Note sur les programmes de français des cycles 3 et 4
1. Des finalités à mieux articuler
Alors que la solidarité entre le programme du cycle 2 et du cycle 3 est manifeste, la rédaction des programmes du cycle 4 introduit des discontinuités préjudiciables à la continuité des apprentissages du socle commun.
• Dans le programme du cycle 3, le champ du français se déploie à partir de l’énoncé de ses finalités alors qu’au cycle 4, l’entrée se fait directement par la forme d’organisation à privilégier. Cette entrée techniciste ne permet pas d’éclairer le choix des thèmes retenus, ni la contribution des différentes composantes de la discipline à leur traitement.
• En termes de progression, le programme de cycle 3 se définit explicitement par rapport à celui du cycle 2. De même on aimerait que pour le cycle 4 soit précisé de quelle nature est la complexification des situations de production et de réception et comment l’étude de la langue conforte la posture métalinguistique en articulant compréhension du système linguistique et intelligence des discours.
Il faudrait donc décrire précisément les exigences d’accès à la littératie étendue qui caractérisent le cycle 4 et ce en quoi elles préparent au secondaire général, technologique et professionnel. Il y aurait lieu d’insister notamment sur la fonction cognitive de l’écriture dans l’appropriation des genres secondarisés (aussi bien les genres de l’écrit que ceux de l’oral nécessitant une conception à l’écrit) et sur les caractéristiques de la littératie numérique, ce qui justifierait la réintroduction, souhaitable, de tous les types d’écrit, la convocation de la littérature populaire dans des parcours de lecture alliant des pratiques extrascolaires à des lectures patrimoniales ou contemporaines, un véritable apprentissage de la compréhension, une pratique diversifiée de l’oral.
• Il faudrait inscrire aussi plus nettement le cycle 4 dans une continuité avec le secondaire long, général, technologique et professionnel en ouvrant des perspectives sur l’écriture métatextuelle, la critique notamment.
2. Une lisibilité à améliorer
Les programmes des cycles 3 et 4 seront mis en œuvre par les mêmes enseignants. Or, la rédaction actuelle comporte des ruptures non explicitées qui peuvent être source de difficulté.
• La gestion du temps dans l’année
Dans le programme de cycle 3, l’entrée majeure est la lecture-compréhension de l’écrit et l’écriture. Elle est quantifiée (60 à 70% du temps de français), à la différence des deux autres qui viennent en appui, langage oral et étude de la langue. Cette donnée ne figure pas dans le programme de cycle 4. Or, si l’on souhaite que l’oral et l’écriture soient travaillées intensément pour mobiliser la lecture et les ressources de la langue, des proportions devraient être fixées : pour le cycle 4, une proportion 20% (oral), 60% (écrire-lire) et 20% (étude de la langue) avec des volumes horaires annualisés correspondant pourrait être envisagée.
• La progressivité dans le cycle
Les enseignants ont besoin de repères pour convertir une progression par cycle en progression annuelle. Le projet du cycle 3 le fait explicitement, celui du cycle 4 ne le fait que pour l’étude de la langue et sans indication de classe. Une progression spiralaire permettant l’enrichissement des notions par retours successifs sur des niveaux d’analyse différents n’est pas antagonique avec des passages obligés : on pourrait ainsi préciser que la conceptualisation des valeurs temporelles et modales n’interviendrait qu’en fin de cycle au terme de nombreuses observations en contexte, pour éviter un étiquetage réducteur. Les repères de progressivité dans le cycle ne sont pas à confondre avec les repères de programmation au sein de l’année scolaire. L’un et l’autre sont nécessaires pour chaque entrée du programme. Actuellement, leur présence épisodique (programmation en lecture seulement et progressivité en étude de la langue) est source de confusion.
• Les articulations possibles avec les autres disciplines
Des croisements interdisciplinaires sont inventoriés pour chaque entrée du programme de cycle 3. Ils n’apparaissent que pour l’étude de la langue avec un intitulé différent dans le projet de cycle 4. On attendrait que soit précisé comment la discipline français contribuera au cycle 4 au développement des compétences langagières dans l’ensemble des enseignements, dans les EPI (grâce à une chronologie compatible avec le programme d’histoire notamment) et dans les deux parcours de l’élève (éducation artistique et culturelle ; information, orientation, découverte du monde économique et professionnel).
• La cohérence terminologique en didactique
Les textes s’appuient sans les citer sur un certain nombre de recherches en didactique du français. Cette pratique, courante dans les textes de compromis que sont les programmes, engendre des difficultés de lecture que ne lèvera pas la formation des étudiants au niveau master.
