Idée reçue n° 6 : C’est pas d’la vie, c’est que d’la littérature (bis), de Dominique Seghetchian


Dans la série des idées reçues

 

Idée reçue n° 6 : C’est pas d’la vie, c’est que d’la littérature (bis)

 

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Voilà une idée répandue, presque un lieu commun…

Et pourtant une école élémentaire du Gers démontre comment la littérature peut au contraire permettre de soulever au cycle 2 l’épineuse question des relations entre filles et garçons, des stéréotypes de genres et, espérons-le, contribuer à les faire évoluer positivement.

Rendez-vous sur le site d’Emmanuel Veneau, un instituteur de cette école : http://www.cqma.info/article164.html

Vous y trouverez entre autres une description du projet et des actions menées entre 2010 et 2013, avec une analyse de la façon dont cette question est traitée dans la littérature de jeunesse, d’abord les documentaires, puis la fiction, enfin une présentation des évolutions récentes.  Je cite :

« Sexisme et littérature jeunesse
La façon dont la problématique des relations filles/garçons est traitée dans les ouvrages pour la jeunesse a fait l’objet de nombreuses études. Par ailleurs, nous nous sommes nous-mêmes plongés dans quelques documentaires afin d’étudier les approches privilégiées par les éditeurs sur ces thématiques.

I.B.2.a - Les documentaires
Les documentaires pour écoliers présentent en général des situations vécues pour questionner ensuite l’enfant et l’amener à s’interroger sur certaines notions, en lui apportant de manière synthétique un éclairage factuel (social, historique, statistique) à sa portée. En nous fondant sur les ouvrages que nous avons consultés, nous pouvons lister les sujets et les explications suivants :
- Les différences entre filles et garçons sont définies par les différences physiques et, en premier lieu, sexuelles. La conséquence que seules les filles ont la possibilité de « donner naissance à un bébé » est mentionnée systématiquement. Certains ouvrages font allusion à des différences de fonctionnement du cerveau, de comportement ou psychologiques, en général, pour expliquer par la suite qu’elles sont construites et non innées. Les ouvrages rappellent qu’au-delà des différences physiques les filles et les garçons sont tous des êtres humains. Dans un ouvrage, l’évidence naturelle des différences sexuelles est relativisée par l’évocation des animaux hermaphrodites (escargot), naturellement transsexuels (crabe) ou d’organismes asexués (bactérie).
- L’acte sexuel est présenté dans une vision utilitariste (« faire des bébés »). Il peut être mentionné que la procréation sexuée permet le mélange des gènes et est source des différences entre êtres humains et de l’unicité de chaque individu. Par contre, l’acte sexuel comme source de plaisir n’est abordé dans aucun des ouvrages pour enfants consultés (en 2010, lors de la mise en place du projet, cf. le paragraphe “Évolutions récentes”).
- Les stéréotypes sociaux sont abordés par les différences de comportements, de jeux et de métiers. Les différences sont explicitées puis interrogées en général par la présentation de situations inversées. Certains ouvrages mettent en avant les variations dans le temps par des rappels historiques qui tendent à montrer que nos représentations dépendent « de l’époque et de la société ». D’autres mentionnent, l’importance de l’éducation dans la construction du genre en explicitant les différences d’habitude et d’attente des familles ou de la société face aux garçons et aux filles (« Ce sont les gens qui ont créé cette différence entre les filles et les garçons »). Des ouvrages mentionnent la notion de « rôles qui empêchent » dans une perspective d’émancipation des individus de ces constructions sociales. En général, les ouvrages dépassent les stéréotypes sociaux en posant pour chaque individu l’existence d’une personnalité propre qui lui permet de s’en affranchir (« Pourquoi un garçon ne pourrait-il pas aimer la danse comme une fille ? »).
- L’inégalité homme/femme est un thème connexe. Les ouvrages rappellent des données historiques liées aux droits des femmes et des données sociologiques. Le plus souvent ces questions sont abordées historiquement et sociologiquement à travers la question de la vie professionnelle (les métiers), de la vie familiale (les tâches ménagères). D’autres inégalités sociales peuvent être traitées, par exemple les différences de droits accordés au sein des familles à un garçon ou à une fille. Les ouvrages insistent sur les évolutions historiques (société patriarcale, mixité dans les écoles), évoquent certaines étapes de l’émancipation des femmes (droit de vote) sans nier les inégalités persistantes et illustrent la nécessité d’agir aujourd’hui pour lutter contre celles-ci.
- Le rapport fille/garçon est aussi traité au travers des ressentis des enfants. Certains ouvrages explicitent les étapes « classiques » du parcours de leurs lecteurs : prise de conscience de son identité sexuelle, indifférence ou antagonisme (« les filles/garçons sont nul(le)s »), attirance. Certains ouvrages évoquent les difficultés de communication garçons/filles (liées aux différences, aux représentations stéréotypées, à la méconnaissance de l’autre, à la pression du groupe, etc.). Si l’amitié est étrangement peu traitée dans ces ouvrages (mais elle fait souvent l’objet d’autres publications spécifiques), le sentiment amoureux est abordé, ainsi que la difficulté à l’exprimer (sans avoir honte, ni faire l’objet de moqueries). Des ouvrages s’interrogent sur « qu’est-ce qu’être amoureux ? ». La plupart des documentaires insistent sur les aspects positifs de l’état amoureux (créativité, sentiment de bien-être, énergie, confiance en soi…). Aucun ouvrage n’aborde la question du sentiment amoureux entre personnes de même sexe.
La lecture de ces documentaires illustre la difficulté d’aborder ces sujets avec des enfants de cet âge et de mettre à leur portée des notions parfois complexes (transposition didactique). Ainsi, certaines explications, séduisantes au premier abord, paraissent au final peu pédagogiques. Par exemple, la définition des différences garçons/filles par la maternité est incontournable, mais, si l’on s’y arrête, elle peut naturaliser certains stéréotypes sociaux (« femme = mère »). Un des ouvrages tente de déconstruire les stéréotypes sociaux en notant que chaque individu possède « une part de masculin et de féminin », ce qui paradoxalement peut renforcer dans l’esprit des enfants les stéréotypes de genre. Enfin certains récits proposés ne sont pas dénués d’ambigüités, ainsi dans l’un des ouvrages, le garçon qui fait de la danse ne l’assume que dans la mesure où la danse lui permet de développer, au final, des qualités perçues comme masculines.

