Migrer d'une langue à l'autre, compte-rendu du colloque


organisé par la DGLF à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration le 25 septembre 2013

 

"Migrer d'une langue à l'autre"

Colloque organisé par la DGLF à la Cité nationale de l'histoire

de l'immigration le 25 septembre 2013

Voir les enregistrements vidéo de la DGLFLF (Ministère de la Culture et de la Communication)

 

(Lire en format doc)

 

Ni assimilationnisme, ni communautarisme

En ouverture, Jacques Toubon (président du Conseil d'orientation), Véronique Chatenay-Dolto (directrice régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France) et Xavier North (délégué général à la langue française et aux langues de France) dégagent quelques idées forces.

Le monolinguisme français, tout d’abord, est une illusion : 26% des Français ont appris de leurs parents, dans leur enfance, une autre langue. D’autre part le maintien d'une acculturation dans les langues d'origine, condition d’une reconnaissance de l’identité et de la dignité des populations migrantes, est également une condition de leur intégration. Enfin, parler à ses enfants une autre langue, à condition quelle ne soit pas dévalorisée, qu'elle trouve une place à l'école, est un facteur de réussite.

 

État des lieux

Dresser cet état des lieux de la situation linguistique de la France à partir de données recueillies depuis le début des années 90, constituait l’objet de la première table ronde. Stéphanie Condon, chercheuse à l'INED[i], a présenté l'enquête "Trajectoires et origines", menée en métropole par l'INED et l'INSEE[ii] auprès de 20 000 personnes et publiée en 2010.

Premier constat qui bat en brèche les idées reçues : beaucoup de migrants arrivent en connaissant le français. Autre constat, une part importante de ces personnes pouvait déclarer plus de deux langues parlées par les parents. Toutefois seules une dizaine sont parlées par un grand nombre de locuteurs.

Alexandra Filhon, sociologue à l’université Rennes 2, a plus particulièrement étudié la transmission de l'arabe et du berbère. Ses constats pourront être élargis à d'autres langues : la communication familiale étant affective, les parents transmettent la langue avec laquelle ils se sentent le plus à l'aise. Le français, langue hégémonique, arrive par l'école. Les parents des milieux populaires transmettent le plus ces "langues familiales".

Fabienne Leconte, sociolinguiste de l'université de Rouen, a, quant à elle étudié les populations d'origine africaine. Beaucoup viennent de pays francophones ce qui rend les langues africaines "invisibles" car le français y est la langue officielle unique. Elle distingue les migrants d'Afrique de l'ouest d'une part, qui transmettent beaucoup parce que, même venant de pays francophones, ils ne parlent pas forcément français. Ces adultes parlent plusieurs langues et utilisent une langue véhiculaire (wolof par exemple). Ils transmettent la langue d'usage, pas le plurilinguisme africain, par contre les jeunes s'inscrivent aisément en LEA (langues étrangères appliquées) : ils assument un plurilinguisme européen. La situation est différente dans les états comme le Gabon dans lesquels, si on a été scolarisé, c'est en français et où les langues africaines  sont en recul.

En fait si des migrants d’Afrique continuent à arriver en France avec des langues africaines, ils arrivent avec plus de français, du fait du développement de la scolarisation, en particulier celle des filles. Enfin, un élément nouveau est l'option langues du baccalauréat qui reconnait certaines langues (wolof, pular…) et facilite les liens intergénérationnels autour de cette transmission valorisée. 

Abraham Bengio (directeur général adjoint de la Région Rhône-Alpes) conclut cette première table ronde : sa région a diligenté une enquête sur son territoire, motivée par la peur devant la montée d'un racisme décomplexé qui stigmatise les langues.

Lorsque l’animateur demande aux intervenants quels sont les manques en matière de politique linguistique, ils notent que la "xénophobie linguistique" a reculé dans l'Éducation nationale et insistent sur le fait que le plurilinguisme à encourager est celui des langues-cultures d'origine qui permettent la transmission d'affects, de symbolisations, pas de l'anglais car ce n'est pas d'une liste de mots qu'un enfant a besoin et il l’apprendra à l’école.

