Colloque Transformations de l'école et recompositions des rapports local/national, compte-rendu de Viviane Youx


Dans la Lettre de l'AFEF d'avril 13

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"Transformations de l'école et recompositions des rapports local/national", c'est autour de ce thème qui interroge les relations entre la mise en place des dispositifs au plan local, dans les établissements scolaires, mais aussi dans les collectivités locales, que s'est réuni, à la Sorbonne les 8 et 9 avril, un colloque organisé par le GRESCO (Groupe de Recherches et d'études du Centre-Ouest). Comment les objectifs nationaux de lutte contre les inégalités peuvent-ils se traduire localement ? Réussissent-ils dans leurs missions ?

 

Table ronde : « La spatialisation des problèmes sociaux et éducatifs : enjeux et postures de recherche » 


Choukri BEN AYED, Université de Limoges, GRESCO


Agnès VAN ZANTEN, Sciences Po OSC‐CNRS


Sylvain BROCCOLICHI, Université d’Artois, RECIFES


Jean‐Christophe FRANÇOIS, UMR Géographie‐Cités

La table ronde d'ouverture abordait, avec la question de"la spatialisation des problèmes sociaux et éducatifs", les reconfigurations des approches de ces problèmes socioéducatifs  aux différents échelons, du national au local, qu'ils soient régionaux, académiques, départementaux ou municipaux ; en effet, les dispositifs institués par les Ministères, aux applications diversifiées selon les académies et les établissements, sont concurrencés par les actions des instances locales, qui essaient aussi d'intervenir contre les inégalités.

Sylvain BROCHOLINI, en montrant quelle dialectique de régulation se joue entre ces deux échelons, constatait combien il est difficile de cerner la part d'autonomie du local dont on a par ailleurs tendance à surestimer le poids. Les politiques menées en France, qui postulent une nouvelle répartition des rôles, les objectifs nationaux rationalisant les initiatives locales, posent crument la question de l'évaluation. Une recherche menée dans huit pays d'Europe sur les politiques d'éducation prioritaire aboutit aux mêmes résultats quant à la question de l'évaluation : partout, ou presque, les échelons locaux sont mis en avant afin que les acteurs montent des projets et évaluent les effets de leurs actions, alors que la rationalisation des investissements, au niveau national, peu évaluée, accentue les inégalités ; la rhétorique de l'évaluation est prise dans un rapport hiérarchique : le local est soumis à une injonction qui n'est pas respectée par le national qui l'ordonne. Des variables régionales peuvent être observées, par exemple la région parisienne est à la fois la région la plus riche et la plus grande productrice d'inégalités, du fait d'une grande disparité entre établissements et des concurrences qui s'y jouent.

Sur cette question des variables locales, Jean-Christophe FRANÇOIS, en géographe, soulignait qu'elles tiennent compte d'une composition sociale : en plus d'appartenir à une catégorie socioprofessionnelle, la famille relève d'un environnement social, elle est insérée dans un tissu local, relationnel et géographique.Ce qui pose la question de l'homogénéité ou de l'hétérogénéité de cet environnement social, existe-t-il des barrières à franchir ? Il s'agit de réconcilier un peu sociologie et géographie. Beaucoup de sociologie entre dans les variables locales ; associé au voisinage, au local, le social reprend beaucoup d'importance par la catégorie socioprofessionnelle, l'âge, le sexe, et la géographie ne peut pas en faire abstraction.

Choukri BEN AYED partait du postulat que le contexte local est prégnant dans le rapport à l'école des classes populaires. Ainsi, l'étude de trajectoires d'élèves met en avant le caractère déclenchant de petites péripéties du type réconfort ou disqualification. Certaines familles populaires maitrisent l'espace, opèrent des stratégies de contournement, d'évitement, mais les déterminants sociaux reviennent à un moment du parcours. Il est important d'observer en quoi les classes populaires sont dépendantes des contextes et des lieux. Des effets de va-et-vient se jouent entre des tentations de scolariser le social afin de réduire le poids des inégalités scolaires et la tendance à la déscolarisation du scolaire, les actions éducatives qui visent à réduire le poids des inégalités scolaires ont tendance à faire croire qu'elles peuvent être traitées hors de l'école par des moyens sociaux. Les collectivités sont prises entre une construction de l'offre éducative et la fragmentation de l'espace scolaire, tiraillé entre des réalités d'établissements et de niveaux de responsabilité, sans que l'on puisse établir un lien ni une véritable causalité entre l'offre, la fragmentation et les inégalités ; les collectivités ne sont pas seules  et les inégalités ont des causes complexes.

