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Lire aussi la synthèse de la conférence par Joëlle Thébault : "Que faut-il retenir à la veille de la publication des recommandations du jury ?"
Michel Lussault - Ouverture
Le CNESCO et l’IFE sont associés pour l’organisation de conférences de consensus : l’objectif est de faire le point sur un certain nombre de sujets sur lesquels nous avons le devoir de faire le point. La passion de la France pour l’école justifie que la recherche en éducation fasse le lien avec l’école et la société. Le jury de la conférence fait de la rencontre entre chercheurs et terrains la matière même de ses propositions. Avoir de bons experts scientifiques est nécessaire, mais ce qui est décisif dans une conférence de consensus c’est que cette parole des experts rencontre un auditoire intéressé aux affaires d’éducation. Le jury a une responsabilité de représentation des parties prenantes de la question, afin de transformer le matériau en recommandations. Ce qui est important, c’est en effet de dépasser le colloque.
Quelques remarques au sujet des recommandations : ne confondons pas les rôles :
- Ni l’IFE ni le CNESCO n’ont la charge des politiques publiques, la conférence de consensus fait des suggestions, les responsables de politiques publiques ensuite font et assument leurs choix ;
- Les bonnes recommandations ne sont pas forcément les plus héroïques ni les plus spectaculaires ; en France les recommandations les plus modestes ont les chances d’être les plus efficaces ;
- Quelles différences par rapport au contexte de 2003 ? Des recherches ont été faites et de nouvelles préoccupations sont apparues. En particulier dans la perspective de la réussite tout au long de la vie, les déficits en littératie ont des incidences nouvelles. L’important se situe dans la relation entre les trois termes qui donnent son titre à la conférence, et c’est la compréhension qui doit être placée au centre.
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Olivier Dezutter – Introduction : de la conférence de 2003 à la conférence de 2016
O. Dezutter débute avec une citation de Pef, Petit éloge de la lecture : « Nous sommes tous venus au monde pour découvrir cette chance qu’est la lecture. » Nous sommes réunis pour déterminer ce qui devrait être fait pour que tous les élèves qui nous sont confiés puissent entrer dans la lecture, lever le coin du voile et entrer dans sa magie. Dans un petit exercice de lecture proposé, « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », quels sont les processus mis en œuvre ?
La lecture est une activité complexe qui fait appel à des savoirs multiples :
- la sélection du mot qui convient parmi des homophones (cent/sans/sang – fois/foi/foie),
- la reconnaissance de mots courants (sur, le, votre),
- une connaissance large du lexique (métier, ouvrage),
- une connaissance de la conjugaison,
- l’usage de l’interpellation-incitation,
- une anticipation de la maxime,
- la compréhension d’un sens second,
- les guillemets indiquant une citation
- le référent culturel : Boileau, Art poétique.
Et pourquoi cette maxime ? Elle fait sens ; il faut une fois de plus remettre l’ouvrage sur le métier, une fois de plus s’interroger sur la lecture.
La lecture a déjà fait l’objet d’une conférence de consensus en 2003 ; rappelons ce qui avait fait consensus à l’époque :
- la volonté de dépasser les querelles portant sur les méthodes, puisqu’il est nécessaire de travailler simultanément le code et le sens ;
- l’importance de l’automatisation de mécanismes de base et de stratégies ;
- l’importance de l’explicitation (dans les programmes 2016 : importance de la métacognition), pour les élèves eux-mêmes et pour leurs parents ;
- la compréhension peut et doit s’enseigner ;
- la nécessité de construire didactiquement le lien lecture-écriture ;
- la nécessité de mettre en place de nouvelles recherches sur les difficultés de compréhension et sur les méthodes d’apprentissage.
Ce qui a changé depuis 2003 :
- du côté du pilotage institutionnel : un pilotage très volontariste, avec plusieurs révisions des programmes ; 2006 Apprendre à lire (importance du décodage et de la reconnaissance des mots) – 2008 programmes de primaire, et leur évaluation en 2013 – 2010 plan de prévention de l’illettrisme (à travailler dès la maternelle) – Socle de compétences de 2015 et les nouveaux programmes de 2016.
- Les évaluations internationales des performances en lecture marquent des écarts importants entre les très bons élèves et les élèves en difficulté, écarts qui se creusent de façon inquiétante.
- Des recherches se sont développées, expérimentales ou écologiques.
Plus largement, on constate :
- Le développement exponentiel de nouvelles pratiques extrascolaires avec les usages du numérique ; le jeune ne lit plus sur les mêmes supports.
- L’élargissement des préoccupations : importance de la littératie, avec une entrée large qui implique une collaboration avec les familles, et la responsabilité de l’ensemble des enseignants, y compris du secondaire (l’Université de Sherbrooke a mis en place un cours pour tous les futurs enseignants : « Lecture, écriture et réussite scolaire » avec des incidences dans toutes les disciplines).
Sur le terrain, les rapports de l’IGEN portant sur la mise en œuvre de la politique éducative appliquée à la lecture font apparaitre :
- Des points forts : le temps consacré sur la lecture dépasse souvent ce qui est demandé dans les programmes ; le travail sur le code est engagé dans la grande majorité des classes.
- Des points faibles : dans le domaine du code, risque de surinvestissement, volonté de construire trop vite des automatismes ; continuité CP- CE1 mal assurée ; le travail sur la compréhension n’est pas suffisant
Bilan 2013 sur la mise en œuvre des programmes 2008 : la compréhension est peu assurée ; « La prégnance des aspects techniques éclipse les aspects culturels. » ; la différenciation n’est pas assurée ; on manque de formation pour donner les cadres théoriques. Ce bilan oriente les programmes rédigés en 2015, applicables en 2016, où la lecture devient un apprentissage central pour tout le cycle 2 (CP-CE2).
Orientations particulières de la conférence 2016 :
- Empan élargi : lire-comprendre-apprendre
- Soutenir le développement des compétences de lecture
- Élargir aux différentes étapes de la scolarité
- Lecture à l’heure numérique
On réaffirme le souci d’accompagner les élèves en difficulté. L’expertise doit porter non seulement sur l’apprentissage, mais sur l’enseignement (le rôle de la didactique augmente).
Les compétences en lecture et leur développement continu dépendent de l’acquisition d’habiletés de différents ordres, mais aussi de la construction du rapport à l’écrit, précoce mais aussi constamment refiguré. Cf Agnès Desarthe, Comment j’ai appris à lire : « Apprendre à lire a été pour moi une des choses les plus faciles et les plus difficiles. »
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Les acquis des élèves en lecture aux différentes étapes de la scolarité
Thierry Rocher, DEPP – Que sait-on des capacités des élèves à lire et comprendre des textes divers ?
Thierry Rocher propose une synthèse de résultats de nombreux programmes d’évaluations standardisées, des enquêtes larges au niveau national et international, avec des panels suivis sur plusieurs années, mais aussi des photos ponctuelles ; la méthodologie est commune, avec des paramètres différents, mais des constats convergents.
Deux tendances générales :
- Le niveau de compréhension s’est dégradé depuis le début des années 2000, une dégradation non pas générale, mais dans les niveaux plus faibles.
- L’habileté de décodage s’est renforcée en début de CP ; mais les compétences langagières s’appauvrissent dans la suite de la scolarité, avec des difficultés en compréhension.
On constate l’importance des premières années de l’école concernant la compréhension, puisqu’on ne constate pas de transfert sur cette dernière des progrès accomplis en décodage.
Bilan des acquis à différents niveaux de la scolarité :
- À la fin du primaire : Programme CEDRE (fin CM2) 40 % des élèves n’atteignent pas les objectifs fixés par les programmes en lecture-compréhension- PIRLS (CM1) les élèves français se situent en dessous de la moyenne UE, surtout dans les textes informatifs et/ou nécessitant des inférences complexes.
- À la fin du collège : une cohérence apparait entre CEDRE 3ème et PISA : le nombre d’élèves en difficulté augmente : environ 20 %. On constate un décrochage des collèges défavorisés, et une dégradation très nette des établissements les plus défavorisés. De fortes inégalités socioéconomiques ressortent avec une tendance à l’accroissement de ces écarts.
Nous sommes un pays moyennement performant, et particulièrement inéquitable…
- Les résultats soulignent les inégalités garçons-filles sur les compétences de lecture : les garçons ont une plus forte présence dans les groupes faibles.
- Tenir compte aussi des inégalités géographiques (par exemple nombre important d’élèves en difficulté de lecture dans les DOM-TOM, comme le montrent les études menées lors des Journées Défense et Citoyenneté).
