Forum de la démocratisation


Organisé par le Café pédagogique, 6 octobre 2012

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Forum de la démocratisation - 6 octobre 2012

En introduction, les animateurs  rappellent un constat significatif des enjeux en matière de démocratisation de l'école : on est le seul pays de l'OCDE où la scolarisation diminue ; notre scolarisation est ségrégative c'est-à-dire qu'elle augmente les écarts et que les collèges accroissent l'écart entre quartiers. 

Une première table ronde est consacrée à quatre témoignages d'"enseignants innovants" et leurs expériences de terrain présentées lors du forum 2012 des enseignants innovants :
- le blog en maternelle de Monique Ducrout, pour associer de façon plus étroite les familles aux apprentissages de leurs enfants en valorisant ceux-ci ;
- l'utilisation de Twitter en cycle 3 par Amandine Terrier, pour amener les élèves à écrire, à communiquer et à découvrir leurs droits et devoirs sur les réseaux sociaux ;
- la réalisation d'un clip de rap en quatrième par Marie Soulié : face à la discrimination vécue par des gens du voyage, deux classes et une équipe de professeurs vont se mobiliser, écrire collectivement un texte, le mettre en musique, le chorégraphier, tourner le clip et le présenter dans une fête à laquelle assisteront des familles habituellement éloignées de l'école;
- une action d'accueil des secondes générales et technologiques, présentée par Mehdi Tamené, interrogeant et bouleversant les routines d'un lycée dont toute l'équipe se mobilise pour prévenir les ruptures en particulier des élèves issus des collèges ruraux ou ECLAIR.

La deuxième table ronde a présenté des points de vue d'"experts".

Tout d'abord Gilbert Longhi, ex-proviseur lycée Jean Lurçat et initiateur de dispositifs de raccrochage de lycéens décrocheurs a présenté ce qu'il a nommé des "points de portance pour développer la démocratie dans l'école" :
- accorder aux élèves fragiles un moratoire, pour qu'ils ne trainent pas éternellement le boulet de leur passé ;
- tenir compte des écris d'Antibi sur la "constante macabre" et la notation ;
- "majorer le rêve des élèves sans générer l'illusion" en ne les renvoyant pas continuellement à leurs impossibilités ;
- avoir une tendance moins lourde à la sous-traitance (auprès des entreprises vers lesquelles on se tourne dès qu'un jeune rencontre des difficultés, des collectivités territoriales, mais aussi du secteur marchand ce qui est encore plus problématique) ;
- développer la bienveillance et la quiétude scolaire : pour faire tomber la pression, il propose qu'en matière d'orientation, un élève ait toujours ce qu'il désire de la 6ème à la Terminale ;
- contenir les pratiques discrétionnaires ;
- assouplir l'obligation d'assiduité (ne pas confondre avec l'obligation scolaire), valoriser des savoirs acquis ailleurs ;
- créer un statut de décrocheur avec un droit au retour ;

Yves Reuter, auteur d'un rapport sur l'innovation scolaire, didacticien du français, note que dans les témoignages de la première table ronde on trouve des composantes récurrentes de l'innovation :
- accueil des élèves et pari sur leurs possibilités,
- articulation avec le milieu,
- création de véritables situations de travail et de communication
- privilégier la coopération plutôt que la compétition,
- investissement des enseignants et confrontation à des résistances diverses.
Il soulève ensuite quelques problèmes :
Tout d'abord le fait de constater que les innovations marchent ne dit rien de leur effet sur la démocratisation, il faudrait donc mettre des moyens pour analyser s'il y a des effets en la matière et lesquels.
Le second problème est celui de l'institution : il serait temps que les rapports soient lus ; il faudrait que les responsables aillent sur le terrain et considèrent que là est le savoir et non dans leurs bureaux ; il faudrait se pencher sur la transmission de ce qui se fait, que tout ne soit pas à recommencer, réinventer.
Enfin l'analyse critique des contenus et des disciplines passe au second plan. Pourtant des questions se posent : qu'est-ce qu'une discipline scolaire (découpages, visions du monde, problèmes des élèves....), pourquoi certains exercices ont-ils une valeur emblématique dans des disciplines. Il faut faire attention que la gauche n'achève pas le travail de délabrement des contenus,  attention à ne pas générer des illusions, à analyser les tensions qui traversent les savoirs scolaires (sinon on laisse les élèves s'en débrouiller seuls). Il y a urgence à réintroduire la question des savoirs indépendamment du débat sur les disciplines.