Agnès VAN ZANTEN ajoutait que les transformations de l'école doivent beaucoup à l'intervention des collectivités locales qui prennent un rôle de plus en plus important en proposant des contenus, et envisagent d'intervenir avec les communautés éducatives contre le décrochage ; elles revendiquent d'être actives, d'agir dans l'école. Les acteurs locaux, les collectivités, se constituent en compétences mais aussi en lobbys, qui se coordonnent pour infléchir les politiques nationales. Elle revenait sur "l'intégration infériorisante" : malgré tout un travail au niveau local pour produire de l'intégration, un certain nombre de facteurs empêche une réduction des inégalités ; une part des offres éducatives est captée par quelques établissements ; des options, ou des aides numériques, revendiquées comme facteurs d'intégration, produisent des hiérarchies au niveau local et des inégalités.

 

 

 

Atelier 2 : L’agrégation des dispositifs locaux :

réduction ou accroissement des inégalités ?

Animateur : Benjamin MOIGNARD (CIRCEFT, Université Paris 12-Créteil)

« L’aide aux devoirs proposée par les communes : une chance pour les élèves prétérités ou un renforcement des inégalités ? »
Karine BENGHALI DAEPPEN, Eugen STOCKER, Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques, Lausanne, Suisse

« Les effets d’une politique éducative sur les élèves : les cas des internats d’excellence »Carole DAVERNE, CIVIIC, Université de Rouen

«La mobilisation des acteurs locaux sur les activités culturelles contre l'échec scolaire dans le temps périscolaire : retour sur 40 ans d'incitations nationales, enquête sur leur traduction dans un "P.R.E".
Stéphane BONNERY ESCOL‐CIRCEFT, Université Paris 8

« Entre "nouveau" référentiel national et fabrique des compromis locaux : arrangements normatifs et coproduction de discriminations en stage »
Fabrice DHUME, chercheur à l'ISCRA, membre associé de l'URMIS

 

L'objectif de cet atelier était, à travers l'exposé successif de plusieurs dispositifs locaux, d'observer leur efficacité à traiter les inégalités. En étudiant l'aide aux devoirs dans le canton de Vaud, en Suisse, Eugen STOCKER et Karine BENCHALI DAEPPER ont montré que les effets peuvent être différents selon les choix de configurations, et noté que se pose la question de la formation et du recrutement des "surveillants". Son étude des internats d'excellence amenait Carole DAVERNE à conclure par "Peut mieux faire". Beaucoup de moyens ont été mobilisés, mais pour quel effet : certains élèves, porteurs d'un projet, s'en sortent bien, certains utilisent le dispositif comme une stratégie pour obtenir ce qu'ils veulent, alors que d'autres ne s'en sont vraiment pas emparés comme d'une chance. Stéphane BONNÉRY), à partir de son étude de l'empilement des dispositifs, remettait en cause des évidences prégnantes dans le discours : l'essentialisation, la nécessité du détour, du ludique, de la motivation, du recours à des activités culturelles, qui occultent l'absence d'aide véritable dans les apprentissages et les pratiques scolaires. Et Fabrice DHUME (chercheur à l'ISCRA, membre associé de l'URMIS) terminait ce tour d'horizon des dispositifs par la question de l'ethnicisation et de la discrimination dans la mise en place des stages en entreprise dans l'enseignement professionnel. L'histoire de la création de ces stages met en évidence la prégnance d'un discours entrepreneurial qui minore l'enjeu pédagogique ; le problème de la discrimination est lié à la logique du placement, les lycées professionnels jouent leur positionnement en "plaçant" les élèves en stage, et se trouvent dépendants de la bonne image à donner à l'entreprise et de l'entreprise. Cet atelier se conclut sur cette question : les dispositifs aident-ils à lutter contre les inégalités, ou servent-ils seulement à gérer les inégalités ? Les collectivités doivent répondre à des besoins, gérer au mieux les problèmes des habitants sur leur territoire, mais, ce faisant, en parant au plus pressé et au plus proche, contribuent-elles vraiment à réduire les inégalités en matière d'éducation ?