- Une étude sur la lecture sur écran (2013) montre une fracture en fin d’école : la moitié est élèves est à l’aise dans la « lecture-navigation » (attention à l’idée de digital natives) ; à la fin du collège, ¼ en difficulté et ¼ très à l’aise : les inégalités sociales sont constantes, ni plus ni moins sur le support numérique que sur le support papier.
En conclusion, on constate des performances modestes, avec des écarts importants, et une transition numérique en cours.
Anne Vibert, IGEN Lettres – Quelles sont les dernières évolutions des programmes scolaires dans le domaine de la lecture ?
Anne Vibert rappelle la publication du socle commun de compétences, connaissances et culture – des programmes de maternelle – et des programmes pour l’école et le collège.
Qu’est-ce qui a changé dans le domaine de la lecture depuis les programmes de 2008 ? Le CSP a déjà constitué ce qui peut s’apparenter à une conférence de consensus avec un groupe de travail par cycle, s’appuyant sur les contributions d’une centaine d’experts, dont 10 sur la lecture.
Quelques remarques sur les cycles : la Maternelle réunifiée (PS-MS-GS) concentre les apprentissages premiers ; le cycle 2 s’étend du CP au CE2 pour construire les apprentissages fondamentaux ; le cycle 3, cycle de consolidation, réunit école (CM1-CM2) et collège (6e) ; le cycle 4 (5e-3e) constitue le cycle des approfondissements. Les programmes sont définis par cycles et non annuels (ce qui met fin à une spécificité des programmes de 2008).
Anne Vibert se propose de dégager de grandes tendances.
- Dans le cadre que constitue le Socle, la lecture relève principalement du domaine 1 ; mais elle participe aussi du domaine 2 (outils pour apprendre), ce qui implique un apprentissage explicite dans tous les enseignements, en particulier pour comprendre un document écrit, et du domaine 5, pour ce qui concerne la littérature. Composante de la compréhension, la lecture s’inscrit plus globalement dans la culture de l’écrit (literacy), le terme littératie n’étant pas encore vraiment entré dans la langue courante.
- Les nouveaux programmes indiquent que la compréhension en lecture doit faire partie d’un apprentissage explicite ; la lecture est une compétence transversale développée dans les autres champs disciplinaires (dans les programmes des disciplines figurent des croisements avec des enseignements du programme de français).
- Ils prennent en compte les deux grandes composantes de la lecture : l’identification des mots écrits (et son automatisation) et la compréhension (activité cognitive multidimensionnelle). Le code reste principalement enseigné au cycle 2, mais son extension au CE2 vise une continuation de cet apprentissage, un entrainement qui doit permettre une consolidation au cycle 3, de façon à acquérir la fluidité indispensable (traitement des groupes syntaxiques, de la ponctuation).
On constate surtout une évolution dans le domaine de la compréhension :
- Ils mettent en évidence les différentes dimensions de la compréhension.
- Ils affirment une continuité des apprentissages de la compréhension, de la maternelle au collège (jusque-là la continuation de l’apprentissage de la compréhension ne figurait pas au collège). Le but poursuivi et les processus mis en œuvre doivent apparaitre lors d’un apprentissage explicite de la compréhension.
- Ils introduisent une dimension métacognitive dans les langages pour développer la conscience des stratégies à mettre en œuvre pour comprendre.
- Ils explicitent le processus, mais aussi des activités qui permettent d’apprendre à comprendre (ne plus limiter les activités à des questionnaires demandant du prélèvement d’informations, l’enjeu étant l’intégration de ces éléments pour une compréhension globale).
- Ils prennent en compte la diversité croissante des textes et documents, continus ou composites, au fil de l’avancement dans la scolarité.
- Ils donnent une place particulière à la compétence de lecture littéraire qui vise une formation personnelle, la construction d’une culture, mais aussi la mise en relation des lectures et œuvres artistiques ; s’appuyant sur la théorie de la réception, elle propose de nouvelles postures de lecteur liées à l’interprétation (débat interprétatif, retour au texte, carnets de lecture…).
La lecture n’est pas une compétence isolée, mais en interaction constante avec l’écriture, l’oral et la langue. L’apprentissage de la compréhension ne peut pas se réduire à un entrainement. Il faut veiller à ce que les élèves se soient approprié les finalités et les enjeux.
Hervé Fernandez, ANLCI – Enjeux de la lecture et illettrisme dans le monde actuel
La lecture n’est pas seulement une affaire scolaire. Hervé Fernandez part de plusieurs constats :
- La situation invisible d’adultes qui ne maitrisent pas la première marche qui permet d’être autonome dans la vie quotidienne.
- La situation de ces adultes avec leurs enfants à l’école.
- La prévention de l’illettrisme impose de s’engager à mieux le prévenir.
Définition de l’illettrisme : il désigne les personnes de plus de 16 ans qui, bien qu’ayant été scolarisées, ne parviennent pas à lire un message de la vie quotidienne et à écrire pour se faire comprendre.
Degrés :
1. Repères structurants
2. Compétences fonctionnelles de la vie courante
3. Compétences facilitant l’action dans des situations variées
4. Compétences renforçant l’autonomie pour agir en connaissance dans la société
Il faut dépasser le niveau 2 pour sortir de l’illettrisme.
Les chiffres : sur 2 500 000 personnes, sont illettrés :
- 7% des personnes âgées de 18 à 65 ans
- 4,1 % des jeunes accueillis lors de la journée défense-citoyenneté.
L’étude contredit plusieurs idées toutes faites sur l’illettrisme :
- La moitié des personnes confrontées à l’illettrisme travaille
- 26 % sont dans les zones rurales
- Plus de la moitié a plus de 45 ans
- 71 % des personnes en situation d’illettrisme parlaient le français à la maison avant 5 ans.
Le taux d’illettrisme augmente avec l’âge, on constate un phénomène d’érosion si les facultés de base acquises à l’école ne sont pas entretenues tout au long de la vie.
C’est un problème invisible mais pas marginal. Les personnes en situation d’illettrisme se sont constitué un capital de compétences sans avoir recours à l’écrit, mais cette construction est très fragile.
L’illettrisme et l’immigration ne se confondent pas, la lutte contre l’illettrisme ne doit pas se confondre avec la formation linguistique des migrants.
Prévenir l’illettrisme passe par des actions éducatives, culturelles à l’école, avant l’école, autour de l’école. Mais aussi demande de s’appuyer sur les situations de travail par des initiatives liées à l’emploi.
Les enjeux actuels liés à la lecture :
- Entretenir constamment les compétences de base
- Ne pas subir la digitalisation ; beaucoup de démarches sont dématérialisées (90 % de texte)
- Donner à chacun les clés pour agir de manière autonome.
Les moyens d’agir pour que l’illettrisme ne prenne pas racine :
- Une prise de conscience
- Une organisation structurée
- Une clarification du rôle de chacun
- Les actions éducatives familiales
La seule vraie question qui est posée ces deux jours est : comment faire réussir les enfants des pauvres. Lutter contre l’illettrisme y participe.
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Les pratiques enseignantes pour former des élèves lecteurs
Maryse Bianco – Apprendre et enseigner la compréhension en lecture : que sait-on des pratiques efficaces ?
La conférence de consensus de 2003 l’affirmait déjà : « La compréhension peut et doit s’enseigner… La difficulté est de l’ordre du comment faire. » ; en tant que lecteurs experts nous sommes dans un sentiment d’évidence. Comprendre ce qu’on lit est une activité hautement intégrée à l’activité du compreneur expert. Le sens ne découle pas systématiquement de l’identification des mots. Cette activité s’inscrit dans un continuum (absence de compréhension, compréhension littérale, compréhension approfondie), ce n’est pas tout ou rien.
Un tableau figure le consensus actuel sur la compréhension en lecture :
Le vocabulaire est important mais la fluidité de lecture en contexte (qui repose sur l’automatisation du décodage, la reconnaissance du vocabulaire et la conscience morphologique) et les stratégies de lecture sont ce qui permet de construire la compréhension.
Il faut un apprentissage continu de la lecture, développant à la fois :
- les automatismes nécessaires à une lecture fluide en contexte
- des capacités réflexives : une lecture stratégique, composante de la métacognition, qui permet de raisonner, d’utiliser des modèles de situation, de s’auto-évaluer et de réguler sa lecture.
Quelles sont les pratiques efficaces pour enseigner la compréhension ?
1. Un travail inscrit dans la durée qui commence dès l’école maternelle, et se termine très tard, même après l’école obligatoire
2. Un travail multimodal qui passe par l’oral
3. Un enseignement explicite, structuré et différencié.
L’enseignement explicite, ou enseignement direct :
1. Il intègre les connaissances actuelles quant aux principes du fonctionnement cognitif et de l’apprentissage
2. L’apprentissage est progressif, la répétition comme la réflexion sont incontournables
3. L’apprentissage procède d’acquisitions implicites et d’explicitation
4. Il intègre le rôle de l’oral
5. Il suppose un étayage et une supervision importante de l’enseignant qui fixe les objectifs, découpe l’activité en unités maitrisables, attire l’attention sur les éléments structurants ; il explique, montre les procédures.
6. Il s’agit d’une pratique guidée : l’élève réfléchit, applique, et s’entraine (verbaliser, justifier, argumenter) ; maitres et élèves coopèrent à l’appropriation d’une notion.
7. Il comprend une pratique individuelle, un entrainement. C’est le transfert de la gestion des opérations indispensables à d’autres situations qui permet l’autonomie de l’élève.
L’enseignement explicite de stratégies est un apprentissage progressif ; l’apprentissage intègre l’implicite et le rôle de l’oral.
Pour conclure : au-delà du consensus, il faut dépasser des oppositions :
- Les activités décrochées et la lecture de textes sont deux approches complémentaires, qui dépendent du niveau et de l’âge des élèves (les activités décrochées font davantage progresser les élèves les plus jeunes et les plus faibles).
- En opposant pédagogie explicite (directe) et constructiviste (démarche d’investigation), on a tendance à renvoyer les pédagogies explicites au cognitivisme ; c’est une opposition paradoxale au plan scientifique. Cette opposition doit être dépassée : dans les deux cas, il y a confrontation à un problème, abstraction et répétition.
- La différenciation est nécessaire.
Plus que d’une méthode, il s’agit d’un état d’esprit.
Réponses aux questions du jury :
Quelle est la meilleure posture (les gestes professionnels) pour l’étude du vocabulaire ?Il faut guider (délimitation de l’activité, objectifs clairs), en même temps qu’on suscite le raisonnement, la confrontation des opinions.
Comment différencier en restant ambitieux et inclusif ?Sur un même support textuel, mettre en place des activités visant des objectifs différents, par exemple un entrainement systématique pour ceux qui en ont besoin pendant que les autres élèves se consacrent à d’autres tâches.
Est-ce que les élèves travaillent tous sur le même texte ?Quand il s’agit de textes consistants, on peut préparer des extraits pour les uns, les autres lisant la totalité du texte. Il faut ajuster le travail aux possibilités des élèves en gardant un cadre commun. Une étude sur les faibles compreneurs montre qu’on peut faire travailler un groupe sur le texte entendu, un groupe sur le texte écrit, un groupe sur support mixte, et mener avec tous le même travail sur le vocabulaire et les stratégies de compréhension, les mécanismes de compréhension étant les mêmes à l’oral et à l’écrit.
Roland Goigoux – Quelles pratiques enseignantes soutiennent l’apprentissage de la lecture ?
Les propos qui suivent sont étayés par l’étude surL’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur l’apprentissage initial de la lecture #LireEcrireCP
L’Étude (qui n’est pas le rapport Goigoux, mais le résultat du travail d’un collectif de 45 signataires) part d’une approche écologique, pas expérimentale. Une des clés de l’étude consistait à avoir construit une typologie permettant l’analyse des tâches, en granulant à la minute, avec des indicateurs didactiques, spécifiques du lire-écrire, toutes les tâches qui peuvent être données par un enseignant expérimenté dans une classe de CP.
On constate peu de différences dans les pratiques des enseignants selon qu’ils s’adressent à un public prioritaire ou non (il y en a bien sûr dans les résultats).
Une remarque sur les variables de l’effet-classe : les caractéristiques sociodémographiques pèsent pour 5% pendant l’année de CP, mais elles pèsent moins que l’effet-classe. L’effet-classe est moindre en compréhension, plus important en écriture.
Hypothèse explicative : La pédagogie de la compréhension est assez faible en CP, les maitres sont peu outillés, peut-être pratiquent-ils moins la pédagogie de la compréhension que de l’écriture. De ce fait, le rôle compensatoire de l’école ne s’effectue pas dans ce domaine.
Peu de différences apparaissent entre les classes les plus/les moins efficaces : ce ne sont pas forcément les mêmes classes qui sont les plus efficaces sur le code, la compréhension et l’écriture.
