La mode rétro


Nouveaux programmes de français en collège
L'avant-programme de français au collège divulgué en avant-première sur le site Médiapart* ouvre, sans conteste, un nouveau champ de vigilance. A côté de quelques bribes d'une volonté novatrice, c'est bien la tradition la plus pure qui se trouve à l'honneur, à tel point que nous pourrions, dans certains axes des programmes, avoir l'impression d'être de retour dans les années 60-70. Or, si cette mode rétro peut séduire certains, voire parmi les plus jeunes, elle n'est pas sans danger pour les cohortes d'élèves qui vont fréquenter le collège dans les années à venir.
Les principes et objectifs, tout en se référant d'emblée au socle commun de connaissances et de compétences, posent comme premier axe « l'apprentissage et l'analyse de la langue française », et tout particulièrement de la grammaire. Et, si cette introduction rappelle le principe de la liberté pédagogique de l'enseignant définie par la loi d'orientation de 2005, c'est pour préciser qu'il peut organiser sa progression annuelle en « unités d'enseignement ou en séquences », sans définir en quoi peut bien consister une unité d'enseignement ; une simple séance peut-elle en constituer une ? et allons-nous revenir à l'époque caricaturale du saucissonnage où le professeur pouvait aligner des heures de cours sans aucun lien entre elles, voire arriver les mains dans les poches et improviser ?

Les axes annoncés en début de programme montrent bien une volonté d'installer d'abord la tradition, quitte à faire ensuite des concessions un peu plus novatrices. Et la tête d'affiche revient à la grammaire, déroulée par blocs de notions à connaître et non plus par compétences à développer. La « leçon de grammaire », dont le nom n'est pas anodin, pourrait bien devenir le nouveau fil conducteur de l'année. Les dérives nous font déjà rêver, plutôt que de se creuser la tête à chercher des objets d'apprentissage qui puissent croiser les préoccupations des élèves et susciter leur intérêt, il suffira d'établir une progression grammaticale pour l'année et d'y greffer quelques lectures !' L'objectif de mémorisation des règles et de connaissance de la langue correcte y est affirmé avant celui de la pratique et de la maitrise. Même si une concession est faite, à partir de la 4ème à la grammaire de texte et de discours (dont on peut estimer raisonnable qu'elle ne soit pas enseignée plus tôt en tant que notion), l'exigence d'une progression claire et d'une terminologie simplifiée peut-elle se satisfaire d'une simple succession de connaissances, sans articulation ni circularité des apprentissages ?
Si l'idée d'une progression en orthographe, et celle d'un apprentissage du lexique selon des champs sémantiques en lien avec les lectures sont intéressantes, où sont passées les rectifications orthographiques de 1990, qui venaient juste de faire leur entrée dans les programmes de primaire de 2007 ? Non seulement leur référence est niée, mais un B. O. plus ancien est sollicité, celui de 1976' quelle modernité !

L'entrée dans le deuxième axe, celui de la lecture, réserve des surprises, tout au moins dans sa première partie, celle de la lecture de textes. C'est là où la mode rétro trouve toute sa place ; un enseignant ou un élève tombé en hibernation depuis 30 ou 40 ans ne serait pas dépaysé en se réveillant ! La littérature de jeunesse n'existe pratiquement plus, à peine tolérée en bout de ligne. Le programme d''uvres devient obligatoire, dans un choix uniquement patrimonial, avec une progression par siècles, si bien qu'il faudra attendre la fin du collège pour aborder des 'uvres contemporaines. En 3ème enfin, si les élèves ont réussi à résister à l'ennui jusque-là, ils auront droit à une ouverture à la modernité. Si l'idée de choisir des thèmes comme le roman d'aventures en 4ème et l'autobiographie en 3ème dénote une légère préoccupation de l'intérêt des élèves, les 'uvres imposées apparaissent souvent comme trop difficiles, ou peu lisibles par des élèves du collège d'aujourd'hui (Le lion de Kessel, Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier entre autres). En théâtre, le choix est particulièrement révélateur, Molière et Labiche en 6ème et 5ème, uniquement en lecture ; la représentation n'est mentionnée qu'en 3ème avec l'étude de la tragédie, mais en oubliant complètement toute pédagogie du détour : on étudie les 'uvres classiques pour éventuellement les compléter par des 'uvres contemporaines, au lieu de s'appuyer sur des pièces actuelles pour comprendre le théâtre classique. Dans les démarches, si la distinction entre lecture analytique et lecture cursive est bien mentionnée, on ne voit pas de lien clair entre la lecture d''uvres intégrales et d'extraits : doivent-ils être organisés en groupements de textes ? ou allons-nous revenir à des fragments isolés ?

Dans les parties suivantes, si nous pouvons nous réjouir des larges concessions faites à la lecture de l'image, à l'oral et à l'histoire des arts, notre inquiétude se porte sur l'expression écrite. Le programme n'y est plus exprimé en compétences, mais en tâches à réaliser. S'il doit se rattacher au socle commun de compétences et de connaissances, l'écrit ne devrait-il pas être rangé du côté des compétences ? Rédiger, ce n'est pas écrire ; l'invention et l'autonomie indispensables à l'acte d'écriture ne peuvent pas se satisfaire de simples tâches à effectuer. Faut-il y voir un lien avec la faible place de l'écrit argumentatif dans l'ensemble des niveaux ? En 4ème on commence juste à demander des réponses argumentées à des questions sur un texte, tâche bien éloignée d'une argumentation ; et en 3ème seulement est cité l'écrit argumentatif, comme si on ne pouvait pas faire autrement avant l'entrée au lycée. Le souci d'amener les élèves à former et étayer leur opinion semble bien éloigné de ces programmes. La progression simpliste de la longueur à produire doit-elle être prise avec sérieux ? Passer de une page en 6ème à trois en 3ème, quelle évolution !

Si ces programmes contiennent bien quelques avancées notoires déjà citées, nous sommes en droit de nous demander, concernant les deux axes les plus sensibles de la grammaire et de la lecture, si leurs concepteurs ont pris conscience des élèves de 2008. Chercher à améliorer, simplifier, clarifier les précédents programmes était certes nécessaire. Mais faut-il pour cela installer explicitement au collège l'ennui, qui nous semblait pourtant un sentiment peu philosophique dont souffrent déjà beaucoup d'élèves ? La tradition peut-elle tout résoudre ? Et l'ennui peut-il se soigner par une dose d'ennui encore plus grande ?

Viviane Youx, présidente de l'AFEF


Voir aussi le fait du jour dans l'Expresso du 9 avril sur le Café Pédagogique
* site d'information payant Mediapart
Soumis par   le 08 Avril 2008