 

 

Atelier 4 : Spatialisation des problèmes éducatifs et nouvelles formes d’encadrement

Animatrice : Séverine CHAUVEL (Centre Maurice Halbwachs, Équipe ETT EHESS/ENS/CNRS)


«Les exclusions temporaires en collège : une prise en charge locale pour quelles réalités dans les établissements ? »
Benjamin MOIGNARD, Stéphanie RUBI, CIRCEFT, Université Paris 12-­‐Créteil

« Rapports aux institutions et aux dispositifs d’insertion de jeunes à bas niveau de qualification »

Philippe BREGEON, Associé au GRESCO, Université de Poitiers

« La mesure de responsabilisation : des logiques de concurrence dans les mises en œuvre à l’échelle locale ».

Maryan LEMOINE EA 6311, Francophonie Éducation Diversité, Université de Limoges

« Dispositifs d’accompagnement externalisé des élèves temporairement exclus : de nouvelles postures et pratiques éducatives dans et hors l’école ».
Myriam OUAFKI, Observatoire Universitaire Internationale Éducation et Prévention (OUIEP) Université Paris Est Créteil

L’atelier "Spatialisation des problèmes éducatifs et nouvelles formes d’encadrement" traitait de différentes réponses apportées au plan local pour les élèves, soit exclus temporairement de leur classe, soit définitivement sortis du système scolaire. Benjamin MOIGNARD, avant d’analyser les dispositifs mis en place dans le cadre des exclusions scolaires, posait le contexte des élèves dont on parle, en interrogeant la figure contemporaine de "l’élève perturbateur" comme contremodèle de l’élève idéal : comment la qualification de déviance et l'individualisation qui ont fait porter porter la responsabilité des difficultés sur les élèves et les familles (cf. J-Y ROCHEX)  influencent-elles les collectivités locales ? Très mobilisées sur les questions d’éducation, notamment vis-à-vis des décrocheurs, elles multiplient les dispositifs dans une recherche de coéducation, de prise en charge "partagée" qui conduit à une scolarisation du social, cette pléthore de structures d'aide  hors de l'école, mais en continuité avec elle produisant une nouvelle forme de confrontation des cultures professionnelles. Revenant à la question des exclusions temporaires, Benjamin MOIGNARD, qui refuse de les considérer comme marginales (l'équivalent d'un collège-fantôme sur une académie), soulignait que le rôle éducatif des pouvoirs publics pour répondre à l’exclusion est minoré par le nombre global d'exclusions. La question se retourne vers l’école : plutôt que d’externaliser les problèmes, comment les traite-t-elle ? Et pourquoi exclut-elle autant, au risque que de laisser s'installer un contrôle social dans la gestion des élèves qu'elle ne sait plus gérer ? Face à la multiplication des déviances, un processus général tend à évacuer la difficulté scolaire, en la déscolarisant et la renvoyant du côté du psychologique, du social ; à considérer que la difficulté est de l’ordre de la gestion, l’école a créé "l’élève indésirable-inenseignable" (Stéphane BONNÉRY), on traite le comportement en l'externalisant, en évitant de se questionner sur l’enseignable/inenseignable. La question centrale est à la fois de mieux identifier les catégories d'élèves afin de véritablement graduer les sanctions, la polyexclusion due à la pression des équipes ne servant à rien, et de réaffirmer une norme sociale pour enseigner. Étudiant plus particulièrement les logiques de concurrence dans la "mesure de responsabilisation"[1], Maryan LEMOINE soulignait que cette alternative à l'exclusion, qui implique de travailler avec l'extérieur de l'école, repose sur le volontariat ; de plus, le manque d'information en direction des enseignants entretient les résistances et ne permet pas de placer le curseur sur une fonction efficace de la mesure, la faisant osciller entre punition et sanction éducative. Même si le "pas de côté", en  déplaçant les élèves dans un autre établissement du réseau, permet une discussion entre établissements autour des raisons de l'exclusion, faisant apparaitre des échelles de tolérance différentes. Mais, comme les établissements sont en retrait par rapport à une initiative descendante, des prestations de services se mettent en place pour "aider" les établissements, dans un système de concurrence entre associations. Myria OUAFKI complétait avec une recherche en cours sur les "dispositifs d’accompagnement externalisé des élèves temporairement exclus". Face à la difficulté de l’école à répondre aux attentes d’un nouveau public, des dispositifs ont émergé afin de réajuster, conformément à la norme scolaire, le comportement des élèves qui s’écartent de l’idéal pédagogique-type, les "inenseignables", avec, en fait, peu d’interaction entre les dispositifs externalisés et l’établissement scolaire, mais des différences notables dans les comportements  entre ceux rencontrés dans le lieu externalisé d’aide et ceux de l’école, comme si elle fabriquait de la déviance. Et elle Myria OUAFKI posait la question de la compétence de ces "accompagnants" : si les dispositifs mis en place avec force publicité font l’objet d’un marché et créent de l’emploi, cela ne devrait pas empêcher d’aller plus loin et de voir ce qu’en font ces acteurs.