 

Les langues, l’accès aux droits et à l’insertion professionnelle :

Ali Ben Ameur présente une dimension administrative des besoins linguistiques pour l’accès aux droits : interprétariat, traduction de documents, recours à un écrivain public, informations juridiques. Puis Nene Sow Camara, coordinatrice d'actions de médiation interculturelle à Rouen, présente des pratiques d’insertion par l’accompagnement, la médiation, le décodage culturel. Cela nécessite la construction de l’autonomie des migrants par l'apprentissage du français fonctionnel et une formation des travailleurs sociaux à l'interculturalité, au décodage culturel, qui vise à leur permettre de me des personnesmme  études démographiquessavoir comment lever les obstacles.

La suite des conférences présente deux langues au statut particulier.

Claire Saillard, linguiste à université Paris-Diderot explique que la communauté chinoise, dont la communication familiale était autrefois en variante dialectale, valorise désormais le chinois standard dont l’enseignement se développe du fait d’une demande, motivée par des visées professionnelles, de parents n’ayant aucune origine chinoise. 

Yahya Cheikh, professeur d'arabe, présente ensuite la complexité de l’enseignement de cette langue en France où il est le fait de plusieurs acteurs. Un enseignement communautaire est assuré par des associations et les mosquées ; l'ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), mis en place par des accords bilatéraux avec les trois états du Maghreb, propose des cours hors temps scolaire, fournis par des fondations. Dans l'institution scolaire, cet enseignement fait l’objet d’une demande plus forte que les moyens. Le professeur de langue arabe est sensibilisé au fait que les arabophones communiquent entre eux en mettant en contact les dialectes : les arabes dialectaux sont des registres inscrits dans trois familles géographiques. On observe aussi son développement dans les écoles de commerce. L'arabe n'attire pas que les personnes issues de l'immigration. Yahya Cheikh regrette que, malgré l’intérêt pour les langues de l'immigration, la diversité culturelle soit encore insuffisamment admise comme une réalité.

 

 « Politiques » linguistiques et scolarisation

La troisième table ronde, intitulée « Des langues pour l'éducation de la petite enfance à l'institution scolaire » s’intéresse à la place des langues familiales de la crèche au secondaire. Elle est ouverte par Hélène Demesy, coordinatrice académique du CASNAV de Versailles. Celle-ci constate que lorsque les élèves allophones sortent, au bout d’un an, des dispositifs d’accueil, la confrontation à la classe ordinaire est compliquée. Comment mettre ces élèves en sécurité linguistique ? Comment favoriser une politique éducative d'éveil aux langues, s’interroge-t-elle ?

Francine Couëtoux-Jungman, psychologue, à l’université Vivaldi de la Salpétrière à Paris explique que, en direction des bébés, l'aide vise à assurer la communication parents-enfants, à lutter contre l'insécurité linguistique des parents, parfois à aider pour que l'enfant soit davantage exposé au français par un mode de garde ou dans des "lieux passerelles".

Nathalie Auger, linguiste de l’université de Montpellier, présente l'éveil aux langues qui, dans le système scolaire, permet d'accéder à une posture métalinguistique indépendamment du métalangage. Marie-Claire Mzali-Duprat, chef du bureau des écoles à la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale, rappelle que la loi de refondation[iii] prend en compte, dans son article 2, les langues parlées à la maison car un enfant construit des apprentissages à partir de ce qu'il a déjà. Le conseil national des programmes devra donc veiller à accueillir les enfants en prenant en compte leurs langues premières.

Le discours de Bruno Levallois, Inspecteur général de l'Éducation nationale pour l'arabe, tranche sur l’optimisme affiché le matin par M. Yahya Cheikh. Il constate qu’un défaut d’information des familles fait que la demande se reporte sur le cadre communautaire. Pour valoriser le potentiel d'une partie de la population, il propose de multiplier les "sections européennes et de langues orientales" les sections internationales, les classes méditerranéennes (latin, grec, arabe et autre si possible).

 

Une dernière table ronde a permis à des acteurs de la culture de présenter leurs actions.

 

Barbara Cassin, philosophe, conclue sur la chance et l'intérêt de parler plusieurs langues et sur le rapport au monde que permet le bi ou plurilinguisme.



[i] INED, Institut national des études démographiques

[ii] INSEE, Institut national de la statistique et des études démographiques

[iii] Loi du 8 juillet 2013

Soumis par   le 04 Octobre 2013