Jean-Yves Rochex, sociologue de l'éducation, provoquera bien des réactions en affirmant d'emblée que la démocratisation n'est pas soluble dans l'innovation
D'abord parce que les conditions de la démocratisation ne relèvent pas que de l'école ni de la pédagogie, d'autre part parce que l'innovation repose sur des logiques de mobilisation militante alors que les enseignants sont des fonctionnaires. 
Pour lui les questions qui fâchent sont nombreuses : 
Est-ce que les initiatives militantes sont porteuses d'éléments vecteurs de démocratisation et en quoi ? 
Dans les comptes-rendus et l'idéologie de l'innovation, qu'est-ce qui est neuf ? 
L'idéologie de l'innovation met l'accent sur l'initiative extraordinaire, comment, alors, tisse-t-on le lien avec l'ordinaire de la classe ? Qu'est-ce qui se passe après, qu'est-ce qui a été construit pour mettre les élèves en situation de mieux faire face aux situations qui  constituent l'ordinaire de la classe ? Comment tresse-t-on des projets plus proches des préoccupations des élèves pour mieux s'en éloigner ? Cette question est massivement maltraitée, et minore les apports possibles des projets à l'ordinaire.
De plus il y a problème pour la démocratisation quand on n'interroge pas les questions de contenus disciplinaires et de manière de faire des élèves avec les enjeux de savoir. En effet, est-ce que tous les modes de faire se valent du point de vue des apprentissages, est-ce qu'il n'y a pas des modes de faire innovants ET élitaires, plus en rapport par exemple, avec la réalité sociologique des enseignants ?
Enfin, Jean-Yves Rochex se dit attristé par le rapport sur la refondation : si on n'est pas capables de poser les questions d'articulation de la justice sociale et du fonctionnement scolaire, on se fourvoie.

Jacques Bernardin, président du GFEN revient sur la même idée : les pratiques innovantes ne suffisent pas au changement tant qu'elles ne touchent pas l'appétence face au savoir et la posture face aux apprentissages. Il y a malentendu et malaise des élèves qui ne comprennent pas ou qu'on a trop aidés, il faut rejeter les pratiques qui brouillent les attendus et arriment les malentendus, elles  génèrent pour les élèves des milieux populaires une disqualification symbolique.
La pédagogie de détour peut, certes, se révéler intéressante pour les décrocheurs mais comment fait-elle pour leur assurer un retour vers les attendus, la norme, le système, la reconnaissance sociale... Parfois on privilégie une situation intéressante et attrayante au détriment des attendus et des déplacements cognitifs à construire, on confond mise au travail et mise en travail, on oublie que des moments de décontextualisation sont impératifs.
Pour construire la démocratisation, Jacques Bernardin rappelle les conditions suivantes :
- comprendre la logique des élèves nécessite des outils sociologiques ;
- les obstacles s'incarnent dans des difficultés dans les champs disciplinaires ;
- il faut faire la radioscopie de l'objet d'apprentissage, réveiller le concept problématique initial, mettre à jour les avatars de leur genèse, ce en quoi leur structure actuelle se justifie, passer du faire au comprendre ;
- il faut réserver un temps pour les apprentissages (pas seulement pour s'exercer et évaluer) ; inscrire les apprentissages dans une tension entre l'individuel et le collectif ; tenir le cadre sans induire la solution ; maintenir la tension dans la conduite du débat de preuve et pour autant que le processus de conceptualisation reste conquête pour les élèves.

Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile-de-France, en charge des lycées, invite les participants à s'interroger sur le niveau auquel on situe les ambitions, à se persuader que, réellement, tous peuvent réussir. Cela implique de repenser l'orientation en partant des choix des jeunes.
L'école, rappelle-t-elle, participe à la construction de travailleurs mais aussi de citoyens capables d'une pensée critique. La logique de la démocratisation c'est d'aller vers une école obligatoire jusqu'à 18 ans, pas seulement une école du socle pour le plus grand nombre, qui s'opposerait à l'école de l'excellence pour une "élite".
C'est à l'école qu'on doit permettre de réussir donc la question des contenus est essentielle.
Par rapport aux questions de compétition et de concurrence il y a aussi nécessité de transformations. Les parents prennent l'école comme un marché (Mme Zoughebi incite à la lecture d'un rapport du Sénat sur la concurrence entre établissements). Pour cela il convient de rompre avec les discours de fatalisme ; la réussite pour tous est un objectif atteignable dont on doit s'occuper collectivement et non individuellement. Cela passe par la reconstruction d'une mixité sociale et scolaire : on ne peut se résigner devant le constat que la ségrégation scolaire est plus forte que la ségrégation urbaine. Il faut intégrer dans cette réflexion celle sur le privé qui n'a pas, aujourd'hui, de comptes à rendre et contribue à la destruction du système.
Les collectivités territoriales doivent être impliquées (elle donne en exemple la dotation de solidarité aux établissements qui ont une composition populaire), il faut donner des moyens sans obliger les équipes à remouliner des projets tous les ans. Par contre, en ce qui concerne la proposition issue de la concertation de supprimer le zonage, pour accorder exclusivement des moyens sur critères sociologiques aux établissements, elle ne semble pas pertinente, dans la mesure où c'est aussi un rôle des collectivités territoriales de contribuer aux relations inter-établissements.
Il faut remplir les conditions sociales de la démocratisation (bourses, logements...), prendre en compte la réalité de la misère sociale (par exemple la misère des jeunes des LP). Les plus fragiles des jeunes sont en LP, pas dans l'apprentissage car les patrons choisissent qui ils veulent bien prendre.
L'intérêt du numérique est de n'être pas exclusivement descendant mais la constitution de réseaux implique qu'il y ait beaucoup plus de contributions pour ne pas laisser la place aux marchands dans les réseaux sociaux où ils règnent déjà. 
Il faut enfin s'interroger sur le sens dans l'école, pas seulement sur les dotations. 