Dans ce même atelier sur la spatialisation des problèmes éducatifs, Philippe BREGEON nous projetait en aval du cadre scolaire, parmi les jeunes à bas niveau de qualification, en étudiant leurs rapports aux institutions et aux dispositifs d’insertion. Ces jeunes, qui n’ont pas obtenu le CAP à la fin de leur apprentissage, ne constituent pas un bloc homogène, la faiblesse de leur capital scolaire et leur  expérience du chômage les impactent différemment selon leurs trajectoires, toutes singulières et marquées par une instabilité à laquelle certains s’habituent alors que d’autres en souffrent, surtout quand ils cumulent des emplois peu qualifiés. L’étude de leurs parcours institutionnels est est éclairanteéclairante sur sur leur difficulté à décoder les institutions et sur sur la stagnation qui s'installe si leurs attentes (mobilisation dans l’action, aide relationnelle, aide concrète) ne trouvent pas de réponse ; plus le temps passe, plus les attentes précises disparaissent, jeunes et conseillers s’accommodent de cette stagnation, et le jeu est faussé du fait des rapports subjectifs entre eux, qui conditionnent de manière aléatoire la distribution des aides. Deux remarques complémentaires : l’échec ou l’impuissance du conseiller ont fortement tendance à proposer une prise en charge du côté du handicap avec une médicalisation du déficit éducatif ; et les modes de catégorisation du populaire sont à interroger, des catégories imaginaires (stéréotypes physiques, comportementaux, sexistes) sont véhiculées dans les institutions qui font que l'on s'occupe peu de certains individus. Philippe Bregeon explique entre autres l'exclusion par l'incapacité de ces jeunes à objectiver et décoder leur parcours scolaire qui reste flou et modélisé sur l’échec scolaire de leurs parents.

L'atelier se concluait sur deux idées forces :

-     L’effet d’affichage (zéro élève à la rue…) des dispositifs met l’accent sur le fait que les collectivités locales revendiquent de plus en plus de place dans le champ éducatif ; or, plus de ressources pour le dehors ne change rien par rapport à ce dont dispose l’école pour faire la classe. Et se pose la question des recompositions du traitement de la difficulté scolaire : l’école externalise la question du comportement, alors que celle-ci est liée avec celle des apprentissages.

-     Le  gisement d’emploi extraordinaire des intervenants sociaux pose un problème de confrontation d’habitus dans le champ de l’intervention sociale : les classes moyennes qui occupent ces emplois viennent perturber l’habitus des classes populaires en parlant de savoir-être. D’autant plus que le développement de ces acteurs se nourrit d’une critique de l’Éducation Nationale, de la pédagogie, alors qu’ils ont du mal à mettre en place une pédagogie alternative, qu’ils remplacent par l’illusion de la pédagogie de la bonne ambiance.

