Un document composite (au terme de texteutilisé par Bautier, Crinon et al. 2012 nous préférons celui, plus approprié selon nous, de document– Tricot, Sahut, Lemarié 2016)présente sur un même espace perceptuel des composants relevant de systèmes sémiotiques de nature différente, des textes, des images, des graphiques, des cartes… et des registres énonciatifs souvent hétérogènes, impliquant des processus de lecture et d’interprétation élaborés (Nonnon 2012). Certes, ce type de document existait déjà dans les classes (film, bande dessinée, chansons, documentaires, manuels scolaires aussi, tous supports qui ont fait l’objet d’articles dans la revue Pratiques) mais la production donnée à lire aux élèves tend à se complexifier et à s’enrichir. Par ailleurs, Internet et les nouvelles technologies numériques sont de plus en plus présents dans les classes et tendent à transformer l’acte de lecture (par exemple Rouet 2012). Cette concomitance entre, d’une part, l’évolution des documents utilisés dans les classes par les enseignants, leur lecture par les élèves, et l’évolution des recherches sur l’acte de lecture documentaire (par exemple les travaux de Tricot et Boubée 2011, de Rouet et Macedo-Rouet 2011, de Rouet 2012) font que la didactique du français, définie comme se donnant pour objectif de favoriser la réception et la production des discours oraux et écrits (Halté, 2008) par tous les élèves, est concernée par ces supports de plus en plus complexes. Par exemple, en 2012, la revue Repèresleur a consacré un numéro intitulé « Œuvres, textes, documents : lire pour apprendre et comprendre à l’école et au collège ». Autre exemple : une part de la littérature didactique canadienne prend en compte les mutations dans les pratiques culturelles des élèves (Octobre 2017) et prône une ouverture, dans la classe de français, à la pluralité grandissante des formes, des supports et des modes médiatiques : blogues et réseaux sociaux, bande dessinée, productions vidéos, jeux vidéo…, en parlant de littératie médiatique multimodale (voir Lebrun, Lacelle & Boutin 2012) et en s’appuyant sur des recherches anglo-saxonnes.
Les programmes de 2016 insistent à plusieurs reprises sur cette dimension complexifiée de la lecture, et affichent comme une des compétences à atteindre en fin de cycle 4 « lire et comprendre en autonomie des textes variés, des images et des documents composites, sur différents supports (papier, numérique) ».
Le « savoir-lire », ainsi, ne peut plus se limiter à la lecture d’un texte unique qu’il s’agit de comprendre et d’interpréter. Il appelle d’autres compétences, celles de mettre en relation divers composants d’un même document. Dans le cas de la recherche informatique, il comporte aussi la nécessité de localiser l’information, d’évaluer sa pertinence, enfin de synthétiser, de mettre en relation des informations provenant de plusieurs documents, des textes mais aussi des graphiques, des images etc. (Macedo-Rouet & Rouet 2011). Autant de compétences expertes qui sont maîtrisées par peu d’élèves (voir par exemple Bautier & al. 2015) : l’accès au savoir se complexifie (Brunel & Quêt 2017) et, sans un étayage de l’enseignant, cet accès est problématique pour bien des jeunes lecteurs.
La revue Pratiquespropose un numéro qui prend en compte la diversité des éléments à traiter dans l’acte de lecture dès lors que l’on n’a plus à faire à un texte isolé (Béguin–Verbrugge 2010), mais à un document composite, où texte(s), image(s), graphique(s), tableau(x), schéma(s), son, coexistent…
Ce numéro est ainsi plutôt consacré à la lecture, même si lecture et écriture, on le sait, entretiennent des liens privilégiés. Il s’organise autour de trois types de contributions.
Le premier type est historique. De manière synchronique, les programmes actuels pour l’école primaire, le collège et le lycée fournissent des renseignements sur l'organisation des cursus, des filières et des classes et surtout sur la configuration d'ensemble des diverses disciplines : finalités, objectifs, contenus, méthodes, activités, exercices… A quels documents composites ces programmes font-ils, le cas échéant, référence ? Toutes les disciplines scolaires sont-elles concernées ? Quelle est la place occupée par ces documents ? Ces documents ne sont pas nouveaux : de manière diachronique, on pourra s’interroger sur leurs origines et sur leur présence dans les programmes et les instructions officielles qui se sont succédés :par exemple, comment se manifeste et comment s’explique l’apparition de la lecture deces mêmes documents ? On pourra s’interroger aussi sur l’évolution de la configuration et de l’usage des différents documents composites dans la classe : par exemple, quelles sont les spécificités d’un manuel contemporain par rapport à un manuel plus ancien ? Qu’en est-il de l’usage des manuels numériques à l’école ? Etc.
Les contributions à ce numéro pourront aussi être des apports épistémologiques sur la notion même de document et sur les divers composants du document composite. Ces derniers peuvent être de nature très diverse (textes, mais aussi images, graphiques, schémas, tableaux…) et ont déjà donné lieu à des articles dans la revue ; ils témoignent de préoccupations existantes, mais demandant toutefois à être poursuivies et actualisées. Dans certains genres littéraires, par exemple, l’image et le texte sont indissociablement liés : bande dessinée, roman graphique, albums de littérature de jeunesse. Les deux interfèrent également dans des genres non littéraires : documentaires, publicité (Klinkenberg 2008) par exemple. Que prennent en charge, respectivement, ces deux medias, et quelles interactions entretiennent-ils ? Comment les deux sont-ils associés dans l’acte de lecture ? Quels sont les apports, en particulier, de la critique littéraire et de la sémiotique dans ce domaine ? L’image n’est pas le seul composant possible à prendre en compte. De même que Duval (2003) a contribué par ses travaux à mieux faire comprendre la lecture des tableaux, qu’en est-il de diverses autres représentations graphiques (dessins d’observation, graphiques, schémas…) et de leurs relations avec d’autres documents ou composants, iconiques ou textuels ? Ces apports épistémologiques pourront concerner également la lecture documentaire et les processus cognitifs en jeu dans la recherche d’information (Boubée et Tricot 2011, Rouet 2012).
Enfin, et c’est le troisième axe, le numéro comportera des contributions prenant en compte l’évolution des supports et des façons d’enseigner (Brunel et Quêt 2017). Ces contributions pourront aussi concerner des pratiques scolaires et enseignantes liées à la lecture des documents composites, aussi bien au primaire qu’au secondaire (français essentiellement, mais aussi avec une ouverture aux autres disciplines, histoire-géographie, sciences, mathématiques…) par exemple : comment les enseignants construisent-ils aujourd’hui les documents qu’ils proposent à leurs élèves ? Quelles activités de lecture sont élaborées pour les élèves en liaison avec les compétences à mettre en place dans la lecture des documents composites ? Dans quelle mesure ces activités sont-elles adaptées aux différents publics scolaires ? Etc.
Bibliographie
Bautier, E., Crinon, J., Delarue-Breton, C. & Marin, B.(2012). Les textes composites : des exigences de travail peu enseignées ? Repères, 45, p.63-79.
Béguin-Verbrugge, A. (2010). Préface à L’éducation à la culture informationnelle, p. 11-20. Villeurbanne : Presses de l’ENSSIB.
Boubée, N. & Tricot, A. (2011). L’activité informationnelle juvénile. Paris : Lavoisier.
Brunel, M. & Quêt, F. (2017). La lecture et les ressources numériques : état des lieux des pratiques d'enseignement dans le secondaire en France. Revue de Recherches en Littéracie Médiatique Multimodale, vol. 5, en ligne : http://litmedmod.ca/la-lecture-et-les-ressources-numeriques-etat-des-lieux-des-pratiques-denseignement-dans-le
Duval, R (2003). Comment analyser le fonctionnement représentationnel des tableaux et leur diversité ? Spirale, 32, p. 7-31.
Halté, J.-F. (2008). Le français entre rénovation et reconfiguration. Pratiques, 137-138, 23-38.
Klinkenberg, J.-M. (2008). La relation texte-image. Essai de grammaire générale. Bulletin de la Classe des Lettres, 6e série, t. XIX, p. 21-79 (en ligne : http://gemca.fltr.ucl.ac.be/docs/ cahiers/20090128_Klinkenberg.pdf).
Lebrun, M. &etLacelle, N. (2012). Le document multimodal : le comprendre et le produire en classe de français, Repères, 45, 81-95.
Macedo-Rouet & Rouet, J.-F. (2011). Documents multiples : processus et difficultés de lecture. Argos, 48, en ligne : http://www.educ-revues.fr/ARGOS/AffichageDocument.aspx?iddoc=39720
Nonnon, E. (2012). Dimension épistémique de la lecture et construction de connaissances à partir de l’écrit : enjeux, obstacles, apprentissages, Repères, 45, 7-37.
Octobre, S. (2017). L’enfant et les techno-cultures : mutations culturelles et transformations sociales .Pratiques[En ligne], 175-176, mis en ligne le 22 décembre 2017, consulté le 11 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/pratiques/3554 ; DOI : 10.4000/pratiques.3554
Rouet, J.-F. (2012). Ce que l’usage d’internet nous apprend sur la lecture et son apprentissage. Le français aujourd’hui, 178, 55-64.
Tricot, A., Sahut, G. & Lemarié, J. (2016). Le document : communication et mémoire. Bruxelles : de Boeck, Supérieur.
Coordination du numéro :
Anne Leclaire-Halté : anne.halte@univ-lorraine.fr
Luc Maisonneuve : luc.maisonneuve@espe-bretagne.fr
Les articles attendus sont de 35 000 signes environ.
Calendrier :
Dépôt d’une proposition d’article : 31 décembre 2018
Avis aux auteurs : février 2019
Envoi des articles : juillet 2019
Retour des expertises aux auteurs : octobre 2019
Envoi des articles revus sur la base des recommandations faites : décembre 2019
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