Formation des enseignants : une urgence !


« Le collectif Convergences : Ecole en danger », texte N° 2

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 Un appel  du collectif « convergences » pour l’organisation d’assises  nationales pour la formation des enseignants

 

Formation  des enseignants : urgence et vigilance !

Anticipons un peu !

La formation des enseignants, selon diverses sources d’informations devrait être rapidement la prochaine réforme que le gouvernement voudrait mettre en route. On en aperçoit les grandes lignes. Sur un point on ne peut qu’être d’accord : la formation des enseignants  va mal. Elle est même quasi inexistante. Elle doit être réformée.  Elle est sans doute une des premières responsables de la faiblesse des résultats aux évaluations internationales et de l’augmentation des écarts entre les élèves des milieux favorisés et ceux des quartiers populaires. Pourtant, derrière l’affichage pour le grand public de « bonnes intentions », que le ministre J.M. Blanquer ne manquera pas de faire valoir (un grand coup de communication sur un soit disant allongement d’un an  de la formation  est à prévoir), se dessine un vaste projet plus caché de libéralisation de l’enseignement public. Ses visées : faire des économies sur la formation en sous -payant les stagiaires ou en supprimant le  concours, s’attaquer  comme à la SNCF au statut de fonctionnaire des futurs enseignants. Plus grave encore faire de l’école un lieu simplement d’instruction de savoirs ou compétences chosifiées,  évaluables, un lieu de sélection, en oubliant que l’école est bien plus que cela : un lieu  d’éducation (mais cela ne s’évalue pas !).  Pour ce vaste projet, on connait maintenant la technique du gouvernement :  rapidité, pseudo-concertations, pseudo-experts,  passage en force. Il s’agit pour le ministre  d’éviter d’affronter le « mammouth » : les multiples protagonistes concernés, la complexité des institutions qui le constituent la richesse et l’histoire  d’une culture  professionnelle et scientifique de l’éducation, une expérience porteuse et garante des valeurs démocratiques fondamentales de la République, celles-là même attaquées par la pensée néo-libérale.   

D’abord unétat des lieux :  en France,la formation est quasi inexistante !

Supprimée sous Sarkozy, à peine rhabillée sous la présidence de Hollande, la formation des enseignants se résume à une pseudo année. Elle dure en principe dix mois, depuis 1990, après l’obtention du concours de recrutement : des épreuves dites « théoriques » avec écrit et oral. Pour le concours de recrutement des professeurs d’école, il suffit d’une licence quelconque (les licences d’enseignement ayant été supprimées au siècle dernier). En cas de succès, ils deviennent enseignants « stagiaires », chargés de la responsabilité d’une classe attribuée pour « raisons de service ». Mais pour être titularisés, rappelons qu’ils doivent aussi préparer « en même temps » à l’université (dans une École Supérieure du Professorat et de l’Éducation - ESPE) un Master comportant des cours théoriques et un mémoire dans la plupart des ESPE. Une année d’enfer, pour reprendre leurs termes ! L’année suivante, ils auront droit à quelques compléments de formation donnés par les conseillers pédagogiques.

Résultat ? Ils n’auront que très peu rencontré la diversité des situations sociales, des niveaux de classe. Parfois ils seront envoyés en maternelle ou en école élémentaire sans y avoir jamais mis les pieds auparavant. Au cours de cette année, les moments de formation authentique ne dépassent pas la centaine d’heures. Monterait-on dans un avion dont le pilote n’aurait que quelques heures de vol ? Irait-on chez un chirurgien qui ne se serait pas entraîné longuement ? La commission Villani (2018) a fait d’ailleurs une belle découverte : la durée de formation des enseignants du primaire pour les mathématiques est de 28 heures en France contre près de 300 étalées sur plusieurs années pour leurs homologues à Singapour. L’apprentissage de la lecture dans les ESPE n’est pas mieux doté. Et pourtant, les médias n’ont en général donné d’écho qu’à la « dite »   méthode de Singapour ». Les bons résultats en mathématiques des élèves de Singapour relèveraient-ils seulement de cette méthodemagique ? Dans l’avion, en cas d’imprévu, il vaut mieux avoir un bon équipage qu’un appareil qui a tout prévu pour tout.

