Un numérique au service de l'humain


Pour dépasser le Grenelle de l'Education

Sur le Café pédagogique du 4 février 

 

Un numérique au service de l’humain…

 

Et voilà, le Grenelle de l’Éducation s’intéresse aussi, bien sûr, au numérique, mais pas vraiment dans les mêmes termes que notre Collectif Alternumérique, et les quatre axes retenus par l’atelier Numérique[1] en témoignent : l’équipement équitable et durable, la montée en compétences, le changement du métier d’enseignant, les ressources-outils-usages. 

Quatre intitulés apparemment généreux, tournés vers de « bons usages » du numérique. Un équipement équitable, certes, c’est parmi les préconisations que porte notre Manifeste pour « Une École démocratique dans une société numérique » [2]?. Mais la suite interroge sérieusement sur la représentation de l’enseignement, des élèves, des professeur·e·s que porte ce Grenelle.

Montée en compétences des acteurs de l’École, oui, évidemment. L’inégalité flagrante, dans notre société, de l’accès au matériel et des compétences a été soulignée et exacerbée par le télétravail et l’école à distance. Mais les compétences, indispensables, font-elles l’éducation ? À quel moment interroge-t-on les valeurs éducatives sous-jacentes ? Les êtres humains que nous sommes ne se résument pas à une addition de compétences et notre « compétence » d’enseignant·e·s est ailleurs que dans des tours de main, des savoir-faire. Nous ne sommes pas des magiciens qui devraient à tout prix faire des cours amusants grâce à outils sans cesse renouvelés.

Et le changement du métier d’enseignant porte une vision du métier pour le moins caricaturale. Les professeur·e·s se formeraient au numérique sur des plateformes, dont le qualificatif de collaboratives n’a que le nom, et seraient consultés pour construire un référentiel métier des compétences numériques et des gestes professionnels « adaptés ». Logiquement, la Recherche, inféodée à la DGESCO, est sommée de créer une ingénierie pédagogique, dans une soi-disant « communauté de recherche » qui devra répondre à la commande ministérielle : comme les laboratoires ne sont pas assez productifs, il faudrait les encadrer, et leur enjoindre de collaborer avec les entreprises de l’Edtech, dans un grand marché public… 

Mais c’est surtout la fin qui dévoile la représentation de l’École sous-jacente : la grande banque de connaissances, « Netflix de l’Éducation », à laquelle elle est réduite interpelle sur les enjeux qui lui sont fixés par le Ministère : une série de ressources-outils-usages…  L’École comme seul lieu d’apprentissages, d’acquisition de connaissances. Vision techniciste et consumériste loin d’une formation de la personne, du citoyen, de l’humain. Là où le Grenelle de l’Éducation parle d’intelligence commune, intelligence artificielle, habiletés, nous cherchons la pensée, la réflexion. Là où il parle de co-conception, nous cherchons ce qui fait le commun, la société. Là où il pointe les activités d’apprentissage, nous cherchons l’humain. Quel sens ont les connaissances historiques, scientifiques, géographiques… sans un regard critique, sans une analyse conduite par l’enseignant·e sur le contexte, les évolutions, sans une éducation de la pensée, de la réflexion ? Suffit-il d’apprendre des règles, pour savoir faire et être compétent ? Questionner cette vision consumériste et techniciste, c’est tout l’enjeu des disciplines scolaires, par différentes dimensions, notamment celles de la créativité et de de la fiction. L’accès à la pensée ne se fait pas que par des connaissances, mais aussi par la dimension de l’imagination, qui ouvre à la compréhension par d’autres voies que rationnelles. Pour apprendre à porter un regard critique, à analyser les ressorts de son esprit, ce qu’il est comme personne, sa somme d’expériences, d’éducation familiale et sociale, nos élèves ont besoin de plus que des connaissances documentées, il leur faut un essentiel non-dit, souvent qualifié de non-essentiel, cette dimension réflexive portée par le faire, le dire, l’imaginer, le penser. Cette construction prend du temps, elle ne peut pas être rangée dans les cases de la compétence et de l’ingénierie pédagogique, elle passe par des voies détournées, numériques ou non. C’est la construction de l’humain l’humain au centre d’une École démocratique insérée dans une société numérique. Un numérique au service de l’humain…

Viviane YOUX, pour le Collectif Alternumérique

Soumis par   le 04 Février 2021