• Des dénominations différentes apparaissent d’un cycle à l’autre, sans qu’il soit toujours possible de savoir quelle est la portée sémantique de ces variations :
- l’intitulé lecture et compréhension de l’écrit devient lecture ; le langage oral devient oral ; les croisements interdisciplinaires du cycle 3 et du préambule du cycle 4 deviennent des croisements disciplinaires dans la suite du programme ; les activités langagières en situation de production et de réception, inscrites dès le cycle 1 disparaissent au profit d’exercices scolaires.
• Des termes très polysémiques sont employés sans définition : c’est le cas notamment du terme de compétence, employé tantôt au pluriel (compétences attendues en fin de cycle) et juste au-dessous au singulier (composantes de la compétence) : est-ce à dire qu’oral est à la fois le nom d’une compétence et d’une entrée du programme de français ?
• Des notions issues de travaux de recherche sont introduites sans définition, avec des variations : qu’entend-on par langue scolaire ? Est-ce la langue de scolarisation ? Les usages du langage dans les disciplines scolaires ? Un écrit intermédiaire est-il un simple brouillon ? Qu’est-ce qu’un écrit de réception (cycle 3) ? Est–ce la même chose que des écritures de réception (cycle 4)? Est-ce ce qui est attendu de la formulation des impressions de lecture, des jugements de gout[1] ?
Il serait donc important de concevoir un glossaire avec des définitions et des renvois bibliographiques. Ces définitions concerneraient aussi bien des termes nouveaux que des termes courants correspondant à des pratiques émergentes.
• La cohérence terminologique dans les contenus à enseigner
Sur le plan de l’étude de la langue, le projet de cycle 4 insiste sur la compréhension du fonctionnement de la langue, mais est timide sur les moyens d’y accéder. Dès le cycle 2, les principales manipulations syntaxiques sont citées (substitution, déplacement, ajout suppression), reprises avec des variations terminologiques et augmentées au cycle 3 (remplacement, déplacement, pronominalisation, encadrement, réduction, expansion) et singulièrement réduites au cycle 4, avec une confusion terminologique : substitution, permutation, commutation (synonyme de substitution ?). De quelles méthodes les élèves disposent-ils dans ces programmes pour étudier des constructions verbales, des périphrases aspectuelles, des phrases complexes faisant intervenir des présupposés ?
Des choix terminologiques sont proposés pour l’étude de la langue au cycle 3. Ils sont cohérents avec la volonté des auteurs de recentrer l’étude de la langue à ce niveau sur les grandes régularités du système. On notera toutefois deux formulations discutables : pour les pronoms, distinction entre les pronoms personnels et de reprise laisse penser qu’il y a deux classes distinctes alors que les pronoms de 3e personne sont des pronoms de reprise. L’expression marque du sujet introduit une confusion entre la morphologie et une fonction grammaticale que marque de personne éviterait.
En dehors de cela, la seule notion nouvelle est prédicat de la phrase : cette dénomination, en usage dans les grammaires francophones suisses et canadienne, permet de nommer la fonction syntaxique du groupe verbal. Au lieu de donner cette explication, les programmes donnent une équivalence discutable propos ou prédicat de la phrase. Or, le propos s’oppose au thème au niveau communicationnel et ne correspond pas toujours au prédicat de la phrase qui relève d’un autre niveau d’analyse, la syntaxe. Cette distinction est d’autant plus nécessaire que les programmes de cycle 4 évoquent la maitrise du thème et du propos avec un usage pertinent de la ponctuation, formulation discutable. On peut attendre que les élèves comprennent la répartition entre thème et propos dans un énoncé. Mais il est rare que cette répartition coïncide avec des choix de ponctuation, sauf pour les prédications secondaires entre virgules. La ponctuation permet de délimiter les unités textuelles sur des bases syntaxiques.
En cycle 3 comme en cycle 4, l’approche du texte reste présentée sur le mode de la concaténation : le rôle de l’implicite et des connaissances extralinguistiques dans la cohérence textuelle ne sont pas évoqués : cette notion est réduite à un fait de cohésion (la continuité référentielle par la chaine anaphorique), l’idée d’enchainements interphrastiques, glosée entre parenthèses par liens logiques laisse penser que les enchainements se font phrase à phrase et non sur des portions de texte de taille variable ou sur l’implicite. Moyennant ces ajustements, il serait souhaitable que la rubrique Terminologie utilisée soit commune aux deux cycles.