Et à l’étranger ?

Dans nombre de pays, les candidats au métier enseignant le choisissent dès l’entrée à l’université et suivent pendant toutes leurs études universitaires un double cursus : de nombreux stages pratiques où progressivement ils rencontrent le métier et mûrissent leur projet professionnel tout en suivant des formations théoriques diverses. C’est le principe de la formation en alternance. Au Québec, en Écosse, la formation des enseignants dure ainsi quatre ans. En Belgique, elle vient de passer à trois ans, quatre en Suisse. En Finlande, pays qui a un des plus hauts taux de réussite aux évaluations internationales, la formation professionnelle dure cinq ans, articulée sur trois axes : théorie, pratique et recherche. À l’issue de cette formation, les enseignants sont considérés comme autonomes. Ils ne sont pas évalués. Les tests nationaux n’existent pas. Les programmes tiennent en quelques pages.

Facile, le métier enseignant ?

Les défis nouveaux ne manquent pas : publics de plus en plus hétérogènes, mutations dans le rapport aux savoirs introduit par le numérique, interrogations sur les métiers de demain, questions sur l’avenir écologique, économique du pays, de la planète. L’école est au milieu de la tourmente. Les enseignants français n’y sont que peu préparés. Leur responsabilité est pourtant fondamentale : instruire pour éduquer, donner le goût des études, ouvrir à une culture commune solide et plurielle, apprendre à vivre, à penser ensemble, donner à chacun les meilleures chances pour choisir son avenir. La tâche est lourde, très complexe. Pour y faire face, les enseignants français n’ont souvent que leur engagement, leur détermination. Ils n’ont que très peu de temps pour apprendre le métier avec leurs collègues expérimentés. Ils manquent cruellement de connaissances de base en psychologie sociale, en sociologie de l’école, en sciences cognitives, et même en didactiques disciplinaires. Souvent même, ils sont amenés à enseigner à l’école primaire des matières qu’ils n’ont jamais travaillées ni à l’université, ni en formation initiale, encore moins en formation continue.

Appels au secours, démissions, panne dans les recrutements : les signes d’un désarroi profond des jeunes enseignants

Le nombre d’appels au secours des stagiaires et titulaires en première ou en deuxième année, ne cesse d’augmenter. Les démissions sont de plus en plus nombreuses (on parle de près de 30%) dans les cinq premières années. Le métier, disent-ils, est trop dur. Ils n’y ont pas été préparés, les déceptions sont nombreuses. Rien d’étonnant à ce que certains concours pour l’enseignement manquent aujourd’hui  de candidats.

Quels projets sont sur le feu, au ministère ?  

Former ou formater ?

La question du Cours préparatoire (CP) est emblématique. Le CP a servi depuis la rentrée de chiffon rouge. On l’agite devant les médias pour expliquer que tous les maux du système scolaire, les faibles résultats en compréhension ou en maths des élèves viendraient du CP, voire de la méthode globale pourtant impossible à trouver dans les écoles publiques en France aujourd’hui. Pour y remédier, rien de plus simple : un « bon programme », un enseignement sous contrôle avec une « bonne méthode », un « bon manuel », choisis par le ministère, quelques gadgets pour faire moderne, des séries régulières toute l’année de tests nationaux (tests réclamés aussi par ces fins connaisseurs de l’éducation que sont les conseillers de la cour des comptes dans leur rapport février. Avant la rentrée, pendant les vacances si possible, quelques heures suffiront pour former les enseignants aux nouvelles méthodes, aux nouveaux matériels ! Cette « formation » continue est déjà prête dans plusieurs académies où les conseillers pédagogiques ont été sommés de faire connaître et appliquer la méthode officiellement choisie. Exit la liberté pédagogique ! Exit le libre choix des manuels pourtant décidé par Jules Ferry ! Quant aux universitaires qui s’y opposeraient, ils sont autoritairement écartés (c’est déjà le cas). Exit la liberté de penser du chercheur ! Exit aussi la possibilité pour la formation de s’appuyer enfin sur des savoirs construits dans un travail souvent coopératif entre chercheurs et praticiens.

