Ce mardi-là, à la demande d’une de mes anciennes élèves – Madame, je fais du théâtre avec ma prof de français, est-ce que vous pouvez venir me voir – je suis ponctuelle devant le centre culturel. Fichtre, les personnalités sont présentes : adjoint à la culture, déléguée du Préfet. Impressionnant.
Consternation
Une animatrice, T-shirt et jogging, prend la parole pour situer ce qui va être présenté dans le cadre d’un missionnement sur les représentations du travail sur le territoire, puis elle coiffe un bonnet, se masque façon commedia dell’arte et se place au centre, au premier rang des élèves. C’est elle qui distribue la parole en présentant le micro. Les élèves lisent les textes qu’ils ont écrits en classe. Ils sont cadrés serré, la construction de l’autonomie est pour plus tard.
Que nous disent-ils ?
Qu’ils sont arrivés au collège pleins d’espoirs et que leur scolarité est une série d’échecs qui apparaissent comme des fatalités que rien n’explique et qui sont sans issue.
Qu’ils sont dans un « collège de merde », qu’ils le détestent, qu’ils détestent ce qui leur y est proposé et les professeurs qui, au passage sont parfois insultés. Ils collent à l’image « ouèche-ouèche » des jeunes de cité. Qui cela sert-il ? Certainement pas eux.
Qu’ils rêvent d’être footballeurs ou stylistes et d’avoir beaucoup d’argent, « money, money », reprend le chœur.
En quoi auront-ils progressé ? Certes, ce qu’ils ont à dire doit être dit et entendu, mais que fait-on si on ne les aide pas à percevoir des issues, si on les laisse se complaire dans l’image d’une jeunesse « caillera » ? Est-ce cela qui aidera ces enfants des cités ?
Et pourtant
Et pourtant, la jeune demoiselle qui m’a recontactée cherchait en moi son ancienne professeure de français, profession particulièrement vilipendée ce soir-là. Son premier message (j’ai accepté de lui donner mon mail) a été pour me parler lectures :
« Bonjour :) comment allez vous ?
En ce moments je lis un Livre très interessant a mon gout !
"Rue Cases Nègres" un livre a peu pres Auto-Biographique !
Le dernier livre Auto-Biographique que j'ai lu s'appelait "Leon Walter Tilage " un livre qui parle de l'ancien temps au moments de la revolution avec Martin Luther King un peu de temps avant ! Ou il y avais des divisions et discrimination ... »
Ou pour me demander de lui raconter l’histoire du château de Carcassonne dont je lui avais envoyé une photo, ou bien encore m’envoyer la photo d’une affiche réalisée en classe et qu’elle ne m’avait pas rendue à l’époque (!), ou bien encore ceci :
« Si vous voulez je peut vous raconter des mythes ( qui se pratique) tel que le corps qui danse !!!
Du haut de la fenetre de mes parents nous voyons tout un quartier courrir chanter de joie avec un cerceuil en bois ! Le corps y compris ces crie de joie en tenant le cerceuil faire visiter tt les endroit ou le corps y aller avant sa mort !! Bizarrement le cerceuil a bloquer dans le bar où il y aller souvent !! Mais il ont continuer a dansrr chanter crier de joie ! Rire !!
Je demande alors a mon pere !?
Papa pourquoi il ne laisse pas le corps tranquille a la veillé . Il me repond
Par ce qu'en Afrique en tt cas au congo le corps doit danser et aller en paix mais ce n'est pas tt le monde qui fait sa mais c asser frequent .
( je ferais des recherche sur l'histoire du congo ) »
Bien sûr cette petite jeune fille a des difficultés linguistiques, mais les aspirations culturelles, la recherche d’identité et le rapport au travail que ces quelques échanges révèlent sont à mille lieues au-dessus de l’image pitoyable étalée publiquement ce mardi soir. De plus, le courage qu’il lui a fallu, ainsi qu’à ses camarades, pour lire ces textes devant un public, montre que si on leur fait confiance, ils sont, pour reprendre le slogan du GFEN, tous capables.
École et territoire
L’ignorance que beaucoup, dans l’école, entretiennent en ce qui concerne le vécu et le ressenti réel de leurs élèves, les ressentiments que cela génère, les échecs que cela suscite sur fond d’incompréhension réciproque sont humainement insupportables. Ils sont tout aussi inacceptables parce qu’ils contribuent à ce que l’école ne remplit pas son rôle « d’ascenseur social », que la démocratie est en panne et l’école impuissante face à l’accroissement des inégalités.
L’école par ailleurs est d’abord l’institution dont la société se dote pour instruire ses enfants et sa jeunesse, c’est cette mission de transmission de connaissances, de compétences et de culture qui fonde son obligation de réussite éducative en tant qu’obligation de créer toutes les conditions pour la réussite de ces apprentissages. La réussite éducative ne peut se concevoir sans réussite scolaire, encore moins se construire contre.
Lorsqu’au nom de la réussite éducative, ou de l’éducation tout court, des adultes prennent appui sur les difficultés d’enfants ou d’adolescents pour les dresser contre l’école en les encourageant dans des discours sur le non sens de l’instruction, ils me paraissent aussi coupables que ces parents qui incitent une fillette à donner une banane à notre Garde des sceaux, ou ceux qui ont suscité les pires rumeurs pour vider les écoles le samedi matin 25 janvier[1].
Appel à échanges d’expériences
Beaucoup d’entre vous, dans leur école, leur collège, leur lycée – professionnel, général ou technologique– construisent des partenariats qui au contraire « font grandir », qui soutiennent la réussite scolaire par la réussite éducative et réciproquement. Présentez-les en écrivant à contact@afef.org pour que, dans le prolongement des ateliers du 16 novembre 2013, nous mutualisions ces expériences.
Dominique Seghetchian
- Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire