Migrer d’une langue à l’autre - 2016, Compte-rendu de l'AFEF


Musée de l'Histoire de l'immigration et Délégation générale à la langue française et aux langues de France - 16 novembre 2016

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Migrer d’une langue à l’autre – 2016

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La 4ème édition de la journée d’étude “Migrer d’une langue à l’autre ?” a eu lieu le mercredi 16 novembre 2016, organisée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en partenariat avec le Musée de l'histoire de l'immigration et la DRAC-Ile-de-France. Cette journée tout particulièrement consacrée à l'acquisition du français par les migrants propose également des éclairages sur la place des langues de l'immigration dans notre société.

Les tables rondes de la matinée présentent des politiques de la langue – et des langues – développées par des collectivités territoriales et les pouvoirs publics. Celles de l’après-midi ouvrent des possibles culturels et artistiques, à l’école et hors l’école. Comment l’action culturelle et les pratiques artistiques peuvent-elles contribuer à travailler le français en contact avec les autres langues ? Les Souffleurs commandos poétiques[2]d’Aubervilliers ont placé l’accueil et l’ensemble de la journée dans une tonalité bienveillante, et leur clôture par une présentation du Trésor poétique municipal d’Aubervilliers a été très remarquée.

 

  

 

 

La journée, dont l’objectif est de sensibiliser la société civile à la situation des langues en contexte migratoire, est ouverte largement au public, avec une volonté d’interactivité.

 

Hélène Orain, directrice du Musée National de l’Histoire de l’Immigration (MNHI)

Hélène Orain ouvre en rendant hommage aux victimes des attentats d’il y a un an, juste avant la journée Migrer d’une langue à l’autre 2015.

La thématique des langues est très chère au musée, parler de langue et de langages dans un musée ne va pas de soi, pourtant la question des langues est au cœur du musée depuis dix ans, notamment par le prix littéraire ouvert aux lycéens. La langue est aussi présente dans les expositions temporaires, par exemple dans l’exposition sur les familles italiennes qui débutera en mars prochain. La situation présente nous oblige à penser cette question, l’apprentissage de la langue est une dimension essentielle de l’accueil des migrants. C’est pourquoi la parole est donnée aux acteurs.

La directrice rappelle le rôle essentiel des institutions culturelles qui conservent encore une bonne notoriété auprès de nos concitoyens. C’est le double travail d’acculturation et d’émancipation qui permet d’avancer ensemble.

 

Loïck Depecker, directeur de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFF)

Les langues sont des talismans, tant par des monographies[3] on est déjà à portée de comprendre et parler des langues rares. Cette journée va essayer de mettre en valeur des représentants d’institutions, d’associations, du monde de l’enseignement pour affirmer la vision que nous avons des langues ; elles sont ce qui nous réunit le plus avec les valeurs de liberté, égalité, fraternité. Nous avons une centaine de langues de France qui ont besoin d’un soutien, d’un aménagement dans une société qui se veut une société d’égalité, de fraternité, mais aussi une société cohérente.

Souvent les jeunes enfants arrivent à l’école avec une langue qui n’est pas le français, c’est une chance dont nous devons faire qu’elle ne se transforme pas en handicap. Les conclusions du rapport remis au premier ministre en décembre 2015 indiquent qu’il faut consolider le français dès la maternelle, mais aussi les autres langues comme support du français.

 

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Table ronde 1 - Langues de l’immigration et langue française :

l’implication des collectivités territoriales dans la prise en compte de la diversité linguistique

Gennevilliers. Les collectivités locales ont des marges extrêmement faibles ; ce qui revient aux collectivités c’est le clos et le couvert ; il faut installer un dialogue avec l’Éducation Nationale (EN). La population est homogène, avec 60 % de logements sociaux (résultat d’une industrialisation ancienne puis désindustrialisation) ; la croissance récente de Gennevilliers avec des emplois à forte qualification n’a pas modifié fondamentalement la population, les employés viennent d’ailleurs, mais a apporté des fonds. Ce que peut faire une ville c’est ce qui est hors du champ de l’Éducation nationale, comme la création d’un service de développement éducatif. Le problème qui se pose à une ville est l’étanchéité entre ce qui se fait à l’EN et ce que peut faire une collectivité. Le travail qu’engage la ville est d’installer une continuité avec l’EN sur la question des langues, notamment par la Maternelle.