 

Parmi les interventions de l'après-midi, la plus porteuse d'enseignements était celle de Nathalie Mons, co-rapporteuse avec Christian Forestier, Marie-France Colombani et François Bonneau, du Rapport sur la concertation pour la refondation de l'école. Elle a par ailleurs rappelé que les comptes-rendus des 21 ateliers seront publiés.

La commission a davantage réfléchi en termes de conditions pour une démocratisation qu'en termes de contenus. Trois axes se dégagent.
Le premier est qu'une école démocratique est une école où se développe la justice sociale. De ce point de vue des constats dérangeants ont été faits :
- La reproduction sociale a empiré ; la situation des élèves issus de l'immigration est pire que dans les autres pays de l'OCDE : leurs difficultés se poursuivent au-delà de la première génération.
- Dérangeantes également, les inégalités territoriales : offres différentes de contenus, de formation des enseignants, d'apports des collectivités territoriales (l'écart est de 1 à 10 entre les communes, de 1 à 2 entre les régions c’est-à-dire qu’elle affecte plus l’école primaire que les lycées et pèse donc particulièrement pour accroitre les discriminations).
Ces facteurs d'inégalité sont cumulatifs. La « discrimination positive », mise en avant depuis 30 ans avec la création des ZEP, est très éloignée.
Pour avancer vers une école où se développerait la justice sociale, la commission fait quelques propositions :
D'abord détricoter le système méritocratique traditionnel en mettant l'accent sur le primaire (ce qui va à l'opposé des choix budgétaires actuels) avec plus de postes que de classes pour une nouvelle pédagogie (pédagogie coopérative, suivi plus étroit de petits groupes, projets).
Ensuite lever le fonctionnement actuel de labellisation ZEP, pour garantir un continuum et une augmentation progressive des financements en fonction du public accueilli, construire des équipes stables ayant du temps pour le suivi, des équipes formées... En ce qui concerne la carte scolaire, la commission propose un élargissement des secteurs pour avoir des publics hétérogènes, socialement et scolairement.
Le nouvel acte à venir de la décentralisation implique de nouveaux transferts, et, face aux inégalités territoriales, il faut expliciter quelles régulations, compensations, péréquations permettront de ne pas aggraver les inégalités déjà constatées, au contraire.... Il faut garantir une régulation nationale proposée par des objectifs nationaux et une régulation locale entre Etat/collectivités...

Le second axe pour créer les conditions d'une démocratisation de l'école  est de veiller à ce qu'elle soit une école où se développe une vie démocratique.
L'école doit être un lieu d'acquisition de compétences civiques et sociales, pas un lieu de communication verticale où les professionnels ne sont que de simples exécutants. Pour le développement des compétences civiques, il importe de rendre l'élève actif. Pourquoi constate-t-on peu d'investissement dans les conseils de la vie lycéenne et les fonctions de délégués de classe ? On peut incriminer les relations verticales adulte-enfant...
Face à cet état de fait la commission a fait des propositions pour lancer des expérimentations, aider à l'essaimage des innovations.

Enfin pour qu'une école puisse être démocratique, il faut qu'elle traite bien ses enfants : qu'elle puisse offrir une expérience scolaire réussie qui permette la construction de l'élève et de la personne. Les savoirs sont instrumentalisés dans un système concurrentiel : il faut sortir de la course infernale au diplôme (ce qui ne signifierait pas renoncer aux diplômes). Un autre constat est qu'il y a trop d'exclusions plutôt que des compensations ; ces exclusions, souvent sans prise en charge, conduisent au décrochage.
Les propositions pour cet axe sont : que toute exclusion s'accompagne d'une prise en charge. En ce qui concerne l'évaluation, il n'y aura pas de remise en cause de la notation à partir du primaire, mais insistance pour construire une évaluation plus formatrice (collective, auto-évaluation, évaluation du groupe, du projet). Contre le décrochage, la proposition est de développer des passerelles...

En résumé, selon Nathalie Mons, pour favoriser la démocratie, la commission a mis en avant des propositions d'évolutions structurelles mais aussi de changements de pratiques dans la classe, au quotidien.

Le début d’après-midi était consacré à des ateliers, voici le compte-rendu de l’atelier « Comment favoriser le rapport à l’écrit » :

Un constat s'impose, celui de la diversité des expériences des participants (enseignants de la maternelle à l'université, enseignants spécialisés, parents, bénévoles pour l'aide etc...) mais aussi celui de la diversité des représentations qui sont parfois antinomiques : les difficultés du rapport des enfants des milieux populaires à l'écriture sont-elles le fruit d'un langage incorrect et pauvre ou bien celui de la non reconnaissance, par une société inégalitaire et son école, d'une variété de langue et de ses usages, de l'imposition comme norme de la langue et des usages de la classe dominante ?

On peut seulement, de ce fait, relever les points d'accroche du débat.

* Le rapport oral / écrit :
* Le rapport à l'écrit compris comme réception de l'écrit (la lecture), ou comme production (l'écriture), souvent pour minorer cette dernière dans les apprentissages.
* Les difficultés sont-elles liées avant tout aux aspects techniques (il convient alors de se centrer sur la maitrise d'une norme) ou concernent-elles essentiellement la compréhension, la construction de représentations du monde ?
* La place pour les univers de référence maitrisés, ceux du milieu social ?
* Les objectifs : Pour communiquer ? Pour construire une pensée ? Pour construire un rapport au monde ?
* Des témoignages ont illustré combien il est couteux d'écrire, comment cela mobilise même des lettrés.
* Ce n'est pas écrire en soi qui pose problème, c'est la secondarisation c'est-à-dire le fait de pouvoir sortir de l'immédiateté de la communication, où l'oral est suffisant. Comment proposer aux élèves des situations où ils apprennent à lire au sens d'interpréter en l'absence d'un émetteur et à anticiper sur les difficultés prévisibles d'un destinataire absent ? De ce point de vue aussi, il convient d'interroger les conditions d'utilisation de réseaux comme Twitter.
* L’importance du temps pour effectuer à l'école les apprentissages qui ne se font pas en famille.

La contrainte de devoir rendre compte des débats m'a imposé le rapport d'extériorité relative du témoin à partir duquel j'ai été frappée par plusieurs choses qui me semblent faire partie des conditions d'une démocratisation de l'école :
- J'ai déjà parlé du caractère antinomique de certaines représentations, malgré cela, il faudra éviter les anathèmes car ce sont les enfants, les élèves, les apprenants qui en font toujours les frais.
- La tension entre "chercheurs" d'une part et acteurs du terrain devra être dépassée. Les praticiens ont vivement réagi parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans le portrait d'enseignants archaïques et rigoristes que brossent les chercheurs. Ils ont le sentiment que ceux-ci ne prennent pas en compte la réalité de leur travail mais n’en appréhendent que la surface, voire la lisent à travers la lunette déformante de préjugés. Il y a sans doute là quelque chose  que les chercheurs doivent entendre. A l'inverse, j'ai été interpelée par des réflexes "populistes" de rejet de la complexité d'un discours de conceptualisation, de refus de prendre et d’accorder aux chercheurs le temps de développement d'une pensée complexe. Il m'a semblé que des professionnels de l'enseignement (ou des adultes en charge de l'accompagnement d'apprentissages) reproduisaient une difficulté d'élèves à abstraire à partir de sa pratique, à s'abstraire de sa pratique et des affects, pour la conceptualiser et bien saisir tous les enjeux en matière d'apprentissage.

Il est intéressant (et inquiétant ?) de constater que cette remise en cause de la légitimité du discours et de la posture des chercheurs soit passée par un refus de relations magistrales. Comme une mise en abyme de ce qui se joue dans bien des classes en matière de rapport à l'écrit, lorsque les affects et la souffrance issue de discriminations symboliques affecte les capacités à comprendre.

Dominique Seghetchian (AFEF – Association Française des Enseignants de Français)

Soumis par   le 25 Octobre 2012