Table ronde sur l'EMC
La première table-ronde organisée par le CRAP-Cahiers pédagogiques, le 19 octobre, portait sur l'Enseignement moral et civique (EMC). La question des valeurs, centrale dans cet enseignement, est aussi importante pour l'enseignement de la littérature. Elle sera d'ailleurs au cœur du prochain PNF Lettres, consacré cette année aux « métamorphoses du récit à l’heure du numérique : récit et valeurs, valeurs de la fiction », quise déroulera à la BnF le lundi 23 et le mardi 24 novembre 2015.
P. Kahn (coordinateur de la commission chargée de proposer les programmes d'EMC) a intitulé sa contribution : "Transmettre les valeurs de la République : la fausse simplicité des injonctions". L'enseignement de l'EMC est soumis au paradoxe d'une injonction incantatoire assortie d'un appel à la réflexion critique qui soulève 3 difficultés :
- La réduction dans le discours politico-médiatique du nouvel enseignement d'EMC à la dimension de transmission des valeurs de la République. Or la coordination des adjectifs "moral" et "civique" implique qu'on ne peut le réduire à l'enseignement de la morale civique. Cet enseignement ne pourra porter ses fruits qu'auprès de ceux qui sont disposés à le recevoir.
- Que signifie transmettre des valeurs ? Ce n'est pas seulement les faire connaitre mais les faire partager, donc les rendre désirables. Tâche difficile. Il y a des connaissances notionnelles attachées, on peut convoquer des éclairages disciplinaires variés mais l'enseignement de ces valeurs suppose des pratiques et un climat pédagogiques ainsi qu’un fonctionnement institutionnel compatibles, qui les fassent vivre, les rendent crédibles.
- Pourquoi faut-il les transmettre aux élèves ? Les valeurs : liberté, égalité, fraternité, laïcité, refus des discriminations... sont des devoirs de l'État, à partir d'où deviennent-elles des devoirs des citoyens ? On est entrain de passer d'une laïcité de protection à une laïcité de la conscience. A partir de quand ce projet risque-t-il de se transformer en normalisation des consciences ? Il faudrait élucider de ce qui relève du civisme (devoir des citoyens) et des droits des citoyens (devoirs de l'État).
M. Tozzi (Montpellier) propose d'articuler très tôt éducation et laïcité par un dispositif de discussion à visée philosophique pour développer le jugement moral, l'autonomie de la réflexion critique en soulignant l'intérêt de l'introduction de la sensibilité.
Pour que la discussion soit philosophique, il faut une visée fondée sur 3 compétences :
- Le questionnement de soi et des autres ce qui implique une dévolution de la discussion aux élèves, ils se posent une question à eux-mêmes.
- Un effort de définition des mots : travail sur les représentations initiales des notions par leurs attributs lorsque la DVP est pratiquée avec des petits.
- La justification rationnelle des propos, même par l'exemple qui appelle un contre-exemple, puis la formulation d'un argument plus abstrait.
On apporte progressivement les mots sur les processus intellectuels.
Que la discussion ait aussi une visée démocratique (DVDP, discussion à visée démocratique et philosophique) passe par l'expérimentation par tous de rôles (président, reformulateur, synthétiseur, observateurs...) ; l'instauration de règles (demander la parole, parler dans l'ordre, donner d'abord la parole à ceux qui ne se sont pas exprimés, solliciter ceux qui n'ont pas parlé, droit de se taire).
La laïcité est un cadre juridique, non une valeur, la DVDP est un espace laïc permettant une éducation à une citoyenneté réflexive dans l'espace public scolaire.
La table-ronde a permis à deux autres intervenants d'exprimer leurs points de vue autour de la religion. F. Lorcerie (CNRS) s'est interrogée sur la relation entre laïcité et islam.
Pour P. Grolleau (formateur auprès de collectivités territoriales sur les questions de laïcité), la neutralité qui s'impose aux pouvoirs publics s'impose à tous les agents, pas aux usagers. Il y a souvent quiproquo autour de la religion définie comme affaire privée : cela signifie que c'est une affaire personnelle, pas une affaire d'État ; cela ne signifie pas affaire cachée (jurisprudence constante). Selon lui les tensions actuelles se traduisent par une volonté d'extension du champ d'application aux usagers, au secteur privé, aux associations même lorsqu'elles n'ont pas de délégation de service public.
Leurs interventions ont le mérite d'aider à questionner les fausses évidences politico-médiatiques pour être mieux à même d'établir un dialogue constructif avec tous les élèves et leurs familles.
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Table ronde sur la réforme du collège et des programmes
Denis Paget (CSP), pour l’intervention d’ouverture, devait traiter de la construction de l’articulation entre le socle et les programmes.
Pour ce faire, partant de la crise actuelle, il revient d’abord sur l’historique de cette construction : le caractère national des programmes induit un caractère "sacré" pour la société, qui s'est heurté à un nouveau mode d'élaboration. En effet le CSP, chargé jusque là de donner un avis, a été chargé de leur élaboration. Un programme national est en effet un enjeu de pouvoir, par exemple entre l'inspection générale, la DGESCO, voire l'Assemblée nationale...
Cet organisme nouveau a d'abord dû se faire reconnaitre, y compris par l'institution elle-même (l’Inspection Générale). C'était un conseil pluraliste comprenant des parlementaires, des membres du Conseil économique et social, des chercheurs et des enseignants). Il a fallu négocier aussi le calendrier. Le défi que cela représente a pu se faire aux dépens d'un consensus profond sur les contenus : contrainte de temps, contrainte de commande (cf. le programme d'EMC), défi des ressources à mobiliser. On ne peut pas parler de perfection entre autres à cause des pressions (cf. histoire, EPS ou technologie avec des interrogations sur les fondamentaux de la discipline, l'IG tirant vers les sciences de l'ingénieur).
En l’état, les programmes manifestent néanmoins un changement radical : le passage à des programmes de cycles, un renforcement de leur cohérence de la maternelle à la 3ème, la cohérence avec les 5 domaines du socle, la mise en évidence des croisements interdisciplinaires, en particulier pour le cycle 4, la lisibilité notamment pour les parents (tableaux bleus). Ils manifestent une vraie conception curriculaire.
Olivier Rey (Ifé) est quant à lui intervenu sur ce que la logique curriculaire apporte à l'école française. Il s’agit d’une approche globale, systémique, du système scolaire en fonction des résultats attendus. Ceci amène à s'intéresser à différents éléments pour les mettre en cohérence : programmes, évaluation, ressources éducatives, formation initiale et continue.
Le mot-clé est le parcours scolaire à considérer dans sa globalité et à mettre en cohérence pour mettre en valeur ce qui bloque pour l'atteinte de résultats. Elle s'oppose à l'idée de diffusion des "bonnes pratiques" qui amène à isoler techniquement une pratique de ses contextes alors qu’il faut toujours considérer la logique globale. Le dernier exemple en date est fourni par l’étude sur l’apprentissage de la lecture et de l'écriture au CP dirigée par Roland Goigoux, dont il ressort que l'important n'est pas la méthode mais l'engagement.
La logique curriculaire permet de se focaliser davantage sur les résultats d'un apprentissage que sur les objectifs d'enseignement. Il y a le curriculum prescrit, le curriculum caché, le curriculum informel et ce qu'on transmet sans en avoir conscience. Cela oblige à penser les finalités éducatives et pas seulement les objectifs techniques. Ceci est l'affaire de la nation.
Cela oblige aussi à réfléchir la dimension normative de l'éducation. L'important est qu'elle soit explicite. Elle peut prendre la forme d'une interrogation à long terme sur les finalités, les compétences stratégiques :
- la capacité à faire des ponts entre acteurs et partenaires, entre domaines de savoir pour résoudre des problèmes mais aussi trouver des solutions inattendues,
- savoir traiter le passé, le présent et le futur (le long terme, la capacité de résilience aux conflits),
- permettre aux jeunes la prise d'initiative pour s'engager, comment la scolarité-elle peut y contribuer ?
- qu’est-ce que les élèves savent à la fin ?
Laurence De Coq (du collectif d’historiens géographes Aggiornamento) est intervenue avec vigueur sur le débat autour des programmes d'histoire et la façon dont les praticiens "font avec". Selon elle, la part de liberté des enseignants viendra plutôt des croisements qu’ils pourront faire avec les programmes d’autres disciplines telles que le français.
Deux enseignants du collège de Loos-en Gohelle, Céline Walckoviack (professeure de français) et Francis Blanquart (professeur de technologie) ont ensuite présenté l’expérimentation d’un dispositif d’EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) mené dès cette année dans leur établissement. Ils ont accepté de revenir sur cette expérimentation dans un article à venir pour l’AFEF.
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