 

Aubervilliers. 36 % de la ville est étrangère ; c’est une ville au passé ouvrier, qui a accueilli beaucoup de nationalités (Petite Prusse, Petite Espagne…) ; le problème n’est pas celui de l’école mais des populations adultes qui ne parlent pas forcément français. Le dispositif mis en place ne fait pas seulement appel à des traducteurs ; les médiateurs sont aussi en charge de participer à la compréhension mutuelle dans les services publics ; ces médiateurs sont toujours adossés à une association, ce sont des emplois aidés financés par l’État et aussi par la ville. Les postes de médiateurs sont portés par des associations : mauritanienne, chinoise, tamoule. Ce dispositif est évalué tous les ans par un comité de pilotage qui réunit tous les partenaires, financeurs et services de la ville, ainsi que l’association porteuse du poste. Un conseil consultatif a été mis en place, réunissant des populations qui n’ont pas le droit de vote, et il peut porter des avis. Une bourse de langues a été créée pour le personnel municipal afin de valoriser les langues parlées par les personnes dans le service public. Le centre municipal de santé s’est doté d’une médiatrice chinoise pour favoriser l’accès à la santé et promouvoir la vaccination des enfants. La ville est pauvre mais riche de la richesse humaine de ses populations et de leurs langues.

 

Strasbourg. La ville de 280 000 habitants compte 100 pays différents représentés ; elle est notamment la porte d’entrée de beaucoup de migrants venus de l’Est. 43 % d’enfants de moins de 6 ans sont dans une famille à bas revenus. Ces chiffres amènent la ville à penser au rôle que peut jouer la crèche. 42 langues sont parlées par les familles, 18 langues parlées par les professionnels des crèches. 30 % des enfants ne parlent que le français, 12 % ne le parlent pas du tout (et ce n’est pas à cause de l’alsacien parlé seulement par 1 % des enfants). Que faire de cette richesse ? Deux enjeux forts :

-        dire que les structures de la petite enfance peuvent être un levier contre les inégalités sociales par le développement du langage ; le bain de langage, l’écoute, l’encouragement peuvent venir compenser les inégalités.

-        reconnaitre, valoriser et soutenir les langues est un premier pas vers le vivre ensemble.

La démarche menée consiste à impulser une dynamique auprès des professionnels des établissements autour de ces deux enjeux. Un séminaire « Entrer dans la vie par le langage » avait pour objectif de travailler cette dynamique. Depuis ce séminaire des actions se sont développées : groupes d’échanges de pratiques, réseau de professionnels, formations en langues. La signalétique dans différentes langues permet de mettre en confiance et de respecter les personnes dans l’accueil.

 

Département du Val de Marne.  Le département, qui compte 25 % d’habitat social, a toujours été une terre d’accueil des migrations pour des raisons professionnelles ou politiques. L’objectif de favoriser l’accueil des populations migrantes passe par la langue. Le département s’appuie sur des enjeux forts de citoyenneté qui ont pour objectif de favoriser l’insertion, puisque le département a la responsabilité de l’action sociale. L’accès à la langue est un enjeu fort pour la sécurisation des parcours sociaux et professionnels. Un travail est aussi mené auprès des professionnels des services publics, pour valoriser leurs langues. L’art et le numérique sont associés à l’apprentissage du français pour briser les barrières : ce projet a restauré de l’humain, de la dignité humaine par la prise en compte de la singularité des personnes et du projet qu’elles portent, artistique ou numérique. Un enjeu fort autour de la formation doit être réfléchi collectivement.

 

Questions

Gennevilliers- Devant la disparition du choix de l’allemand dans les écoles, la ville a offert les anciens logements de fonction à des étudiants allemands avec comme contrepartie d’animer des ateliers d’allemand dans les classes, puis peu à peu l’EN a pu rouvrir des postes d’allemand. Mais ce n’est pas gagné.

Une question se pose pour comprendre les populations étrangères, par exemple chinoises, qui vivent en repli communautaire ; avant de les faire entrer dans des dispositifs il s’agit de les comprendre, une étude est lancée.

À Aubervilliers est organisée tous les ans une journée des langues maternelles, journée instituée par l’Unesco le 21 février. Une compagnie théâtrale (groupe d’intervention poétique) participe à une dynamique d’initiatives culturelles nombreuses.

Val de Marne - Un projet est en cours entre villes européennes pour travailler autour des migrations. Une volonté politique existe dans le département pour valoriser la richesse linguistique et culturelle du département dans une démarche d’inclusion. Il faut être toujours attentif et vigilant sur la question de la culture que l’on aurait tendance à oublier. « La culture est un enjeu qu’il faut que l’on n’oublie pas et que l’on mette en avant dans nos politiques publiques »

 

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Table ronde 2 - Dispositifs d’apprentissage du français pour les migrants adultes : le rôle des pouvoirs publics

Stéphane Foin, Centre International d’études pédagogiques.  Le CIEP a pour métier principal de porter à l’étranger l’expertise française en éducation et forme des professeurs étrangers. Ce qui est nouveau c’est qu’à la demande du Ministère de l’Intérieur, le CIEP a été chargé de former des formateurs de professeurs de français pour les étrangers en France. Le CIEP les aide à avoir une approche dépassionnée et technique sur la base d’une certification.

