Les intégristes et adeptes de l’extrême-droite regroupés sous l’étiquette « Journée de Retrait de l’École (JRE) » viennent de franchir plusieurs degrés dans l’escalade de la violence. Ne se contentant plus de mettre en cause un programme scolaire, de refuser l’égalité des femmes avec les hommes, ils en sont arrivés à désigner à la vindicte publique et à menacer une enseignante d’une école maternelle dans la ZUP de Joué-lès-Tours.
L’air de la calomnie
« La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens prêts d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse ! ... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, on ne sait comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraine, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ? »
Voilà les propos que BEAUMARCHAIS, à la scène 7 de l’acte du Barbier de Séville (II, 7), prête au répugnant Bazile, renouvelant les figures de la perfidie précédemment illustrée au théâtre par le sinistre Iago de Shakespeare ou le traitre Narcisse de Racine. Le père du journalisme moderne décortique et dénonce ainsi les manipulations de l’opinion publique.
Aujourd’hui c’est l’école qui en fait les frais, ce sont des enseignant(e)s et leurs élèves que des officines prennent le risque de détruire pour mieux servir des idéologies dangereuses.
Comment en est-on arrivés là ?
Chômage, marginalisation et déficit éducatif
En effet les ingrédients sont réunis pour que, sur ce quartier, les frustrations accumulées forment un cocktail explosif. Le chômage y est massif et durable, jeunes et moins jeunes y sont sans perspectives, ils tiennent de moins en moins les murs, occupent de plus en plus l’espace public tandis qu’elles s’abritent sous des tissus et se claquemurent. Un nombre conséquent d’adultes, clochardisés à domicile, ont perdu tout repère. De plus en plus de jeunes majeurs se retrouvent à la rue, leur famille n’ayant plus les moyens ni de les assister, ni, parfois, de les contrôler dans leurs dérives.
L’échec scolaire y est massif mais ce quartier qui était autrefois classé par l’éducation nationale « zone sensible » n’a pas été retenu pour appartenir aux réseaux ambition réussite (RAR), pas plus qu’au programme ECLAIR et l’école Blotterie, pas plus que la Rotière ou la Mignonne, n’auront droit au « plus de maitres que de classe », pas une seule ZEP nouvelle formule en Indre-et-Loire.
Les oisifs, plein de rancœurs, instruments privilégiés de la manipulation calomnieuse, sont pléthore malgré eux.
Les pompiers pyromanes
En échec scolaire, certes, mais pas bêtes, ces jeunes ont appris à ne pas s’effrayer des diatribes sécuritaires qui les visent et même à en tirer parti. Ils ont vu comment leur image d’épouvantails pouvait fasciner les télévisions accourues en juin 2011 dans l’espoir qu’une « cité difficile » allait s’embraser[1], le passage à l’écran, au 20h, peut offrir un temps une compensation aux frustrations à travers une éphémère notoriété, quel qu’en soit le motif ; ils ont vu comment une intervention policière musclée peut faire le buzz.
Ceux qui, dans la cité, savent faire courir ce « bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, [qui] pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné » ont trouvé en période électorale une faille par laquelle s’engouffrer. Ceux qui aspirent à gouverner la Cité ont trop souvent semblé prêter une oreille accueillante aux insinuations. Un candidat, pour discréditer son adversaire, a caricaturé la forme du bulletin scolaire. Deux jours avant le scrutin, était distribué un tract s’en prenant aux trois écoles de la ZUP comme diffusant la théorie du genre et appelant à voter pour lui. Deux jours après le scrutin, il n’avait toujours pas porté plainte.
L’enseignante, l’établissement, l’Académie, quant à eux l’ont fait, mais quel avenir se prépare une société quand son école, ses éducateurs et ses valeurs sont ainsi assaillis ?
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