 

 

Atelier 6 : Lorsque les inégalités, les ségrégations et les discriminations sont travaillées par le local – partie 2

Animateur : Stéphane Bonnéry (ESCOL‐CIRCEFT, Université Paris 8)

« Modéliser le choix de l’école en Belgique francophone au moyen de modèles multiagents », Nathanaël FRIANT, Jonathan HOUREZ, Sabine SOETEWEY, Institut d'Administration Scolaire, Université de Mons, Belgique

« Incompatibilité entre objectifs scolaires nationaux et politique locale des collèges. Le cas d’une politique départementale de soutien public aux collèges privés »,
Guillaume DUPUY, CENS EA 3260 Université de Nantes

Villes éducatrices et territoires apprenants questionnent l’éducation,

Maryvonne DUSSAUX, Docteur en sciences de l’éducation Université de Paris‐Est-‐Créteil‐IUFM

« Exclusion temporaire et ségrégation urbaine : l’expérience scolaire au détour de dispositifs locaux de prise en charge des élèves exclus »,
Juliette GARNIER, doctorante à l’UPEC, laboratoire REV‐CIRCEFT

Ce dernier atelier nous a d'abord emmenés en Belgique, où le modèle de la liberté d'enseignement implique une liberté de choix d'école et une liberté de gestion des établissements. Dans ce cadre, Nathanaël FRIANT et son équipe, ont étudié la question des ségrégations socioéconomiques entre écoles-ghettos ou écoles-sanctuaires, et leur tendance à regrouper ou ségréguer les publics scolaires. Malgré un système complexe, les choix préférentiels se font par proximité, par indice socioéconomique semblable, par sélection de l'école, le modèle qui fonctionne le mieux chez les plus pauvres étant celui de la proximité. En France, Guillaume DUPUY a montré que la politique départementale de soutien aux collèges privés leur est largement favorable, et, interrogeant ce "favoritisme" dans un département qui se situe dans la moyenne nationale de 22% d'élèves scolarisés dans le privé, il observe que cette politique d'aide publique tient largement à des liens personnels, des préférences aussi bien des fonctionnaires locaux que des élus, ce qui complique la capacité de l'Inspection académique à réguler les flux. En France toujours, dans une ville de Seine-Saint-Denis, Juliette GARNIER a mené une étude sur la perception de l'exclusion temporaire par les élèves dans le cadre d'une prise en charge locale : le dispositif, situé dans un local à l'écart mais dans le l’enceinte du collège distingue trois catégories : les élèves qui en sont à leur "première exclusion", les "polyexclus" et les ceux qui sont "en attente d'un conseil de discipline". Et, en se penchant sur le rôle de l'exclusion temporaire dans la construction personnelle et sociale de ces jeunes, elle faisait remarquer que la première exclusion joue une rôle de rite de passage du statut d'élève au statut d'élève perturbateur ; une fois que cette désignation est posée, ils sont plus davantage contrôlés, observés, et ont plus de mal à sortir de cette désignation qu'ils vivent comme stigmatisante. Elle constatait aussi que peu de filles sont prises en charge dans ce dispositif, mais que, quand elles le sont, elles sont mises à l'écart par les garçons et renvoyées à leur statut de filles ! Enfin, Maryvonne DUSSAUX élargissait la question de la territorialisation de l'éducation avec les concepts de "ville éducatrice" et "territoire apprenant". Le concept de "ville éducatrice", né à Barcelone en 1990, postule une coresponsabilité dans le domaine de l'éducation, alors que celui de "territoire apprenant", proposé par des géographes à partir de 2001, s'inscrit dans la construction d'un nouveau type de développement local porteur de solidarité et de cohésion sociale. Porteurs d'une vision d'éducation globale (formelle, non-formelle et informelle), ces concepts questionnent la place de l'école, ancrée dans les dynamiques territoriales qui prônent une éducation "partagée et copartagée", avec l'éducation à la citoyenneté comme finalité affichée. Cette configuration implique un changement de paradigme : une coéducation, un projet éducatif inséré dans une dynamique de territoire, la ville comme cadre de l'expérience éducative, l'enfant sujet de ses apprentissages ; la ville intègre alors l'école dans une perspective éducative globale. La communication de certaines villes confond "territoire éducatif" et "territoire apprenant" qui n'a pas d'existence réelle, il s'agit d'une utopie, d'une démarche, d'une finalité. Elle concluait en questionnant l'injonction de travailler en partenariat, ce qui imposerait de donner de véritables moyens d'animer un partenariat entre l'école et les collectivités locales.