Un modèle autoritaire

Ce pilotage autoritaire, centralisateur, descendant, fonctionne par injonctions, empêche les discussions, cadre, contrôle, menace. C’est un système où les enseignants deviendraient de simples  exécutants, surveillés et payés au « mérite » (en fonction des résultats aux tests ou au bac ?). Faire la classe clés en main ne demande en effet pas de formation. Instructions ! Exécution ! Exit le praticien réflexif ! C’est le fameux « teaching for tests », dans sa traduction française « bachotage » ! Il ne demande pas aux enseignants de déployer des capacités de réflexion, d’analyse des difficultés des élèves, d’innovations pour s’ajuster à la spécificité des publics mais il lui enjoint  d’appliquer des méthodes et dispositifs élaborés par des pseudo-spécialistes extérieurs à l’école. Outils didactiques et méthodes qui iront enrichir quelques éditeurs choisis. 

On reconnait là aisément le modèle américain : un stress continu pour les élèves, pour les enseignants et pour les parents ! On en connait les résultats si peu brillants que Bill Gates qui le subventionnait largement ces dispositifs d’évaluation des élèves et des enseignants vient de suspendre son soutien faute de résultats probants ! C’est un modèle où les enseignants sont embauchés sans garantie d’emploi. Ils le quittent à plus de 50% dans leurs dix premières années de carrière. Un modèle où les chefs d’établissement embauchent et débauchent, font des visites éclairs dans la classe des enseignants pour vérifier la conformité de leur intervention à la programmation prévue.

C’est un modèle dangereux. Il a pour mission principale non la démocratisation de l’enseignement, mais l’inverse : la sélection, le tri, l’enseignement à plusieurs vitesses, à plusieurs niveaux d’exigence. On en voit les prémices avec Parcoursup qui voit fleurir les officines privées d’orientation à 900 euros le conseil pour aider à repérer la bonne stratégie pour trouver sa place à l’université. Là aussi, résultat non garanti !

Formation initiale :  quelles arrière-pensées ?  

Le ministre affirme vouloir s’occuper en premier de la formation des enseignants du primaire. Une urgence selon lui. Quelle intention se cache derrière ? La volonté de dissocier premier et second degré ? Par exemple en laissant la formation du premier degré sous la haute tutelle des DASEN (les anciens inspecteurs d’académie) juges et parties, dont certains seraient trop heureux de s’affranchir de la présence d’universitaires depuis la loi de 1989 ? L’opération aurait-elle pour but d’écarter les points de vue critiques des enseignants-chercheurs formateurs ? De supprimer le mémoire professionnel, déjà abandonné ou vidé de sa démarche scientifique dans certaines ESPE, faute d’universitaires pour les encadrer ? À terme on pourrait même se demander si ne se préparerait pas un nouveau statut pour les professeurs d’école, comme pour les enseignants de maternelle ??? On remplacerait le recrutement de fonctionnaires par l’embauche de contractuels d’État ! Ça existe déjà pour le privé sous contrat d’association et alors, le statut… Inquiétudes !!

Une deuxième arrière-pensée est tout aussi préoccupante : faire des économies sur la formation tout en prétendant l’améliorer ! Arguant à juste titre de la nécessité d’un allongement de la formation, il pourrait être proposé de Supprimer le concours de recrutement et le remplacer par une sélection à l’entrée du Master des métiers de l’Enseignement, de l’Education et la formation( aucun engagement de l’état à employer les lauréats du Master et une piste pour en faire des contractuels). D’où un coup double : moins de fonctionnaires grâce à une coupure définitive entre l’enseignement et la Fonction Publique d’Etat plus une caporalisation qui fera dépendre les enseignants de leurs petits chefs pour avoir et garder un emploi.  Ce « recrutement » en Master serait suivi de deux ans de formation comportant des stages (soit un an de plus qu’actuellement) mais les « candidats »  enseignants, avec des allocations  oscillant entre 450 euros mensuels en M1 et 900 euros en M2 (contre 1400 actuellement) seraient alors traités comme de futurs contractuels, capables de (sur)vivre en dessous du seuil de pauvreté, et non comme des stagiaires de la fonction publique. Le statut de fonctionnaire des enseignants semble bien visé ? La manœuvre est grossière ! Mais hélas de plus en plus fréquente : voir le projet pour la SNCF.