I.B.2.b - Les œuvres de fiction
De nombreuses études ont montré que les albums jeunesse, « supports privilégiés du processus d’identification », véhiculent et renforcent de nombreux stéréotypes sociaux et que la littérature jeunesse est, elle-même, un univers très inégalitaire. Ainsi, il y aurait deux fois plus d’albums avec un héros qu’avec une héroïne, les garçons sont majoritairement présents dans les titres et sur les couvertures (80% contre 25%).
Ce projet pourrait donc être l’occasion d’apporter plus d’attention à ces aspects lors du choix des albums proposés en classe, et de découvrir les ouvrages promus par les bibliographies de littérature jeunesse non-sexiste. Ainsi les éditions Talents Hauts publient « des livres pour enfants contre le sexisme », l’association Adéquations ou le CDDP de Grenoble proposent des bibliographies « pour l’égalité entre les filles et les garçons » et l’association Lab-elle a sélectionné « 300 albums sans stéréotypes de genre ».

I.B.2.c - Évolutions récentes
Ces dernières années, des évolutions sont visibles. Du côté de la fiction, pour ce qui est de la littérature ou de la presse jeunesse, on assiste à la fois au développement par les maisons d’édition de collections ou de magazines excessivement genrés, mais aussi à la prise en compte des critiques récurrentes qui leur sont adressées par un rééquilibrage des personnages féminins et masculins, de leurs caractères et rôles respectifs.
Du côté des documentaires, on voit apparaitre des ouvrages qui abordent ces thématiques sans faire l’impasse sur les questions délicates (homosexualité, plaisir sexuel, etc.), avec nuance et sensibilité, en dépassant les stéréotypes, comme C’est ta vie ! de Thierry Lenain et Benoît Morel (Oskar éditeur), publié en 2013.

I.B.3 - L’enfant et les stéréotypes sociaux
À travers les livres de jeunesse, et plus généralement à travers les médias quels qu’ils soient, les enfants sont confrontés et construisent des stéréotypes de genre. Parmi les stéréotypes cités dans les ouvrages consultés, ceux qui sont déjà à l’œuvre dans leur vie quotidienne, et notamment à l’école sont :
- les jeux et les jouets 
- les métiers. »

Que cette longue citation ne vous empêche pas d’aller sur le site (rappel : http://www.cqma.info/article164.html ), vous y trouverez des références plus précises.

N’hésitez pas à cliquer sur le pdf qui figure en bas de la page.

Celui-ci reprend la présentation de la situation constatée dans l’établissement, l’analyse ci-dessus, les références institutionnelles qui légitiment cette action mais, surtout, il décrit l’ensemble de la démarche dont les grandes lignes sont annoncées sur le site :

« Actions menées :
- Évolution des stéréotypes de genre dans le temps
- Les stéréotypes de genre dans les contes traditionnels
- Filles/garçons : des différences physiques
- S’interroger sur les stéréotypes de genre
- Apprendre à faire respecter son corps
- Les stéréotypes de genre et les sentiments
- Atelier philo : « sommes-nous tous pareils ? »
- Faire découvrir la littérature jeunesse non-sexiste
- Organisation d’un forum des métiers non-stéréotypés »

Vous y trouverez les titres utilisés, les modalités de ces travaux, des écrits d’élèves.

                                                                      Dominique Seghetchian 

Soumis par   le 13 Janvier 2014