Le Petit Violon, Jean-Claude GRUMBERG
Pièce recommandée pour le Cycle 3.
© Actes Sud-Papiers, Coll. Heyoka Jeunesse, 1999, Illustrateurs Laurent LEFEVRE et Laurent BAUCHE. Les numéros de pages indiqués dans le billet ci-dessous, correspondent à l’édition Actes Sud Junior, de 2006. Celle-ci présente les deux versions imaginées par Grumberg pour la scène 8, et se conclut par un dossier pédagogique. La plupart des images proviennent du dossier pédagogique du CRDP cité dans le texte.
Un récit initiatique
Le Petit Violon est d’abord à rapprocher des romans didactiques et initiatiques pour la jeunesse de la fin du XIXème siècle. D’abord par son contexte d’écriture : Pour cette première pièce à destination du jeune public, Jean-Claude Grumberg répondait en 1997 à une commande londonienne inscrite dans le cadre du Dickens International Hommage. Le dossier pédagogique du CRDP de Paris (http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=petit-violon), permet de travailler largement le parallèle avec une œuvre peu connue de l’auteur d’Oliver Twist, Les ordonnances du Docteur Marigold (1865).
Pour un lecteur français, c’est peut-être plutôt le parallèle avec Sans Famille d’Hector Malot qui s’imposera. La Sarah du Petit Violon peut sembler une concentration de plusieurs personnages de ce roman fleuve : comme son héros, Rémi, elle est orpheline et vendue par son tuteur à un saltimbanque –dans Le Petit Violon, Léo le camelot allant de ville en ville en roulotte – qui s’avère un homme bon ; elle est muette comme Lise, une des filles de la famille Acquin qui le recueillera après le décès de Vitalis et dont le père sera emprisonné pour dettes ; enfin elle devient violoniste comme Mattia, l’ami fidèle de Rémi. Ce roman est disponible en accès libre sur Internet (http://www.inlibroveritas.net/oeuvres/14113/sans-famille) et des extraits peuvent être lus en parallèle (p. 20 à 31 en parallèle aux pages 14 à 19 du Petit Violon).
Comme le héros de ce roman, et d’autres de la même époque, elle affronte la maltraitance et est la proie d’êtres avides et sans scrupules (le Directeur du cirque Univers), elle rencontre des personnes bonnes et aimantes auxquelles elle est arrachée (le Géant, Léo le camelot). Elle parvient néanmoins à sortir grandie et éduquée de toutes ces épreuves et connait enfin le bonheur (avec un mariage d’amour et une enfant).
D’autres pistes littéraires et cinématographiques sont indiquées dans le dossier du CRDP.
Si les sources littéraires de l’inspiration semblent inscrites dans un passé qui peut sembler lointain, il est possible d’en actualiser la réflexion à partir d’articles du Journal des enfants concernant les enfants des rues aux quatre coins du monde, le travail des enfants, les enfants enrôlés ou victimes de guerres civiles ou bien encore le sort des mineurs étrangers isolés en France.
Monologues et didascalies… le tempo de la narration
Plusieurs monologues de Léo permettent en particulier de gérer la dimension temporelle du récit. La scène 1 s’ouvre sur un de ces monologues et installe d’emblée un cadre éminemment narratif : celui du flash-back appuyé sur un accessoire, une perruque blanche : il suffit que Léo l’enlève pour que nous sachions que le récit nous plonge dans son passé, lointain, celui d’avant Sarah. Le monologue de la scène 4 suspend l’action et accélère le temps par un récit en forme de sommaire où Léo raconte sa vie avec Sarah et le bonheur partagé. Symétriquement, scène 6, il raconte sa vie sans celle-ci, après que le maitre l’ait emmenée pour faire son éducation. Enfin le monologue de la scène 8 (ou de la deuxième partie de la scène 9 dans la version plus longue) raconte la prison et puis les retrouvailles avec Sarah, revenue avec son mari et sa petite-fille.
A ces monologues, il convient d’ajouter diverses tirades : les différents « boniments » du camelot (p.5-6 ; 25-27 ; 49-50) à la fois discours caractéristique d’une profession et « refrain » dont les variations traduisent l’empreinte de la situation sur le personnage, le discours sur l’éducation du maitre (p.29-31) ou le verdict du gendarme/juge (p. 46 ou 57 selon la version). Autant de morceaux de textes qui méritent analyse mais seulement après que des exercices, dont on trouve des exemples aussi bien dans le dossier du CRDP que dans le dossier pédagogique d’Actes Sud junior, aient permis d’en apprécier l’oralité et la théâtralité.
