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Écrire en SVT : un témoignage et quelques réflexions
en marge de l’université d’automne de l’AFEF – octobre 2014
Une étude de cas
Cet article aurait pu être intitulé : « Écrire dans les disciplines, mais de qui est-ce donc l’affaire ? ». En mettant cette question au cœur de son UA d’octobre 2014, l’AFEF a choisi un sujet qui, pour être difficile, n’en est pas pour autant nouveau puisque apparu depuis une vingtaine d’années dans la prescription institutionnelle. Pourtant, on hésite encore à décider si cet objet de travail reste encore en marge ou bien tout simplement en panne dans les écoles et les établissements scolaires.
Chargé de contribuer au cours de cette UA à l’animation de l’atelier « Ecrire en SVT » – en raison de mes débuts de carrière dans l’enseignement de ce qui s’appelait alors les sciences naturelles, j’ai voulu me mettre un peu à jour, sans prétendre être complètement à la page. Que les enseignants de collège et de lycée qui ont eu l’amabilité de me consacrer un peu de leur temps en soient remerciés. Ne pouvant me référer faute de place à tous les écrits d’élèves qui m’ont été fournis, je vais me contenter d’un échantillon dans ce que je pourrais présenter ci-après comme une « étude de cas ».
Voici brièvement retracé le contexte, dans cette classe de 3ème d’un collège de la banlieue parisienne classé en éducation prioritaire. Les élèves disposent d’un corpus de documents que je décrirai brièvement un peu plus loin, sans qu’il soit indispensable de les mettre sous les yeux du lecteur. Ils ont la possibilité de travailler seuls ou par 2. Voici la consigne fournie par écrit :
Suite à son cours de SVT, Joey est paniqué car il a appris qu’il peut être contaminé : par le virus de la grippe si une personne malade éternue près de lui ; par les bactéries du tétanos s’il se blesse avec un objet ; par le virus du SIDA lors d’un rapport sexuel.
A l’aide des documents joints, rassure Joey. Pour cela rédige un texte afin de lui expliquer :
- comment il peut éviter d’être contaminé par le virus du SIDA et celui de la grippe
- comment il peut se débarrasser des bactéries du tétanos en cas de contamination.
La fiche donnée aux élèves est intitulée « Activité : Se protéger des microorganismes et les éliminer ». Elle indique d’une part :
Capacités travaillées |
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Rechercher, extraire et organiser l’information utile |
Rédiger un texte bref |
Critères de réussite |
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Tu dois prendre en compte des informations ayant un rapport avec l’étude en cours, sans hors sujet, sans oubli, sans erreur de lecture et sans les déformer. |
Tu dois répondre par un texte lisible, correctement ponctué et orthographié, en utilisant le langage scientifique adapté et en répondant précisément à la question posée. |
D’autre part, est associée une grille reproduite ci-dessous, visiblement à usage de l’enseignant.
Evaluation des compétences du socle commun |
Non acquis |
A renforcer |
Acquis |
Expert |
Je sais rechercher, extraire et organiser l’information utile. |
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Je sais rédiger un texte bref, cohérent et ponctué, en réponse à une question. |
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Le corpus donné aux élèves comprend 5 documents.
Document 1 : un texte de 5 lignes qui présente la découverte de la pénicilline.
Document 2 : un tableau précisant dans quels cas les antibiotiques sont utiles ou inutiles.
Document 3 : une photo légendée montrant la désinfection d’une plaie au bras à l’aide d’un antiseptique.
Document 4 : une fiche récapitulant 6 conseils pratiques pour se protéger de la grippe.
Document 5 : la reproduction d’une affichette sur le SIDA avec la légende suivante « Le préservatif est le seul contraceptif qui protège des microorganismes responsables d’IST ».
Enfin, dans la perspective annoncée et effectuée de corrections croisées entre élèves, ceux-ci disposent du tableau ci-dessous, le professeur m’ayant précisé qu’il ne notera pas les écrits produits.