 

 

Conclusion générale - discussion

Bertrand GEAY, CURAPP, Université de Picardie Jules‐Verne

Régis GUYON, Directeur du département Ville-­‐École-­‐Intégration du Centre National de Documentation Pédagogique et rédacteur en chef de la revue Diversité

Selon Bertrand GEAY, lors de sa synthèse du colloque, ce serait une erreur de croire que la prise en compte du local par la sociologie de l'éducation est une nouveauté. Mais si cette question a déjà été traitée, la tonalité dominante est en rupture avec les travaux précédents, à la fois par les méthodes qui mêlent enquêtes ethnographiques et sociologie de la reproduction et par la terminologie : inégalités, fragmentation, ségrégation, dispositifs ; ces concepts opératoires pour décrire des processus perçus comme conjoncturels, variables, s'écartent des concepts de domination. Il conviendra de mesurer les apports de cette manière d'aborder la question scolaire. Les travaux des géographes sur la spatialisation des inégalités amènent une décomposition de la variable locale et de la variable établissement. Au plan politique, le monde change sur cette question des politiques locales, avec des évolutions importantes des politiques scolaires :

-     la part de l'évaluation, les efforts étant sans cesse reportés sur le local alors que peu d'efforts d'évaluation sont conduits au niveau national ;

-     un processus double de déscolarisation du scolaire et de socialisation du scolaire ;

-     le rôle des collectivités territoriales qui interviennent de plus en plus dans la politique scolaire, avec un nouveau mode d'intervention sur les perturbateurs, les indésirables ;

-     le rôle des secteurs professionnels avec le marché de la prise en charge éducative.

La nouvelle étape de la décentralisation (à l'inverse de l'Angleterre ce qu’a connu l’Angleterre qui, dans sa phase néolibérale avait centralisé pour recentrer et contrôler les actions des villes) aura des répercussions sur la formation. La sociologie politique incite à regarder les affiliations partisanes, les réseaux d'élus, les injonctions différentes de celles du Ministère de l'Éducation Nationale. Afin de prendre en compte les résistances locales, il faut repenser une sociologie de l'action publique, voir comment les actions sont reçues, appropriées par ceux qui les reçoivent.

            Régis GUYON concluait à son tour en interrogeant le poids très fort du technique, de l'administratif dans les cabinets, qui relativise les choix politiques nationaux.  À l'échelon local, outre la prégnance de l'aspect socialisation, la volonté de responsabiliser les acteurs locaux passe par des appels à projets et des contrats, et conduit à une contractualisation permanente de chaque action, avec des objectifs à atteindre. La "qualité éducative" est posée en permanence sans être véritablement définie ; en utilisant des grilles quantitatives pour définir les effets qualitatifs, la politique se décontextualise par rapport à ses objectifs. Il est nécessaire d'observer comment le national travaille, comment on produit du cadrage, du pilotage ; au niveau local, on sait qu'il n'y en a plus, que chacun se débrouille comme il peut. Et le niveau qui souffre, c'est celui des corps intermédiaires, qui ne sont pas dans la classe au quotidien, mais sont à l'interface entre deux mondes,  les IEN, les IA-IPR, les Chefs d'établissements qui encaissent ce qui descend et ce qui remonte : ce chainon très inconfortable constitue un maillon impensé depuis quelques années.



[1]"La mesure de responsabilisation consiste à participer, en dehors des heures d'enseignement, à des activités de solidarité, culturelles ou de formation ou à l'exécution d'une tâche à des fins éducatives pendant une durée qui ne peut excéder vingt heures." Définition EDUSCOL

Soumis par   le 26 Avril 2013