Si les monologues permettent ainsi des ellipses temporelles, certaines didascalies au contraire marquent des pauses ou le spectateur assiste à de véritables pantomimes. Scène 1, p. 8, le Géant se livre à une sans doute désopilante séance de jonglage ratée ; scène 2, c’est sous cette même forme que se présentent la parade du cirque Univers et les mauvais traitements que son directeur inflige à ses artistes et en particulier à la fillette (p. 13-14) ; scène 3 (p. 21-22) Léo apprivoise l’orpheline grâce à la musique et à la danse ; la scène 5 se termine sur des adieux (p. 34) d’autant plus déchirants qu’ils sont muets, ce qui libère l’espace pour le libre jeu de son imaginaire et muettes encore sont les retrouvailles de la scène 6 (p. 36) ; la clôture de la scène 7 (p. 44-45), digne d’un mélodrame, avec la scène d’amour entre Sarah et son amoureux puis leur fuite, a même pu être représentée sous forme de théâtre d’ombres pour marquer combien elle est archétypique ; pantomime encore pour le happy end. On comprend comment une même pièce peut donner lieu à une représentation d’une trentaine de minutes ou de plus d’une heure.
Les scènes dialoguées sont par contre l’occasion de poser en actes et en discours les personnages, en particulier les personnages secondaires. Le Géant triste et sentimental, qu’il soit amoureux déçu (scène 7) ou ami encombrant (scène 9 de la version longue). Accessoirement flanqué du plus petit des nains, il se retrouve doté de la charge comique de l’auguste. Il y a aussi le sieur Univers, directeur du cirque éponyme dont l’embonpoint n’a rien de débonnaire. Il représente la méchanceté, la bêtise, l’appât du gain, et la pseudo respectabilité des puissants qui peuvent en toute impunité user de violence avec, toujours, les institutions – police, justice – de leur côté. Lui échapper, le priver de la puissance du tuteur que la loi lui reconnait pourtant, est le ferment de la complicité entre les autres personnages et la salle. Hélas, on n’est pas tout à fait à Guignol, si Léo parvient à protéger Sarah et son amoureux, le Géant et lui vont faire les frais de l’alliance des puissants.
Le tempo est aussi donné par la musique très présente dans la pièce où le violon n’est pas le seul instrument. On peut difficilement, quand on sait que le violon a une âme, faire l’économie d’une observation de son rôle dans la pièce et d’une réflexion sur le choix du titre. Bien sûr il permet à Léo d’exprimer ses émotions, il accompagne Sarah de sa présence à chaque séparation et marque chaque retrouvaille. Plus encore, un violon est central dans deux scènes. Dans la scène 2, c’est un instrument aussi muet que la musicienne, dérisoire lorsque le Nain et le Géant essaient d’en jouer avec leurs gants de boxe et en tirent des sons discordants, c’est l’instrument de la maltraitance au sens premier. L’autre, entre les mains de Léo le Camelot, à la scène 3, sert à apprivoiser, à communiquer. Portées par l’affection sincère, ses vibrations entrainent au partage et sont un véritable hymne à la joie. Enfin, il n’est pas indifférent de le relier à l’histoire intime de Grumberg par la référence à la musique tzigane et yiddish, musiques de survivants d’un passé tragique, musique liée aussi à une actualité du racisme qui peut troubler certaines de nos classes.
Le cirque et autres thèmes
L’univers du cirque est fortement présent dans Le Petit Violon de Jean-Claude Grumberg, certains éléments ci-dessus l’ont déjà suggéré comme le rapprochement du géant et de l’auguste ou le fait que Léo le Camelot vive dans une roulote. A cela il convient d’ajouter que la mère de Sarah était équilibriste et que le Géant épousera une dresseuse de girafes. Il y a autour de cet univers un travail de découverte que l’on peut accompagner du film réalisé sur la distraction que le peintre et sculpteur d’origine américaine, Calder, connu surtout pour ses mobiles et stabiles, organisait dans son atelier en Touraine.
On peut également étudier en comparaison :
- Les parades dans Le Petit Violon (scène 2 p.12-14) et dans Pinkpunk Cirkus[1] (p. 32-34).
