Enseignement du français : crise, tension ?


Les adhérents de l'AFEF débattent avec Jean-Louis Chiss à propos de son article dans le n° 156 du Français Aujourd'hui : "La linguistique et la didactique sont-elles responsables de la crise de l'enseignement du français?"
Rencontre-débat du samedi 5 mai : Après une introduction de Danièle Manesse sur la difficulté à faire un numéro du Français Aujourd’hui sur l’histoire de la langue, Jean-Louis Chiss situe le contexte de son article « La didactique et la linguistique sont-elles responsables de la crise ? ».
Un discours ambiant postule qu’il y a une crise de l’enseignement de la langue, du français, de la littérature. L’analyse basique de ce discours montre un énoncé de reproches adressés à l’enseignement du français :
  • l’introduction de la linguistique équivaudrait à l’introduction d’un super-élitisme ;
  • nous assisterions à une crise des modèles, de l’autorité, à une dégénérescence post soixante-huitarde ;
  • différentes critiques convergent contre le formalisme et l’abstraction : à celle d’un secteur traditionnel réactionnaire (dans lequel on trouve aussi l’Académie Française) s’ajoute celle d’un secteur pédagogique, dont témoigne l’attaque de Claire Brisset, défenseure des enfants, qui accuse l’abstraction de la terminologie dans les manuels de français de défavoriser les élèves les plus faibles ;
  • des connotations sont attribuées aux contenus d’enseignement : au caractère gris, tiste de la linguistique et de la didactique est souvent opposé le caractère chatoyant de la littérature (ex. Marc Fumaroli) ;
  • nous assistons au retour constant du thème de la « barbarie » accompagné d’un ton apocalyptique (Michèle Gailly, le Bûcher des Humanités).
Une remobilisation historique devient nécessaire. Qu’est-ce qui a changé ? La notion de crise est endémique depuis la constitution de la discipline français au XIXème siècle.
Quand on parle de crise du français on entend en même temps : crise de l’enseignement du français et crise du français comme langue ; historiquement, les deux sont toujours liées. Aujourd’hui les menaces qui pèsent sur le français comme langue sont externes (anglais, plurilinguisme) et internes (jargons, langues des cités). Weismann oppose les langues de service aux langues de culture. Ces menaces sont données comme liées à la crise de l’enseignement du français dans les discours, même si les champs sont distincts.

Les réponses institutionnelles à ces discours alarmistes ne paraissent pas à la hauteur, comme en témoigne le brouillage dans les Instructions Officielles : les enracinements historiques n’y sont jamais pris en compte ; les impressions, l’air du temps semblent prévaloir sur l’enracinement intellectuel. Par exemple les I. O. de collège instituent un rapport entre enseignement de la langue et discours sans préciser leur place respective. Peu de choses sont dites sur les approches continuées de la lecture de l’école au collège. On perçoit un problème de références bibliographiques, de classement et de clarification des notions.

Jean-Louis Chiss termine son exposé par un plaidoyer pour la didactique, discipline du XVIIème fabriquée par des humanistes (ex. Coménius). Il est urgent de reconsidérer l’histoire : de faire la genèse et l’historique des débats en enseignement du français. Une évaluation des travaux menés en didactique depuis 20 ans s’impose. Travailler, mettre à plat, être une force de proposition plutot que de polémiquer.

Y-a-t-il crise de l’enseignement du français ? Il y des discours de crise…

5 mai 2007 Un long débat a suivi ; quelques éléments…
La polyvalence du professeur de lettres est difficile à gérer faute d’une globalisation français/lettres, littérature/langue ; on a cherché cette fusion dans le terme de discours, avec lequel les enseignants sont mal à l’aise, par manque de temps de formation initialement prévus ; la linguistique est plurielle, or les enseignants ont souvent peu de vision globale ; pour pallier la lacune de formation, les manuels pour élèves ont été aussi destinés à former les professeurs, d’où l’introduction d’un jargon qui n’était pas destiné aux élèves. On a aussi fait des erreurs dans la didactique, en 1986, tout était centré sur le texte ; on pouvait identifier thèse, arguments, exemples, connecteurs, sans se demander ce que disait le texte…

La question de la langue est vaste ; tous les élèves ne parlent pas la même langue, alors qu’on fait comme si tous avaient la même intuition de la langue ; le français s’est vernacularisé. L’espace international peut apporter au débat national.

Toute pratique rélexive sur la langue exige énormément de temps, et elle est rarement évaluée sur le long terme. Pour pouvoir intérioriser la grammaire, il faut avoir conscience de l’épaisseur de la langue.

L’unité de la discipline « français » n’existe plus à l’école primaire : les deux domaines langue et littérature sont distincts dans les programmes. La brochure « Maitrise de la langue » qui devait être prise en charge par toutes les disciplines a été peu utilisée. L’enseignant de français est toujours bivalent langue-littérature.

Débat animé, à poursuivre…

Armand Colin Revues

Voir aussi entretien avec Jean-Louis Chiss dans VousNousIls
Soumis par   le 16 mai 2007