Capacités évaluées |
Indicateur de réussite |
Réussi |
Non réussi |
Je sais rechercher, extraire et organiser l’information utile. |
L’idée essentielle des documents 1 et 2 a été dégagée sans être déformée : les antibiotiques permettent d’éliminer les bactéries. |
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L’idée essentielle du document 3 a été dégagée sans être déformée : l’application d’un produit antiseptique sur une blessure permet de neutraliser les bactéries du tétanos. |
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L’idée essentielle du document 4 a été dégagée sans être déformée : pour ne pas être contaminé par le virus de la grippe, il faut éviter d’être en contact avec le virus (se laver souvent les mains, éviter de faire la bise en cas d’épidémie…). |
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L’idée essentielle du document 5 a été dégagée sans être déformée : le port d’un préservatif lors d’un rapport sexuel évite la contamination par le virus du SIDA. |
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Je sais rédiger un texte bref, cohérent et ponctué, en réponse à une question. |
Un texte répondant à la consigne et contenant les informations dégagées de chaque document a été rédigé. |
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Pardon pour la longueur, mais tout ceci est nécessaire. Avant de donner à lire les productions des élèves, nous pouvons commencer à entrer dans l’analyse des données ci-dessus. Visiblement, l’activité proposée à cette classe mêle 3 objets distincts et de natures très différentes – c’est sans doute ce qui en fait une autre source de difficulté tant pour l’enseignant que pour les élèves qui, en outre, n’en ont pas forcément pris conscience.
Le premier objet est le contenu d’information scientifique, soit explicitement présent dans les documents, soit implicitement requis des élèves (par exemple : comprendre la différence entre un antibiotique et un antiseptique, distinguer un virus d’une bactérie, savoir ce qu’est une IST et que le SIDA en est une, etc.). On est dans la discipline et sa didactique que je m’abstiendrai de commenter : faute de place ici et parce que ce n’est guère l’intention de cet article.
Le second objet a trait à l’inflexion ou l’induction recherchée par l’école de comportements individuels et d’usages sociaux face à des situations à risque, ici dans le domaine de la santé, de l’hygiène, de la prophylaxie. Nous nous trouvons donc de façon plus large dans le champ éducatif. Sans m’étendre, je m’autoriserai quand même une remarque : l’approche éducative étant hypercomplexe, elle ne saurait être réduite à la seule information ; cela se saurait s’il suffisait d’alerter pour prévenir des comportements à risque !
Enfin le dernier objet présent est bien sûr l’écriture d’un texte. Nous sommes au cœur de notre sujet, celui de la technologie propre de l’écriture, son ingénierie même devrais-je dire. J’y reviens un peu plus bas. Pour l’heure, cessons de mettre à mal la patience du lecteur qui attend de juger sur pièces. Voici quelques écrits d’élèves, retranscrits avec leur orthographe, leur ponctuation, les ratures ou les effacements.
B M
pour te protéger contre le virus de la grippe tu dois te laver les mains avec de l’eau et du savon pendant 30 s minimum et essuyer avec une serviette sèche ou de l’essuie-tout.
(suivent deux lignes blancotées)
aérer les pièces et désinfecter les poignées de porte, Robinets et Verres…
tu dois appeller ton médecin si tu as des symptômes (38° ou +) de la grippe. et rester chez toi en cas de su tu dois aussi éviter de faire la (+ une ligne blancotée)
pour te protéger contre le sida tu dois te protéger à utiliser un preservatif lors de rapor Rapport sexuel (un à chaque rapport).
Pour te débarrasser des bactéries du tétanos en cas de contamination, tu dois désinfecter la ou les plaie contaminée à l’aide d’un produit d’antiseptique. et si ils sont dans ton corps tu dois prendre des anti-biotiques
F A
« Bonjour Joey ne t’inquiète pas tu peut eviter largement les risque du SIDA en te protegeant avec un preservatifs. »
« Pour la grippe ton Hygiène doit s’améliorer voici quelques exemples :
- Se laver les mains régulièrement
- Couvrir sa toux avec un mouchoir jetable.
« Et enfin la tétanos pour eviter la maladie il faut desinfecter ses tes blessures. »
L S
1/ Joey tu peut éviter d’être contaminé par le virus du Sida en se protégeant avec un préservatif à chaque rapport sexuel.
2/ Pour la grippe tu dois souvent te laver les mains, en cas d’épidémie ne pas faire la bise au autre, aére les pièces et désinfecte. les (pas de suite – surligné par moi, un passage réécrit après blancotage)
3/ Et enfin pour le Tétanos tu dois te désinfecté avec un produit antiseptique tes plaies et si tu l’attrape utilise des antibiotique approprié.
L’enseignant a précisé qu’il s’agit dupremier travail de ce type donné de l’année, puisque nous étions fin septembre 2014. L’activité relève de ce que le programme officiel nomme tâche complexe. Le temps de rédaction laissé aux élèves a été de 15 minutes environ. On notera au passage qu’aucune indication sur la taille du texte attendu n’a été donnée, à part ce vague « texte bref ». L’enseignant estime dans l’ensemble les copies plutôt toutes réussies, regrettant que quelques-unes n’aient pas respecté la consigne dans sa forme, comme L S, avec la numérotation 1,2,3, ce qui selon le professeur n’en fait pas un texte mais des réponses à des questions. En lui laissant assumer cette affirmation, j’oserai au moins un doute, faute d’être moi-même un spécialiste de la production d’écrit et de sa pédagogie.
Chacun appréciera et commentera à sa guise, et pourra se servir des outils mêmes fournis par l’enseignant. Nous y voici précisément.
En premier lieu, j’évacuerai assez vite quelques interrogations et étrangetés relevées dans la fiche de cette activité, sans qu’il faille y voir une mise en cause d’un professeur visiblement soucieux de respecter la prescription institutionnelle et les conseils toujours avisés de Mme l’inspectrice ou M. l’inspecteur de la spécialité, que je ne suis pas, m’empressé-je de souligner. L’on aura noté quelques hésitations dans le vocabulaire pédagogique : entre question et consigne ; entre compétence et capacité ; entre critères et indicateurs de réussite. Je laisserai de côté la discussion sur le choix et la nature des documents fournis aux élèves, sans parler de leurs sources qui n’étaient pas mentionnées.
J’invite à présent le lecteur à relire et à mettre en regard les éléments suivants, qui figurent dans la fiche distribuée aux élèves :
- extrait de la consigne « A l’aide des documents joints, rassure Joey. Pour cela rédige un texte afin de lui expliquer (…) » ;
- dans leur intégralité, les critères de réussite de la rédaction d’un texte bref « Tu dois répondre par un texte lisible, correctement ponctué et orthographié, en utilisant le langage scientifique adapté et en répondant précisément à la question posée. »
Ajoutons ceci : les indicateurs de réussite plus détaillés fournis dans le tableau destiné aux corrections croisées sont exclusivement centrés sur la prise en compte des informations tirées des documents fournis.
L’enseignant a insisté auprès de moi : « Mon exigence est souvent rappelée : concision et clarté des propos (des textes courts, des phrases courtes, allez à l’essentiel) ». J’y souscris bien volontiers, me reconnaissant parfaitement dans ces recommandations que je donnais à mes élèves autrefois.
Quelle est la situation ? Joey est inquiet, paniqué nous dit-on – notons au passage que c’est curieux qu’il le demeure après avoir été exposé au cours de SVT. Il faut donc le rassurer. Comment fait-on pour rassurer ? Et notamment par écrit ? Suffit-il d’expliquer pour rassurer, comme le donne à entendre clairement la consigne (« Pour cela rédige un texte afin de lui expliquer … ») ?
Dans notre échantillon d’écrits d’élèves, F A a trouvé une solution intéressante : « Bonjour Joey ne t’inquiète pas (…) ». Les autres copies sont restées plus neutres, mais même F A revient bien vite à la neutralité impersonnelle que sans doute attend le professeur et avec lui toute l’institution scolaire.
Les textes produits ont-ils vraiment répondu à la consigne ? Je ne le pense pas, ou alors de façon très éloignée de ce qui me semble en être le cœur : « Rassure Joey ». Nul reproche ne saurait être adressé à l’enseignant : lui est professeur de SVT, comment saurait-il guider ses élèves dans la rédaction d’un texte destiné à produire des effets d’ordre affectif sur les lecteurs ?
Qui va pouvoir aider le professeur de SVT ?
On pense immédiatement à son collègue de Français. Celui-ci pourrait par exemple lui faire quelques suggestions : explorer les registres de l’inquiétude et de l’apaisement ; faire écrire deux textes en quelque sorte symétriques, l’un pour inquiéter et l’autre pour rassurer ; mettre en compétition des équipes ; fixer une fourchette de taille au texte ; donner plus de temps, revenir plusieurs fois sur l’écriture en cours pour compléter, corriger, réviser, repenser au besoin les textes ; les publier dans le journal du collège. Etc.
Cette piste d’apparent bon sens se heurte à tout un tas d’obstacles pratiques bien connus, n’y revenons pas. Supposons-les provisoirement surmontés, il demeure que le problème n’a peut-être pas été posé dans les bons termes. De « tout temps », un professeur d’une discipline donnée attend de ses élèves qu’ils assimilent des connaissances qu’il leur a enseignées dans son domaine d’expertise et selon les chapitres inscrits au programme scolaire. Plus récemment, il est en outre invité par l’institution à développer chez son élève des capacités transversales comme la recherche, la sélection, le traitement et l’organisation de l’information. Sa formation générale et professionnelle l’y a incontestablement préparé, il reste donc encore en terrain familier. Mais il lui sera bien difficile d’aller plus loin.
Dans cette affaire, l’entraide entre les deux enseignants, quand elle fonctionne, n’est qu’un pis-aller. En effet, dans notre cas, l’intérêt de la situation proposée par le professeur de SVT (« Rassure Joey ») est qu’elle se prête à la construction conjointe d’un projet partagé entre les deux disciplines, certes incarnées par leurs enseignants respectifs et dans lequel on pourra enrôler plus sûrement les élèves. Par exemple, il pourrait s’agir de produire un document composite, ou carrément un support multimédia. Avec un cahier des charges précis, ce support aura sûrement plus de chances de provoquer l’impact espéré sur son destinataire, même si celui-ci reste virtuel comme notre Joey. Je n’emploie pas par hasard un vocabulaire emprunté à la technologie (produit, cahier des charges, etc.) : car nous sommes passés de la juxtaposition au mieux de deux matières scolaires à l’émergence d’une approche interdisciplinaire, matérialisée dans le projet suggéré et relevant aussi de l’ingénierie de la communication.
Or qui parmi les enseignants de l’école ou du collège a reçu cela dans sa formation, depuis l’école primaire jusqu’à l’université ? Pourtant, la communication est née bien avant que des cours ou des écoles en aient été conçues. Je fais confiance aux enseignants pour s’en débrouiller, et les élèves sauront sans doute encore plus aisément les y aider.
En esquissant l’analyse de ce cas, il me semble avoir mis au jour quelques paramètres susceptibles de faire avancer la réflexion. Les quelques pistes trop vite suggérées peuvent paraitre sans doute un peu naïves. Que les experts réagissent et rebondissent pour nous donner des analyses plus approfondies et des préconisations plus abouties.
Le 18 novembre 2014
Yves Zarka
Inspecteur d’académie, Créteil
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