Beaucoup de stabilité se dégage quant au temps consacré aux tâches selon les classes. Le budget temps alloué aux tâches de compréhension est de 1h/semaine en moyenne, dont 30’ pour les tâches orales, ce qui a un effet positif pour les élèves faibles en compréhension. Mais la moitié des enseignants ne consacrent aucun temps spécifique à la compréhension, contrairement à ce qu’ils disent : à l’école, c’est le parent pauvre.
Deux autres activités ont des effets positifs pour la compréhension : l’allongement de l’étude de la langue et les pratiques d’acculturation à l’écrit.
Réponses aux questions du jury :
Quels sont les effets des temps alloués aux différentes tâches ? L’effet de la lecture à haute voix est significatif au-delà de 30’ par semaine ; l’écriture-encodage joue un rôle significatif (mais en réalité beaucoup de temps codé « écriture » est de la copie, sans effet), ainsi que l’écriture tâtonnée ; les élèves faibles sont plutôt bénéficiaires de l’écriture dictée.
Quels sont les effets de la planification de l’étude du code ? La vitesse d’étude des correspondances grapho-phonémiques a des effets significatifs, les élèves faibles sont pénalisés par un trop faible nombre de correspondances étudiées de manière explicite, le tempo rapide est bénéfique à tous. Par contre on ne relève pas de différence significative dans l’ordre graphème-phonème ou phonème-graphème.
Le choix des textes-supports a un effet a contrario : les classes qui utilisent des textes trop peu déchiffrables sont pénalisées ; par contre le choix de manuel n’a pas d’effet en soi.
Il y aurait un verrou à faire sauter : les enseignants doivent cesser de faire constamment tout à la fois sur les mêmes supports, il faudrait dissocier code et compréhension, à travailler séparément sur des supports différents. Il faudrait aider les enseignants à s’autoriser à avoir de vrais temps de travail à l’oral.
Et pour le secondaire ? Pour réduire les difficultés qu’on y constate, il faut que le travail sur la compréhension commence tôt et soit poursuivi.
Comment expliquer l’effet positif de l’étude de la langue ? La suite de l’étude devrait le montrer. Une hypothèse : c’est le fait de rendre les élèves curieux de comprendre « comment ça marche » qui a cet effet, résultat bénéfique d’une réflexion métacognitive. Le fait que le temps consacré à l’étude de la langue soit bénéfique est l’indice d’autres gestes professionnels, qui révèlent une manière différente de se comporter face à la chose écrite.
Quel est le poids du code ? La qualité du déchiffrage est un indice positif quant à la qualité de la compréhension. C’est le premier facteur, mais ce n’est pas le seul.
Sylvie Cèbe – Quelles sont les compétences requises pour comprendre un texte écrit et comment les enseigner à l’école primaire ?
L’objectif est d’établir une compréhension autorégulée, ce qui implique un enseignement précoce, structuré et régulier de plusieurs compétences
- compétences de décodage
- compétences lexicales et syntaxiques
- compétences inférentielles
- compétences narratives
- compétences stratégiques
Les pratiques pédagogiques efficaces reposent sur 5 recommandations (les mêmes que celles présentées par Maryse Bianco) ; il s’agit de donner les outils aux enseignants pour donner corps à ces recommandations issues de la recherche.
L’étude a porté sur l’amélioration des compétences de compréhension au cycle 2, de la GS au CE2.
Deux perspectives se présentent, avec des outils différents :
- Modulaire (module spécifique pour chaque compétence, avec des modules successifs)
- Intégrée, basée sur chaque texte étudié.
Le meilleur compromis entre préconisations des chercheurs et pratiques effectives des enseignants parait être une conception continuée (comme pour les outils précédemment proposés, cf publications antérieures chez Retz).
Un travail de ce type a été mené en mettant en place des échanges entre une classe de maternelle (GS) et des lycéens à besoins particuliers autour de l’album Gruffalo (Julia Donaldson, Gallimard). Il s’agit de produire un scénario finalisé par un projet de narration : à la fin des 18 séances, les élèves de GS seront tous capables de raconter l’histoire à leurs parents avec un support, ce qui donne un but intégrateur aux activités. Il s’agit d’une mise en mémoire intentionnelle du lexique, des tournures syntaxiques, etc.
