Préface de Pierre Kahn
Béatrice Finet. La Shoah racontée aux enfants, une éducation littéraire ?
Préface de Pierre Kahn.
Presses Universitaires de Grenoble, juin 2019.
ISBN 978-2-7061-4282-6. Prix 25 €
Note de lecture de Viviane Youx
Dans cet ouvrage, Béatrice Finet s’interroge sur le traitement qui peut être fait à l’école de cet événement historique majeur et monstrueux, l’extermination systématique des Juifs d’Europe durant la seconde guerre mondiale, appelée Shoah à la suite du film éponyme de Claude Lanzmann. Elle note la concomitance dans les programmes scolaires entre l’apparition de l’enseignement de la Shoah, et l’institutionnalisation de la littérature de jeunesse. À partir du moment où une injonction est posée dans les programmes de l’école et du collège, l’éducation mémorielle peut-elle être une éducation littéraire ?
1995 constitue une année charnière, pour la reconnaissance de la Shoah et la nécessité d’une politique mémorielle, ainsi que pour l’institution de la littérature de jeunesse dans les programmes du collège. Puis, en 2002 les programmes de l’école élémentaire introduisent, en cycle 3, l’enseignement de « l’extermination des Juifs d’Europe : un crime contre l’humanité », et la littérature entre dans les programmes de l’école primaire, avec une liste d’ouvrages recommandés. BF se demande alors quels liens vont être tissés entre la scolarisation de la lecture littéraire et le devoir de mémoire. Aucune évidence car, quand les albums et romans pour la jeunesse sont sollicités, le risque est qu’ils le soient pour leur rôle documentaire historique. Faire culture commune n’implique pas automatiquement la littérarité des textes convoqués.
Pourtant, très tôt les textes officiels donnent à cet enseignement mémoriel un caractère pluridisciplinaire, et incitent fortement les enseignants à s’appuyer sur des œuvres d’art et de littérature, précisant l’importance de la littérature et du recours aux ouvrages pour la jeunesse. Le passage de l’éducation civique vers l’instruction civique et morale introduit une portée morale dans l’événement historique, autorisant ainsi un traitement plus sensible, moins documentaire.
BF analyse d’abord la « naissance d’une littérature » de jeunesse thématique, autorisée par la double injonction portée par les programmes d’une éducation mémorielle et littéraire. La publication éditoriale sur le sujet, qui existait déjà depuis notamment Un sac de billes, de Joseph Joffo (1973), augmente considérablement (comme l’ensemble de la littérature pour la jeunesse) à partir des années 2000.
Dans le corpus qu’elle circonscrit, elle examine d’abord le paratexte pour déterminer comment les ouvrages peuvent toucher leur public. Nécessitant souvent une médiatisation par un adulte pour être compris des enfants, les albums s’appuient sur différents moyens artistiques et littéraires pour proposer un récit éducatif. Les images, dessins ou photographies, en jouant à la fois sur l’authenticité et la connaissance historiques, et la mise à distance poétique, permettent « une certaine acculturation à la Shoah ». Les personnages, d’inspiration réelle ou fictionnels, anthropomorphisés, enfants ou adultes, s’inscrivent dans des stéréotypes qui permettent la construction d’une interprétation ; mais cette activité interprétative nécessite l’accompagnement d’un adulte pour acquérir une dimension éducative. La question du pacte testimonial est centrale dans la littérature mémorielle, entre biographie et autobiographie, témoignage et fiction, le lecteur est associé à l’entreprise de transmission.
Mais s’agit-il d’une éducation littéraire pour autant ? BF montre que l’aspect documentaire, qui pourrait sembler inhérent à la dimension mémorielle, n’est pas évident quand on se trouve face à l’horreur, et qu’une « nécessaire simplicité permet à la littérature pour la jeunesse de se constituer comme un monde poétique particulier, et donc de relever de la littérature. » Les pratiques intertextuelles, la mise à distance des référents, le développement de stéréotypes et de fictions archétypales, contribuent à une littérarité. Mais la place de l’émotion interroge, l’exemplarité émotionnelle s’associe à la connaissance historique avec une visée plus moralisatrice qu’éducative, elle rend difficile la mise à distance nécessaire à une éducation littéraire.
La littérature pourrait contribuer à une véritable formation du sujet et du citoyen, grâce à l’expression des émotions et à la mise à distance. Mais il faudrait alors mettre en place des dispositifs pédagogiques plus rigoureux qui, par un enseignement littéraire de la Shoah, doteraient les lecteurs d’un imaginaire qui les aide à repérer et comprendre les symboles. C’est à ce prix exigent que la littérature pourrait vraiment jouer son rôle de formation d’un « sujet autonome », « citoyen d’une société démocratique
- Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire