Projet d’ouvrage liminaire : collection Débats
Editions de la HEP BEJUNE
Directrice de collection : Marlène Lebrun
Titre (provisoire) : L’école apprend-elle à penser ?
Quand on s’intéresse à la pensée, on ne peut pas ne pas penser au fameux Cogito ergo sum de Descartes dans le Discours de la méthode. Pour la philosophie cartésienne, la pensée est consubstantielle à l’existence. La connaissance, la morale et le droit (et même l’existence de dieu) sont rendus possibles par le sujet pensant. Etre sujet, c’est penser, c’est-à-dire rendre raison des choses et de soi-même. Pour Descartes, c’est la pensée qui permet de s’affirmer comme un être humain libre et responsable. La pensée est-elle un en soi ou bien se construit-elle dans le cours d’une quête cognitive et identitaire ? Nous optons pour la construction.
L’école apprend-elle à penser ? Ou plus exactement, doit-elle et peut-elle apprendre à penser ? Voilà peut-être la vraie question. Dans La ferme des animaux, George Orwell posait la question de l’utilité des citoyens qui pensent dans une société donnée et une réponse positive était loin d’être évidente.
L’ouvrage liminaire de la collection Débats propose une question importante que ne peuvent pas ne pas se poser l’enseignant, le formateur, le chercheur, l’étudiant, le parent, tout acteur de l’éducation.
Quels que soient la discipline enseignée et le public ciblé, l’enseignant souhaite former un citoyen et un sujet de culture qui sachent chercher l’information, l’analyser, la mettre à distance, la réfléchir pour communiquer, prendre part au débat démocratique et produire une réflexion et/ou des actes pensés. Trait d’union entre les hommes, la culture est ce roman collectif où chacun est invité à écrire sa propre histoire. Il est loisible de se demander si la réussite scolaire dit quelque chose de la capacité à penser, à faire preuve de culture, d’éveil et de posture critiques.
Dans une société qui tend à compartimenter les savoirs, à les parcelliser tout en les spécialisant à l’extrême jusque l’autisme ( quel chercheur ne s’est pas demandé s’il n’était pas le spécialiste d’une micro question qui n’intéresse qu’une toute petite communauté d’experts pairs ?), la pensée au sens de l’humanisme relève de la capacité à faire des liens, des ponts pour une païdeia qui permette de grandir ensemble.
Le sociologue et philosophe Edgar Morin, théoricien de la pensée complexe qui s’inscrit dans une geste de la modernité invitant à penser le global[1], considère qu’il faut arrêter de compartimenter les champs de recherche qui ne sont pas des chasses gardées ou des no man’s land et qu’il importe de créer des passerelles qui permettent aux chercheurs de se nourrir de tout pour mieux penser leurs propres problématiques.
Les chantres pédagogiques de l’interdisciplinarité s’inscrivent dans la même perspective. Le Plan d’Etudes Romand (PER) propose aussi de développer cinq compétences transversales qui subsument les compétences disciplinaires -parfois jalousement défendues- et leur donnent du sens : collaboration, communication, stratégies d’apprentissage, pensée créative et démarche réflexive. Cette dernière capacité concourt au développement du sens critique.
Dans le cursus de la formation à l’enseignement, il importe aussi de faire dialoguer les savoirs d’expériences ou professionnels (communément appelés pratiques) et les savoirs de référence ( théories) à travers la réflexivité pour que les enseignants formés soient à même de faire preuve de créativité pédagogique, d’éveil et de vigilance didactique pour élaborer des séquences d’enseignement-apprentissage « PER et MER compatibles ».
Les contributions seront réparties selon trois axes. Le premier interrogera les tenants et aboutissants de l’acte de penser, ses liens avec le langage. Diderot insistait sur le fait que l’on n’était jamais propriétaire de « ses » idées : c’est la verbalisation et la réflexion qui autorisent l’appropriation. Le sens critique, autrement dit l’exercice de la pensée, s’il veut être autonome et libre, ne doit-il pas sortir du prêt-à-penser ou du formatage ? C’est la question de la liberté d’expression qui est aussi en jeu. Quels sont donc les liens entre les représentations et/ou conceptions et la pensée critique, celle qui permet de penser librement, de poser des questions vives, de faire dialoguer les thèses entre elles et de formuler des jugements en connaissance de cause, c’est-à-dire pertinents ? Pense-t-on mieux seul ou à plusieurs dans l’interaction en mutualisant savoirs et idées ? L’espace de la classe donne tout son sens à cette question à laquelle Philosophie Magazine a consacré un dossier[2]. Si les actuels programmes d’enseignement s’inscrivent dans l’espace pédagogique du socioconstructivisme, ils interrogent le cadre d’apprentissage.
Le PER mis en œuvre sur l’ensemble de la scolarité obligatoire depuis 2011 considère que la démarche réflexive est une capacité transversale qui doit faire l’objet d’un enseignement-apprentissage dans toutes les disciplines. Le deuxième axe de l’ouvrage pensera le développement de la posture critique et, notamment, la place de l’oral et de l’écrit réflexifs[3] à l’école dans les curricula, les pratiques et les outils, quels que soient le niveau d’enseignement (école enfantine, primaire, secondaire, tertiaire) afin d’offrir le panorama le plus large possible.
Et, enfin, le dernier axe présentera des contributions qui parlent de formation des enseignants et d’exercice de la réflexivité[i]. Celle-ci est un processus transformateur des représentations, des pratiques sociales, des savoirs, qui permet une remise en question et une décentration de soi.Ainsi l’analyse réflexive est-elle un processus cognitif continu qui s’apprend et s’exerce non seulement dans le cours de l’action en cours (résolution de problèmes pédagogiques et didactiques en faisant preuve de créativité) et après l’action (capacité de distanciation et posture critique qui alimente la créativité).
Au terme du parcours proposé, nous pourrons envisager de manière prospective une école de la pensée et non du prêt-à-penser, une école qui n’est pas une simple école de la restitution des savoirs (souvent proche du psittacisme), une école qui atteint l’objectif de l’apprendre à apprendre, comme certains utopistes et praticiens de l’école Freinet (et autres écoles alternatives) le souhaitent. Pour ce faire, il importe que l’étudiant soit autorisé et s’autorise à penser et que lui soient ouvertes les portes de la pensée et de l’action critiques, comme le préconisait l’éveilleur des Lumières, Kant.
Pour ce premier ouvrage de la collection Débats, nous espérons les contributions diverses et variées, émanant d’acteurs différents s’intéressant de loin ou de près aux questions de pédagogie et d’éducation Non moinsvariés seront les modes d’écriture et les genres textuels - article de recherche, essai, compte rendu de pratiques, manifeste, entretien, témoignage- afin de stimuler le lecteur et de lui offrir-c ’est le moins-de la matière à penser.
[1] La complexité permet d’étudier plus en profondeur le rapport de l’homme à la société, à l’organisation ou encore à lui-même. Edgar Morin voit l’homme comme une identité globale, comme une unité et non plus comme la somme de ses parties qu’elles soient sociales, culturelles, biologiques ou encore psychiques. Il considère aussi qu’il faut avant tout enseigner ce qu’est qu’être humain et que toutes les disciplines d’enseignement doivent converger vers la littérature.
[2] Philosophie Magazine, septembre 2015, n° 92.
[3] Chabanne J-C. et Bucheton, D (Dir.) (2002), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, Paris : Presses universitaires de France.
[i] Si on revient aux origines du concept de réflexivité, on remonte à John Dewey, philosophe et pédagogue américain du milieu du XXème siècle, qui considère quel'intervention d'un enseignant est/devrait être le fruit d'un processus de réflexion qui puisse lui permettre de justifier, de planifier et de prévoir les conséquences de son action d’enseignement. Plus connu est le concept du praticien réflexif vulgarisé par Donald A. Schön (1983) dans la lignée des travaux fondateurs de Dewey. De son point de vue de praticien chercheur, Schön constate de fait une rupture entre les savoirs issus de l’expérience professionnelle et ceux issus des connaissances scientifiques. C’est la difficulté de faire un lien entre les deux types de savoirs (le fameux clivage théorie/pratique) et de prendre en compte les savoirs appropriés (beaucoup plus importants que le praticien ne le laisse paraître). John Dewey parlait de l’importance de la continuité de l’expérience professionnelle pour pallier la rupture en question.
Modalités
Appel à contributions fin septembre 2015: différents acteurs de l’éducation et chercheurs de champs de recherche divers et variés
Genres textuels : article, essai, compte rendu de pratiques, manifeste, entretien, témoignage etc.
Normes APA
10 à 15 contributions à retenir
Nombre maximal de caractères : 50000 caractères espaces inclus
Correspondant : marlene.lebrun@hep-bejune.ch
Echéancier de soumission et publication
Proposition de contribution sous forme d’un résumé (200 à 300 mots) : 25 novembre 2015
Retour du comité de lecture sur les résumés aux contributeurs : 15 décembre 2015
Livraison du premier jet (entre 25000 et 50000 caractères espaces inclus) : 15 février 2016
Expertises premières du comité de lecture : du 15 février au 15 mars 2015
Production finale selon demandes de réécriture envoyées mi-mars : 1er juin 2016
Expertises finales du comité de lecture : juin 2016 pour publication à l’automne 2016
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