On attendrait une recommandation claire à suivre les rectifications orthographiques adoptées depuis 1990 par l’Académie française et que le texte des programmes lui-même les applique.
3. Une organisation à revoir
• Sur le plan général
Le projet pour le cycle 4 juxtapose une organisation thématique et une entrée par compétences, l’articulation étant laissée à la charge des enseignants et/ou des auteurs de manuels. Or, il était possible de s’appuyer sur des programmes ayant déjà expérimenté ce type d’articulation, ceux de baccalauréat professionnel qui fixent pour chaque objet d’étude des capacités, des connaissances organisées en différentes rubriques - champ littéraire, champ linguistique (lexique usuel et lexique thématique, en contexte, décontextualisé/recontextualisé : syntaxe, texte et du discours), histoire des arts – ainsi que des attitudes. Au lieu de cela, le projet actuel fait suivre les questionnements de « repères », terme à contre-emploi puisqu’il ne s’agit pas de se donner les moyens d’identifier un élément –clé dans un ensemble mais de fournir des listes de genres. Dans ces conditions, ce sont les éditeurs qui feront les programmes, avec les pesanteurs que l’on connait.
Une proposition alternative serait de monter que les programmes de français vont contribuer au développement de compétences culturelles et sociales (avec des questions problématisées travaillées tout au long du cycle) par le développement de compétences langagières et de compétences métalinguistiques. Cette organisation permettrait de clarifier les connaissances associées en les rapportant à des disciplines de référence.
Une telle réorganisation permettrait de faire leur place à choix d’œuvres à titre indicatif afin de concilier la transmission d’une culture commune et l’ouverture des corpus aux textes du XXIe siècle (et pas seulement du XXe) à la littérature de jeunesse, à la littérature francophone et aux texte en traduction (pour aller vers une littérature européenne. Elle permettrait aussi de montrer comment les genres littéraires introduits au cycle 3 sont retravaillés au cycle 4.
• Concernant l’étude de la langue
Le programme 2008, rédigé sous forme de liste de notions, ne permettait pas de construire une représentation du système linguistique ; il était difficile à articuler au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, mais un programme qui s’en tiendrait à l’énoncé de compétences générales ne serait pas d’un plus grand secours. Il serait souhaitable que le programme de cycle 4, dans sa rédaction, prolonge le double mouvement engagé dans les programmes des cycles précédents : la construction progressive de concepts englobants puis plus spécifiques relevant de niveaux d’analyse clairement identifiés et l’appropriation de démarches permettant cette construction, de la décontextualisation des données langagières à leur recontextualisation dans d’autres énoncés.
Si la description de celles-ci relève davantage de documents d’accompagnement, il importe que la formulation des niveaux de maitrise les mentionne : par exemple identifier un groupe syntaxique et expliquer en quoi il contribue au sens d’un énoncé, justifier un classement en s’appuyant sur des critères précis, comparer des énoncés pour mettre en évidence des ressemblances et différences formelles avec leur contrepartie sémantique, recourir à des manipulations pour déterminer des niveaux de dépendance, paraphraser des énoncés pour revenir à leurs caractéristiques formelles, etc. La qualité de l’observation et les échanges que ces tâches complexes doivent permettre sont plus essentiels à l’acquisition des compétences attendues que les savoirs formels eux-mêmes. Ils développent des savoir-faire indispensables pour que les savoirs savants se construisent. L’évaluation des justifications est un outil diagnostique nécessaire pour accompagner cette construction.
En conclusion, ces programmes reposent sur des choix de progression qui respectent le fait que les compétences visées par la discipline français se travaillent dans des contextes très variés et selon des temporalités qui excèdent les découpages annuels. Le débat, la compréhension de l’écrit, les processus d’écriture, la formation du gout, la réflexion métalinguistique, pour ne citer qu’eux sont travaillés sur l’ensemble des cycles. Cela suppose pour chaque entrée des progressions spiralaires, avec des apports de connaissances précis et une unification terminologique. C’est pourquoi on souhaiterait que les programmes, rédigés par des commissions cycle par cycle, fassent l’objet d’une relecture transversale pour une meilleure cohérence.
Marie-Laure Elalouf, Université de Cergy-pontoise-ESPE de l’académie de Versailles
Je remercie Sylviane Ahr, Christine Mongenot (MCF en littérature et didactique de la littérature), Françoise Ravez et Marielle Besnard (formatrices de Lettres à l’ESPE) pour leur remarques lors l’atelier-séminaire qui a précédé la rédaction
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