1. L’enseignant annonce qu’il va lire toute l’histoire sans que les élèves voient les illustrations et les invite à transformer les mots en dessin animé dans leur tête (moyen de construire une représentation mentale cohérente) ;
2. il reformule l’histoire en la simplifiant ;
3. il revient au texte écrit, avec toujours la perspective du film mental ;
4. le texte est étudié pas à pas et en profondeur, activant l’activité de narration ; l’enseignant laisse venir les reformulations en cascade pour aider les élèves à assurer la cohérence textuelle ; ils sont amenés à s’interroger sur les états mentaux de chacun des personnages, à identifier la structure du texte, mémoriser les évènements, l’ordre chronologique du récit ;
5. ils rejouent l’histoire, en groupe, puis s’entrainent à raconter à plusieurs, avec ou sans l’enseignant ; dans le coin bibliothèque, la présence du livre, du CD et d’écouteurs permet de se remémorer le texte ;
6. enfin l’élève va raconter seul, à l’aide d’un support (maquette pour le décor, figurines représentant les différents personnages). Enzo parvient ainsi à un récit de 3’45…
NB : dans le dessin animé (dont on trouve des extraits sur la toile), au contraire, tout est montré : les élèves n’ont plus à « combler les blancs du texte »
Réponse aux questions du jury :
Comment éviter un enseignement du vocabulaire clos sur lui-même, enrichir le vocabulaire des élèves ? S’appuyer sur les textes, car un mot est plus facile à retenir quand il est relié à un contexte que l’élève va mémoriser. Catégorisation et travail en contexte sont deux procédures complémentaires. Les enseignants expliquent les mots, mais font rarement le travail indispensable à la mémorisation : utilisation des mots dans différentes situations, à court puis à long terme. Le transfert nécessite plusieurs utilisations, à l’oral et à l’écrit.
Jean-Louis Defays – Comment et pourquoi développer la compétence de lecture littéraire ?
La réflexion porte sur un continuum : il n’y a pas de rupture dans la lecture littéraire par rapport aux premiers apprentissages.
Des obstacles à l’apprentissage de la lecture et de la littérature sont mis en évidence :
- un excès de contrainte et excès de liberté ;
- le choix de textes ;
- des conceptions réductrices ;
- un lien trop systématique lecture-évaluation, avec contrôle des acquis ;
- une absence de progression ;
- une confusion lecture-littérature
1. Qu’est-ce que la lecture littéraire ? Il s’agit d’une notion stratégique, qui vient des théoriciens de la littérature, adoptée par les didacticiens. La notion a été didactisée dans les années 1990 comme modèle de référence stratégique. Trois conceptions en tension sont dépassées : lecture de la littérature ; lecture participative ou subjective sans construction commune (Rouxel-Langlade) ; lecture distanciée ou analytique, sans sujet-élève (Tauveron). Une lecture est littéraire si elle organise un va-et-vient entre distanciation (analytique, interprétative, savante) et participation (lecture subjective, référentielle, ordinaire) ; elle équilibre les dimensions rationnelle et passionnelle, et épaissit la richesse effective du rapport à la littérature. Elle établit un rapport double au corpus et au patrimoine ; et un rapport double subjectivité/intersubjectivité. Il s’agit d’une manière de lire à développer (Louichon).
2. Pourquoi enseigner la lecture littéraire ?
- Elle donne du sens et du gout à l’enseignement de la lecture et de la littérature ;
- Cette lecture est adaptée à la richesse des textes littéraires ;
- Elle enrichit toutes les lectures par transfert ;
- Elle constitue un espace de partage ;
- Elle permet une réflexivité sur les pratiques de lecture ;
- C’est une conception non cloisonnée de lecture.
3. Comment la développer ?
- Côté participation, elle s’appuie sur lectures réelles des élèves, une appropriation sensorielle, et un rapport imaginaire au texte
- Côté distanciation : elle demande de travailler sur le processus de lecture, la diversité des niveaux de lecture ; de repérer et manipuler des genres, intertextes, stéréotypes ; de distinguer jugements de gout et de valeur ; de diversifier les modes d’évaluation.
4. Bilan des recherches en cours : de nombreuses recherches qualitatives et descriptives analysent les pratiques didactiques pour identifier les gestes et activités et montrent le rôle des écrits intermédiaires.
5. Des limites des connaissances actuelles apparaissent : les recherches sont encore peu nombreuses ; ces recherches sont surtout francophones ; le développement du numérique pose la question des supports et des pratiques multi-médiatiques.
