La jeune fille sans mains, film d'animation de Sébastien Laudenbach, sortie nationale le 14 décembre 2016.


Compte-rendu de Joëlle Thebault

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La jeune fille sans mains

Film de Sébastien Laudenbach, sortie nationale le 14 décembre 2016[1].

 

Un film d’animation, pour tous (ou presque), découvert en avant-première ce samedi 12 novembre, dans le cadre du festival Cinessonne. 

Il est très beau, fascinant même ! L’image éclate de vie, et on y retrouve la portée du conte, étonnamment moderne. L’intérêt sera encore plus grand pour ceux qui connaissent la pièce d’Olivier Py, La jeune fille, le diable et le moulin, d’après les frères Grimm.  Mais le film se suffit à lui-même. Il représente un véritable appel d’air, engageant le spectateur à aller au cœur des choses.

 

Ce qu’en a dit l’auteur, ce jour-là

Le premier projet, en 2001, consistait à adapter la pièce d’Olivier Py, dont les droits avaient été acquis.  Il est abandonné faute de financements après 7 ans de travail de développement… prudent, l’auteur étant conscient de sa fragilité. 

L’histoire continue à trotter dans la tête de Sébastien Laudenbach, qui en lit d’autres versions : elles sont multiples, de par le monde et à travers les époques. Peut-être à cause de la modernité du conte, où l’isolement sert à se construire, et devenir princesse n’est pas une fin.

Suivent d’autres tentatives (BD, film en prises réelles, pour lequel un scénario est écrit), qui n’aboutissent pas non plus, en parallèle avec la réalisation de 7 courts métrages. Ceux-ci se font dans le cadre de l’OUVANIPO (« ouvroir d’animation potentielle », inspiré de l’OULIPO) : l’idée est de se donner des contraintes permettant d’aboutir à des formes nouvelles.  En l’occurrence, la contrainte porte sur le temps. Alors qu’un travail traditionnel d’animation (très coûteux bien sûr) permet de réaliser 3 secondes de film par jour, il s’agissait de parvenir à 1 minute par heure de travail. Cette rapidité à laquelle on s’astreint oblige à trouver des solutions qui libèrent le trait. Un court métrage d’animation de 12’ voit ainsi le jour en un temps record.

C’est son épouse qui devient la première productrice de Sébastien Laudenbach lorsqu’elle remporte un concours débouchant sur un an de résidence à la villa Médicis. Il revient avec les dessins des trois quarts du film. Il a en effet choisi papier et pinceaux, technique plus naturelle que l’ordinateur (qui règne aujourd’hui dans l’animation), il n’y a donc pas un seul plan à 24 dessins par seconde, comme cela se fait dans d’autres films.

Résultat : un nouveau langage cinématographique, la « cryptokinographie » … Le sens des dessins n’est donné que par le mouvement : comme ils sont inachevés, c’est l’œil du spectateur qui complète le tracé. L’artiste est ainsi libéré, il improvise assez vite un flux continu d’images, plan par plan, ce qui donne l’impression d’une peinture en train de se faire.

Les dessins sont de tailles variables, souvent format A5, parfois A3 pour des décors, avec beaucoup de dessins minuscules, que l’auteur qualifie de dérisoires. Il y a autant de couches que de couleurs (3 à 25 couches). Seuls les 30 premiers plans ont été filmés, au début du travail (pour vérifier l’effet produit), le reste (460 plans) a été dessiné sans vérification, en confiance… mais avec quelques angoisses, surtout au moment de montrer le film ! Celui-ci a pu être terminé avec l’aide du CNC, dont la subvention a permis d’embaucher quelqu’un pour filmer les dessins.

Grâce à ces choix radicaux, il ne s’est écoulé que 3 ans entre le premier dessin et la première projection.

 

Pourquoi ce conte ?

Ancestral, il parle de l’humain, comme tous les contes, mais d’une façon particulièrement moderne. Propos moderne sur le couple : quand le prince offre à la jeune fille de l’épouser, il l’inclut en quelque sorte dans ses diverses possessions. Lorsque le couple se reforme beaucoup plus tard, ils ne sont plus « le prince et la princesse », mais un homme et une femme. C’est elle qui lui propose une autre vie ensemble : sans revenir au château, ni rester là où elle s’était réfugiée avec leur enfant, partir, trouver leur place ailleurs.  Chacun de son côté s’est transformé, elle s’est accomplie et lui n’est plus le bellâtre du début, transformé qu’il est par la guerre et par sa longue quête solitaire.

Propos moderne aussi sur le monde : si le diable est toujours là, sous diverses formes, l’ange qui vient en aide à la jeune fille dans le conte est ici incarné par la rivière personnifiée. Propos moderne sur le corps : il n’y a pas de corps, que des traits et de la couleur, ce qui atténue la violence de certains évènements. Mais pour représenter les personnages, Sébastien Laudenbach a choisi une approche frontale du corps, celui, de l’héroïne en particulier, dont on voit la métamorphose, ou dont on partage la joie du lait qui gicle de ses seins après la naissance de l’enfant.

 

Un peu de pédagogie

Voir ce film avec une classe, par exemple au cycle 3, est plus qu’envisageable, c’est recommandé… Si on accompagne la projection d’échanges pour accompagner les quelques épisodes violents du film. La perte des mains est un évènement important, mais annoncé par le titre. À l’arrière-plan, mais plus surprenants : la mort de la mère, victime des chiens du diable quand elle tente de venir en aide à sa fille, ou celle du père, découverte par le prince comme par hasard.

On peut lire auparavant le conte de Grimm, La jeune fille sans mains, retrouver ensuite l’histoire dans la version d’Olivier Py, La jeune fille, le diable et le moulin[2], ou dans l’opéra de Raoul Lay, sur un livret d’Olivier Py, La jeune fille aux mains d’argent[3]… et puis repérer les ressemblances, les différences entre ces versions, dire ce que l’on aime et pourquoi, se construire comme sujet culturel.

Joëlle Thebault


[2] Editée par l’école des loisirs, elle figure dans la liste de référence 2013 pour le cycle 3 (Théâtre N2), « niveau » qui ne désigne pas une classe plus qu’une autre, mais signale un niveau de difficulté moyen pour des élèves de cet âge.

Soumis par   le 19 Novembre 2016