Idée reçue n° 2 : « le français est LA langue de la République Française ».
De 1 nation = 1 langue…
Lorsque j’ai commencé à enseigner, en 1977, en tant que professeur de Lettres-Histoire en Lycée d’Enseignement Professionnel (depuis Lycée Professionnel), le message à faire passer tenait dans cette formule : 1 nation = 1 langue + 1 histoire + 1 culture. Sur cet axiome se fondait la distinction entre nation (monolingue) et État, l’État français étant un exemple d’État monolingue puisque l’alsacien ou le créole n’étaient pas considérés comme des langues mais des dialectes… Ils échappaient au qualificatif méprisant de patois. La langue d’origine de nos élèves issus de l’immigration ne nous intéressait pas, ne nous concernait pas et nous étions à mille lieues de soupçonner qu’il y eût une distinction entre arabe littéral et arabes dialectaux… « Historiquement, notre modèle d'intégration a visé l'assimilation de et par la langue française ce qui peut donner l'illusion d'un pays monolingue. » (Jacques Toubon)
Il faut bien dire que cette représentation linguistique dominante n’était qu’un des aspects de notre posture globalement normative ! Quand des élèves m’interrogeaient sur l’origine de mon nom, je me contentais de répondre que j’étais fonctionnaire titulaire et donc de nationalité française.
… à la découverte du patrimoine des langues de France et de celles parlées en France
C’est par le biais de mon intérêt pour les élèves en difficulté, dont j’étais persuadée qu’ils étaient capables d’apprendre et pleins de ressources, que j’en suis venue à m’intéresser aux parcours et aux réalités linguistiques de mes élèves et, de façon plus générale, des enfants que je rencontre. Mes lieux d’exercice ont fait que j’ai beaucoup rencontré les langues de l’immigration et fort peu les langues régionales.
Portraits :
- Enzo, Kosovar, parlant albanais, un peu allemand, un peu italien, en CLA-NSA[i], beaucoup dans la tchatche et dont le stress se lit sur son visage et le verrouillage de tout son corps, lorsqu’il se trouve, à l’atelier théâtre, contraint de sortir de l’improvisation et d’approcher le texte à travers quelques répliques, même adaptables.
- Robert, Congolais, scotchant toute une classe de zupiens pour laquelle j’ai dû traduire ce propos : « Madame, puis-je sortir me soulager ? ».
- Ibraguim, tchétchène, parlant outre sa langue maternelle, le russe et le français, un peu d’arménien et de georgien (il était en CE1 mais vivait dans un appartement collectif en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile).
- Anita, élève en 4ème dont j’ai oublié le pays d’origine, sans doute le Congo puisque dans les 4 langues africaines qu’elle parle figure le lingala mais qui considère qu’elle parle 3 langues : le français, l’anglais et l’espagnol, les langues enseignées au collège…
- Kamel, élève de Segpa, capable de reformuler un courrier d’avocat pour demander au Réseau Éducation Sans Frontières des indications sur la voie à suivre.
Et puis j’ai découvert grâce à eux :
- Que, dans ma classe, ils n’apprenaient pas le même arabe dans leurs cours du soir.
- Qu’il pouvait y avoir plus de 6 « personnes » à une conjugaison (j’avais oublié le duel du grec), que les conjugaisons peuvent être genrées…
Ma vision du monde, de l’humanité, de la société a gagné en complexité. Et comme la langue française est subtile, j’ai appris le distinguo entre la langue de la France (sa langue officielle selon la Constitution, le français) et les langues de France[ii].
Vous aussi avez rencontré dans vos établissements des polyglottes aux compétences reconnues ou non, partagez des moments de rencontre, des portraits en écrivant à contact@afef.org .
[i] Classe d’accueil pour élèves non scolarisés antérieurement.
[ii] « Les langues de France sont les langues parlées traditionnellement par des citoyens français sur le territoire de la République, et qui ne sont langue officielle d’aucun État. » http://www.dglflf.culture.gouv.fr/lgfrance/lgfrance.htm
On peut en trouver la liste sur http://www.dglflf.culture.gouv.fr/lgfrance/lgfrance.htm
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