 

François Pinel, Ministère de l’Intérieur.Le contrat d’intégration républicaine pose la langue comme un des facteurs d’intégration. Les parcours linguistiques se font sur la base des niveaux de A1 à B2. La formation linguistique est gratuite en France, les progrès sont pris en considération ; si les progrès ne sont pas suffisants le primo-arrivant est redirigé vers des associations. La réussite à l’examen est obligatoire, non pour la carte de séjour pluriannuelle, mais pour la carte de résident de 10 ans. La certification est payante. Le niveau B2 est requis pour l’accès à la nationalité.

 

Isabelle Devaux, Mairie de Paris.Plusieurs directions des services municipaux sont mobilisées autour de la politique de la ville à l’intégration sur le champ de l’apprentissage du français. En plus d’actions sociolinguistiques, sont menées des actions à visée professionnelle. Dans les cours municipaux de la ville de Paris, beaucoup d’inscrits le sont en apprentissage du français. Pour répondre de manière spécifique à l’arrivée des réfugiés un appel à projet a été lancé qui lie des associations et des centres d’accueil. Il s’agit d’articuler les propositions de la ville avec les dispositifs de l’État et des Ministères, ainsi qu’avec les actions de la région Ile-de-France. Informations en ligne[4].

 

Fadela Benrabia, Préfète déléguée à l’égalité des chances, Seine-Saint-Denis (SSD). C’est une histoire connue dans le département qu’il faut aider les gens pour leur mettre le pied à l’étrier. Mais, dès son arrivée, la préfète a posé la question du rôle de la langue ; la langue française est un marqueur social, mais elle peut aussi être un facteur d’exclusion. La caractéristique majeure en SSD est la masse, ce qui change la réalité des pratiques et oblige à s’organiser. On doit d’abord faire un travail serré d’analyse des actions déjà menées pour comprendre comment ça se passe pour les primo-arrivants. Il faut qu’ils apprennent la langue française, cette évidence doit être constamment rappelée, et l’apprentissage doit être organisé. La richesse des différentes langues ne peut-elle pas être utilisée comme richesse pour le département ?

 

Valentin Moisan, TV5 Monde. La chaine propose des vidéos authentiques pour le cours de français. La création des ressources pose la question des publics : débutants scripteurs – débutants non scripteurs (dans leur langue) – alpha scripteurs – alpha non scripteurs. Les vidéos sont diverses et nombreuses parce que la quantité des situations est nombreuse. Par exemple pour les questions de la citoyenneté, des vidéos du Sénat de 2’ sont utilisées.

 

Questions

Comment les pouvoirs publics travaillent-ils ensemble ?

ID– ces offres sont portées par différents acteurs ; au niveau de la collectivité parisienne, où déjà en interne plusieurs directions sont mobilisées, le travail en synergie est valorisé. La VDP édite chaque année une plaquette qui référence toute l’offre disponible sur la ville, quels que soient les acteurs.

FB– il ne faut pas vouloir tout coordonner, c’est impossible, mais il faut prendre un périmètre et se demander si la plus grande partie des services peut être rendue à la population. Il s’agit surtout de faire parler les institutions entre elles ainsi que les différents ministères. L’enjeu est de former les gens et de se donner des points de rencontre réguliers. Les institutions qui ont besoin de s’articuler peuvent se coordonner entre elles, et elles doivent former les acteurs et les soutenir en leur donnant des points de rencontre.

FP – Le MI a bien le sentiment de n’être qu’un maillon de la chaine qui consiste à créer une ingénierie pédagogique.

SF– Les associations connaissent l’offre et envoient des personnes pour se former. À la question des débouchés pour les profs de FLE, les premiers débouchés sont autour du tourisme, même si la question des migrants ouvre aussi des débouchés.

Les formations de formateurs insistent sur le fait qu’il s’agit d’un continuum de formation, les apprenants peuvent arrêter puis reprendre, ce qui demande de valoriser chaque moment du parcours.

VM– L’accompagnement se concentre surtout sur les premiers niveaux, sur le site TV5 Monde, ceux qui sont motivés au-delà d’un niveau de base peuvent trouver à se former seuls.

ID– les formateurs sont des personnels qualifiés, mais aussi des bénévoles, qui ont besoin d’être formés, de manière un peu différente. Sans les bénévoles on ne pourrait pas faire face.

SF– la réalité des primo-arrivants est très hétérogène, les réponses sont très spécifiques

FB– ce public très hétérogène ne peut pas être réduit à sa nationalité. Il faut mettre les personnes en situation d’appétence, et l’offre sur le territoire doit permettre de répondre aux demandes.

