus ségrégationniste ? 

 

Notre École, notre institution s’en remettra-t-elle ? Pas sûr si on ferme les yeux, les bouches et les oreilles ! Que faire devant ce qu’on peut appeler une violence institutionnelle sans pareille ! 

L’heure est à la riposte, à la liberté pédagogique créative, responsable, singulière dans sa classe, à la discussion collective dans l’établissement, les instances syndicales, associatives, politiques.  Il faut sauver ce métier, sauver l’institution, son projet émancipateur, ses valeurs fondatrices. Elle est l’avenir d’une nation commune ouverte. 

 

Dominique Bucheton et Viviane Youx, vice-présidente et présidente de l’AFEF

 

Soumis par   le 28 mai 2021