« J’avais dix ans, j’étais petit brun et rond. Il était grand blond et mince. Je voulais être lui… » Paul Fournel, lui-même passionné de vélo, raconte sa fascination, depuis son plus jeune âge, pour l’invincible champion : «Anquetil est une énigme» dont «l’essentiel se joue dans la solitude». L’écrivain s’interroge sur son lien avec cet «athlète dans sa tête» et met en scène des moments-clefs de sa brève carrière, depuis sa victoire sur Fausto Copi à vingt-deux ans, en 1956, jusqu’à sa retraite à trente-six ans. Décidant qu’il avait assez souffert, il met définitivement pied à terre et range son vélo au garage. Puis un cancer eut raison de lui en 1987.
Il avait réalisé cet exploit inouï, en 1965, d’enchaîner le Bordeaux-Paris, après les huit jours du critérium du Dauphiné libéré, départ à minuit sous la pluie, et gagner! «2500 kilomètres en neuf jours». « Sportif atypique, dit Paul Fournel, il carbure au champagne et aux amphétamines, ne le cache pas et dénonce l’hypocrisie de la loi antidopage. »
«Le dopage est un mode de vie dont Anquetil ne se défera pas, et jamais il ne renoncera à être le maître du jour et de la nuit, le maître de l’intensité, le maître du début et de la fin des fêtes. On raconte même qu’il dopait les poissons rouges. » (…) «On dit aussi qu’il encourageait tout son personnel à moissonner aux amphétamines pour travailler jour et nuit et passer vite à table, tous ensemble, pour dévorer le reste des forces. »
Il ne crache pas sur le pognon, achète ses adversaires pour qu’ils le laissent gagner et sa vie privée défraie la chronique: il se marie puis a une liaison avec sa belle-fille dont il eut un enfant… «Son coup de pédale était un mensonge. Il disait la facilité et la grâce, il disait l’envol et la danse dans un sport de bûcherons, d’écraseurs de pédales, de bourreaux de travail, de masculin pluriel».
Paul Fournel brosse dans Anquetil tout seul, un portrait complexe et nuancé de ce champion légendaire qui a accompagné sa jeunesse, et Roland Guenoun a adapté pour trois comédiens ce texte magnifique, et en a tiré un spectacle attachant.
Dans la scénographie discrète et efficace de Marc Thiébault, quelques images d’archives, une bande-son d’époque recréent ces années glorieuses du cyclisme. Matila Malliarakis, juché sur son vélo jaune, pédale vaillamment contre le vent, par monts et par vaux, sous le soleil et sous la pluie : «Je fonce, je suis un robot en fuite, j’ai des bras fourches, j’ai des cuisses bielles». Il campe avec grâce et ténacité, le coureur élégant et hautain qu’on admire plus qu’on ne l’aime. Les Français lui préfèrent Raymond Poulidor, joué, lui, par Stéphane Olivié Bisson. Poulidor l’éternel second qui, d’adversaire, deviendra son complice… On assiste à sa rencontre avec Jeanine : la séduisante Clémentine Lebocey, aux allures de Marilyn Monroe , qui incarne la femme du champion mais aussi la fille de Jeanine, Anne et sa petite-fille, Sophie. Stéphane Olivié Bisson tient à lui seul le rôle de Paul Fournel et des personnages gravitant autour d’Anquetil : Francesco Geminiani, Antonin Magne, des journalistes…
Sobre, la mise en scène et la direction d’acteurs mettent en valeur l’écriture à la fois très personnelle, documentaire et iconoclaste de Paul Fournel. Cette reprise d’un spectacle créé en 2016 et joué au dernier festival off d’Avignon sous le titre Anquetil tout seul, reçoit ici un accueil chaleureux du public et devrait tenir l’affiche longtemps.
Mireille Davidovici
La Pépinière-Théâtre 7 rue Louis-le-Grand, Paris 2ème. Tel : 01 42 61 44 16.
Anquetil tout seul est publié aux éditions du Seuil.
(©Marco Cravero)
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