 

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Table ronde 3 - École et diversité linguistique : des ressources pour les enseignants

 

La didactique du français langue seconde est devenue la didactique du plurilinguisme.

Deux projets d’envergure sont présentés :

-        Langues & Grammaires en Ile-de-(France) documentation en ligne[5]

·       Une dimension culture générale - Devoir d’humains de préserver le patrimoine de l’humanité

·       Une intégration sociale et didactique du FLS : prendre en compte les connaissances de départ

·       Capacités cognitives des humains : il n’y a pas de consensus général sur l’intérêt du plurilinguisme

·       Approche contrastive : identifier précisément les propriétés non maitrisées de l’apprenant

 

-        Le livre-blog[6] « paroles partagées autour du patrimoine culturel immatériel » (du pays d’origine des élèves allophones nouvellement arrivés) en partenariat DRAC, DAAC, DANE, CASNAV Besançon

Objectifs :

·       Inscrire le projet dans le parcours artistique et culturel

·       Produire des créations artistiques personnelles

·       Migrer de la langue maternelle au français

·       Animer un livre-blog

·       Valider des compétences

 

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Table ronde 4 - L’action culturelle : un levier pour la maitrise du français

Musée du LouvreDémarche envers les associations[7]

Le musée mène depuis longtemps une politique envers ce qu’il appelle les publics du champ social, soit les visiteurs qui pensent ne pas avoir accès au musée. Des stratégies sont mises en place pour faire entrer au musée gratuitement les personnes en précarité. Mais la langue est toujours un facteur d’exclusion. Et le Louvre a été précurseur par une formation de formateurs : « Osez le Louvre », des œuvres et des lieux pour pratiquer le français au musée.

 

Aubervilliers, La Commune, centre dramatique national. Le choix de la décentralisation a été fait en s’implantant dans une ville à la situation sociale défavorisée. Un appel à projet a attiré Langues plurielles[8], qui travaille avec la méthode Glottodrama[9]. Cette méthode est née dans le cadre d’un projet européen, porté par les éditions Novaculture. Elle consiste en l’enseignement de la langue par le théâtre, et Langues Plurielles a été chargé de l’adapter en enseignement du français par le théâtre. Un binôme apporte des compétences en langue et en théâtre. La formation se déroule sur 90 h, selon un cadrage circulaire. La richesse du partenariat avec la Commune est de donner au projet une dimension plus large. Kit téléchargeable [10]

 

Val de Marne, une action concertée au sein du réseau de lecture publique

Un projet a été monté pour faire collaborer le monde associatif et les réseaux d’animation de la culture et de la lecture publique. Le trépied de départ est la langue, le numérique et la culture, rassemblé dans la plateforme Eureka. Des ateliers[11]sont créés pour rencontrer les autres autour de la langue (Jouer avec les MO).

Le projet a débouché sur un spectacle Vocabulons[12] : Ṿŏčåƀűȴŏñṩ.  

Les difficultés sont venues des partenaires qui peuvent conserver des stéréotypes sur les usages du numérique par les migrants et qu’un sondage a permis de modifier.

 

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Méditerranée, Mer de nos langues, Louis-Jean Calvet

« Phénicien, araméen, hébreu, grec, latin, étrusque, berbère, arabe, turc, espagnol, italien, français : ces langues du pourtour méditerranéen nous parlent de l’histoire de ce continent liquide. Elles sont d’abord la trace des empires et puissances qui se sont succédé en Méditerranée, mais aussi celle du commerce des hommes, des idées et des denrées, qui ont constitué cet espace en un ensemble homogène.

Ce livre se fondant sur une approche sociolinguistique et géopolitique, prend donc les langues, « linguae nostrae », comme le fil rouge de cette histoire. Car les langues et les mots ont une mémoire. Ils sont le témoin des interactions, des conquêtes, des expéditions, des circulations. Que ce soit dans les emprunts, la sémantique, les alphabets, ou la toponymie, les traces des échanges au sein de cette mare nostrum sont nombreuses.

Du voyage d’Ulysse aux migrations d’aujourd’hui, en passant par les croisades et les échelles du Levant, ces langues ont façonné et habité la Méditerranée, au rythme des évènements historiques qui l’ont marquée, et qui en font le laboratoire de l’humanité depuis plus de 3 000 ans. »

Prix Ptolémée 2016 CNRS Éditions[13]– Avril 2016 - ISBN : 978-2-271-08902-1 – 328 pages – 25 €

 

Compte-rendu de Viviane Youx

 


[3]LGIDF, Langues et grammaires en (Ile-de-)France : http://lgidf.cnrs.fr/langues

Soumis par   le 20 Novembre 2016