- Les directeurs de troupe : Monsieur Univers dans Le Petit Violon (scène 2 p.12-14), Ficelle dans Pinkpunk Cirkus (p. 34-45) et Vitalis dans Sans Famille d’Hector Malot (chapitre VI, p. 57)
Sur cette thématique du cirque et de ses artistes, le dossier du CRDP donne d’intéressantes références dans les domaines de la peinture, du cinéma et de la poésie. Il propose également trois autres thèmes possibles : la solitude, avec les réponses opposées que propose Léo dans la scène 1 où le secret du bonheur s’énonce ainsi : « Il ne faut pas rester seul ! » (p. 7) et dans la scène 8 de la version longue où il devient : « Pour être heureux, vraiment heureux, toujours partout, il faut savoir rester seul. Si, j’insiste, ne pas rester seul c’est bien, savoir rester seul c’est mieux. » (p. 49-50). Paradoxe qui peut faire débat philosophique !
Le dossier propose également le thème de la différence, bien entendu autour de Sarah qui est muette, mais on pourrait l’élargir au Géant, solitaire parce qu’il est trop grand ou à Léo que la justice ne prend pas en considération parce qu’il est pauvre et trop peu enclin à la chicane.
Enfin, un thème important est celui de l’éducation. Celle-ci peut être dressage. Univers (scène 2) cherche à obtenir des résultats par la contrainte et la violence : ses artistes n’entrent en scène que tirés ou poussés, il n’hésite pas à faire usage de son fouet, recourt à l’insulte – il n’appelle la fillette terrorisée que Tête de Mule, ignorant même qu’elle est muette – et fait subir des privations. Son attitude est puérile, seule compte l’exécution primaire de ses volontés, elle est absurde puisqu’il brise un instrument essentiel à un numéro, le violon, pour assouvir sa colère. A cette brutalité primitive s’oppose l’image du dresseur incarnée par Vitalis de Sans Famille :
Pour moi, c'est en ne me fâchant jamais contre mes bêtes que j'ai fait d'elles ce qu'elles sont. Si je les avais battues, elles seraient craintives, et la crainte paralyse l'intelligence. Au reste, en me laissant aller à la colère avec elles, je ne serais pas moi-même ce que je suis, et je n'aurais pas acquis cette patience à toute épreuve qui m'a gagné ta confiance. C'est que qui instruit les autres s'instruit soi-même. Mes chiens m'ont donné autant de leçons qu'ils en ont reçu de moi. J'ai développé leur intelligence, ils m'ont formé le caractère.(chapitre 6, p. 55)
Elle est aussi instruction. Léo commence celle de Sarah et elle progresse grâce à son affection qui alimente son imagination pédagogique. Mais lorsque survient le Maitre et que celui-ci promet : « Avec l’ÉDUCATION, elle pourra choisir une carrière », Léo ne peut rien lui opposer. Le discours que ce maitre vénal tient sur l’éducation ne fait guère envie, pourtant Léo accepte le déchirement de se séparer de l’enfant qu’il aime. Pourquoi ? Deuxième question philosophique et qui rejoint sans doute la première. On remarquera que le maitre part en emmenant avec lui les planches imaginées pour Sarah et le petit violon. Sans doute que toute instruction se développe sur ce que l’affection familiale a préparé…
Le Petit Violonsur le Web
Signalons l’excellent et très complet dossier réalisé en décembre 2013 par le CRDP de Paris autour de la représentation des Tréteaux de France, centre nationale dramatique itinérant. http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=petit-violon et
http://www.treteauxdefrance.com/174-30/le-petit-violon.html (avec des éléments de spectacle en video)
Pour la mise en réseau avec Sans Famille http://www.inlibroveritas.net/oeuvres/14113/sans-famille
mais aussi le résumé et des illustrations http://fr.wikipedia.org/wiki/Sans_famille#Rencontre_avec_Mme_Milligan
ou la version dessin animé japonais de 1977
http://www.coup-de-vieux.fr/remi-sans-famille/ ou
http://www.dailymotion.com/video/x1kq4e_remi-sans-famille-generique_news
Sur le Cirque Calder : on trouve l’intégralité du film d’amateur : http://www.youtube.com/watch?v=21q22BmffZs. Il existe aussi divisé en 3 parties. La première http://www.youtube.com/watch?v=MWS96nzFUks est moins intéressante car l’image est de moindre qualité, toutefois autour de 1 :45 on trouve la présentation du spectacle, l’entrée en scène, qui peut être rapprochée de la parade et permettre de présenter le rôle de M. Loyal souvent tenu par le directeur. Les images des deuxième http://www.youtube.com/watch?v=5pVqZZYJpFs et troisième partie http://www.youtube.com/watch?v=WaEnLhtpUV0 sont de meilleure qualité.
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