Soyons plus responsables et ambitieux :

De quels enseignants la France a-t-elle besoin pour répondre aux défis nouveaux ?

Nous avons besoin d’enseignants responsables de leurs pratiques, qui décident de leurs choix pédagogiques et didactiques. Non de contractuels taillables et corvéables qu’on voudrait formater, contrôler, domestiquer.

Nous avons besoin d’enseignants respectés par les élèves, les familles parce qu’ils auront acquis un haut niveau d’expertise professionnelle. Des enseignants capables de faire les analyses critiques des différentes méthodes, ou pratiques. Des enseignants entraînés à évaluer eux-mêmes leurs élèves, leurs difficultés comme leurs talents. Capables de décider en toute autonomie et concertation avec leurs collègues des meilleures stratégies pour les faire réussir.

Nous avons besoin d’enseignants qui auront appris à collaborer avec leurs collègues pour trouver les ajustements les plus adaptés à la diversité des problèmes rencontrés, à la diversité des environnements sociaux, économiques et culturels de l’école.

Nous avons besoin d’enseignants engagés dans la défense des valeurs de l’école républicaineet non dans celles d’une société néo-libérale, individualiste, qui cherche à trier, distinguer, favoriser les « premiers de cordée ».

Nous avons besoin d’enseignants qui auront le souci des évolutions nécessaires de leur métier et qui pour cela n’hésiteront pas à s’engager dans les démarches de recherches accompagnées par des chercheurs. Des enseignants en mouvement, critiques, en recherche du meilleur pour leurs élèves et pour eux-mêmes. Nous avons besoin d’une vraie formation qui se déroulera sur quatre à cinq ans sans se raccorder à n’importe quelle licence !

Pour des « assises de la formation des enseignants ».

La question de la formation ne peut être laissée à la seule initiative du cabinet ministériel et de quelques opérations qui jettent de la poudre aux yeux (allonger la formation d’un an - sans l’allonger en réalité - tout en supprimant le statut de fonctionnaire stagiaire, c’est magique !) ! Elle doit être largement débattue par tous les intéressés. Organisons de grandes assises nationales pour inventer et refonder la formation des enseignants. Elle est l’affaire de tous ceux et toutes celles qui ont le souci d’une école plus juste, plus efficiente. Tout cela nécessite la mise en place d’une formation professionnelle des enseignants à la hauteur des difficultés du métier et de ses enjeux d’aujourd’hui et demain. Il en va du développement démocratique, intellectuel, culturel, économique du pays.

Tous ensemble (enseignants, formateurs, conseillers pédagogiques, chercheurs, inspecteurs, directeurs, parents d’élèves, étudiants et usagers de l’école, syndicats, associations de spécialistes), exigeons une formation initiale et continue de qualité et, pour cela, rassemblons-nous, proposons  l’organisation des assises de la formation des enseignants. 

 

Je soutiens cette proposition  d’Assises nationales pour la Formation des Enseignants

Nom, prénom,

 Statut

Etablissement :

 à renvoyer à

dominique.bucheton@gmail.com

 

Le collectif convergences s’est crée en janvier 2018 à Montpellier à l’initiative de formateurs, enseignants-chercheurs, enseignants, parents.  Il s’est donné pour mission d’alerter, sensibiliser, expliquer, proposer, rassembler. Il s’adresse à tous ceux qui ont le souci de la défense de l’école Publique, ses institutions, ses valeurs.

 

 

 

Soumis par   le 06 Mars 2018