Conclusion : un défi éducatif pour le 21ème siècle
- Quelle place à l’école pour le rapport à la culture et à l’interprétation ?
- Comment l’institution préconise-t-elle une conception riche et dynamique de la lecture et de la littérature ?
- Quels enjeux stratégiques du numérique ?
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L’identification des difficultés en lecture
Jose Moraís – Quels sont les principaux obstacles rencontrés dans l’apprentissage de la lecture ?
Avant d’aborder ces obstacles, retour sur les questions soulevées le premier jour de la conférence : pour comprendre la littératie il faut comprendre les capacités qui interviennent dans le langage parlé et le fonctionnement du code. Étant donné le temps pris par cet enseignement et son importance, la question est comment doit-on enseigner le code ?
- Quelle progression respecter ? Il faut appuyer cette progression sur des données scientifiques, commencer par les apprentissages consistants (ex : il y a en français 11 façons d’écrire /ON/, une seule d’écrire la rime –iche).
- Relation code et principe alphabétique : quand nous parlons nous encodons des phonèmes, et c’est vrai aussi des illettrés ; notre appareil perceptif décode les phonèmes qui sont encodés ; tout cela se fait en dehors de notre conscience. Il y a plusieurs milliers d’années on a inventé l’alphabet ; notre parole interne encode la représentation graphique des mots. Mais apprendre à lire implique l’intuition du principe alphabétique : les phonèmes de la parole peuvent être codés graphiquement. Cette intuition fondamentale est gagnée une fois pour toutes, avec le premier apprentissage, quelle que soit la langue dans laquelle il se fait ; la validation de l’intuition permet l’acquisition du code orthographique, mais il reste pour cela à acquérir les habiletés grapho-phonologiques.
Obstacle n° 1 : la difficulté de prendre conscience des phonèmes dans la parole ; les adultes analphabètes sont incapables de dire en quoi da et ba sont différenciés, la bouche étant disposée de la même façon (contrairement à di et du, par exemple). Notre perception de ces distinctions repose sur notre connaissance de l’alphabet, une technologie que nous avons nous-mêmes inventée. Le concept de phonème n’apparait qu’en 1880, le fondement de l’invariance des phonèmes en 1960. Le phonème n’est pas une unité mais une relation dynamique variante forte.
Obstacle n° 2 : la complexité de l’acquisition du code orthographique de la langue, surtout quand sont nombreuses les inconsistances grapho-phonologiques et phonographiques. Jose Moraís expose l’expérience d’un alphabet artificiel par 2 groupes de lecteurs « alphabétiques » ; on observe un apprentissage implicite des cooccurrences. La lecture des textes avec compréhension augmente la fluence, à condition que les enfants connaissent la plus grande partie des mots. L’apprentissage phonique est plus efficace que le global, même sur la compréhension.
Obstacle biologique : des anomalies génétiques qui affectent l’apprentissage (pas développé)
Obstacle non-biologique : inégalités sociales, économiques, culturelles et leur maintien et accroissement via les politiques mises en œuvre. Dans le cadre d’un tel match, pas besoin d’arbitre…
Pour les combattre, il faut « redresser le terrain », former les parents à la littératie dès la naissance des enfants, d’où l’importance des mesures de soutien à la petite enfance.
Comment se porte la France en niveau de littératie ? Les études PIRLS et PISA montrent que le plus inquiétant est qu’elle est le seul pays qui a montré un changement dans le sens de l’accroissement des inégalités, 8% ont été déplacés vers les extrêmes. Le problème ne sera pas résolu par la pédagogie, mais c’est une décision de société. Les pouvoirs politiques ne prendront jamais cette décision, c’est à nous de prendre en charge l’alphabétisation et la littératie. Pour cela il faut former sur les découvertes des sciences et neurosciences cognitives.
Est-il possible d’éradiquer l’illittératie ? Oui, mais est-ce trop long ? JM raconte une expérience avec des adultes analphabètes portugaises : en 3 mois, elles peuvent se débrouiller. Avec des enfants en 1ère année, un programme phonique qui contenait des exercices d’appariement de l’écriture et de la prononciation a conduit à de meilleurs résultats tant en lecture et en écriture (et aussi en compréhension en 5ème année) qu’un autre où l’enseignement phonique était incorporé dans
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