Tribune publiée dans le Café pédagogique du 18 septembre 2023
Nous croyons aux forces de l'écriture
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Notre association, l’AFEF, se félicite que depuis quelques jours l’écriture fasse la Une, et que dans la tribune publiée par Le Monde le 15 septembre, notre ministre exprime son souhait d’échanger avec les représentants des professeurs de français, dont il salue la culture inscrite dans leurs gestes professionnels. Mais l’écriture, qui est en effet depuis cinquante ans au cœur de notre travail associatif et de recherche, mérite cependant ici d’être explicitée et précisée.
De la tribune du ministre a été retenue comme titre cette phrase très mitterrandienne : « Je crois aux forces de l’écrit » ; or, si le terme écriture est employé d’emblée, il alterne ensuite avec écrit sans précisions complémentaires. Et c’est probablement toute la conception de l’enseignement du français, de la maternelle au lycée qui est dans cet écart : c’est justement sur ce curriculum que travaille actuellement notre association, afin de dégager des propositions qui donnent leurs chances à tous les élèves et réduisent les inégalités si fortes dans notre système scolaire français.
Avant de définir plus précisément la place de l’écriture dans ce curriculum, nous voudrions d’abord évacuer cette polémique sur de soi-disant savoirs fondamentaux. Certes, le mot « fondamentaux » plait beaucoup pour sa facilité, mais il ne répond hélas pas à une réalité quand il s’agit de langages, oraux ou écrits, dans toutes les disciplines scolaires. Quels pourraient être les savoirs fondamentaux pour parler, pour écrire ?
Car l’écriture n’est pas un savoir, elle se construit dans un long processus, et l’écrit relève du savoir-faire, d’une compétence en continuelle progression tout au long de la scolarité. Le processus d’écriture s’engage dès le plus jeune âge, dès qu’un enfant entre dans le langage écrit ; et si, en France, il est d’usage de considérer qu’il faudrait d’abord que les élèves acquièrent les règles de l’écrit – grammaire et orthographe – avant d’être autorisés à « écrire », d’autres systèmes scolaires font écrire très tôt, avec des bénéfices certains sur la réduction des inégalités.
Considérer l’écriture comme un long processus, c’est se centrer sur la compétence que développent les élèves, et non seulement sur le produit fini que serait l’écrit. Ce n’est pas « une culture de la trace écrite » que l’École doit développer, mais une culture de l’écriture. Et c’est la conception de l’écriture qu’elle doit repenser, en s’appuyant sur les travaux de la Recherche. Faire écrire les élèves, c’est les aider à penser, imaginer, commenter, partager, le crayon à la main ; c’est l’écriture qui est le geste fondateur de la pensée et de l’imagination, et pas seulement un outil qui permettrait de les restituer.
L’écriture s’exerce au sein de tâches complexes, et fait appel à des connaissances et compétences multiples dont celles qui concernent l’orthographe et la grammaire. Mais l’apprentissage des règles n’a jamais suffi à assurer ces compétences ; la grammaire et l’orthographe, auxquelles la nation française est si attachée, sont des systèmes à la fois réguliers et complexes que les élèves doivent apprendre à manier et comprendre pour les utiliser avec efficacité. Pour écrire, les élèves ont besoin de maitriser l’orthographe et les constructions de phrases, mais non, « la maitrise de l’écrit [ne] procède [pas] de l’orthographe », c’est autre chose qui se joue.
La tribune du ministre insiste sur « l’exigence que nous devons à nos élèves […] qu’ils apprennent pleinement à écrire », mais nous ne comprenons pas bien quelle place elle donne à l’écriture dans le système scolaire, et nous craignons que les propositions faites se trompent de cible. Si l’écriture permet de penser, d’imaginer, de réfléchir, elle se développe partout, dans toutes les disciplines, et pas seulement dans l’espace de la discipline français. Et ce n’est pas en comptabilisant le nombre de textes produits que la conception de l’écriture changera et que les élèves progresseront.
Créer des concours d’écriture, mais des concours existent déjà, sous des formes multiples. Et notre association, par exemple, organise depuis neuf ans un concours mondial d’écriture créative collaborative, le concours Florilège-FIPF, une collaboration entre la Fédération Internationale des professeurs de français et l’Académie de Montpellier ; mais, faute de relais institutionnels et de temps scolaire disponible, le nombre de professeurs français participant diminue d’année en année.
Écrire, ce n’est pas seulement produire un texte, c’est écrire beaucoup, souvent, partout, avec un crayon ou un clavier. C’est écrire pour penser, pour imaginer, pour entrer dans une culture. C’est écrire pour comprendre les savoirs, dans tous les domaines, pour entrer dans les apprentissages. Plus les élèves seront habitués à écrire, tout le temps, à la main ou avec le numérique, plus ils dédramatiseront leur rapport à l’écriture, et se réjouiront d’une activité d’écriture qui, actuellement, est souvent pour eux une obligation, un devoir à rendre plus qu’une source de satisfaction.
Mais cela suppose aussi de repenser l’évaluation de l’écrit. Car écrire demande de laisser du temps : aux écrits intermédiaires, aux réécritures, aux projets au long cours. Ce temps est indispensable pour que les élèves puissent tenter, recommencer, s’entrainer, apprendre de leurs erreurs. L’évaluation de l’écrit n’est possible qu’en phase finale, quand les élèves auront pu passer par ces étapes, et s’essayer « à écrire par eux-mêmes ». À tous les niveaux scolaires, l’évaluation de l’écrit doit être repensée, jusqu’au baccalauréat qui a vu disparaitre le sujet d’invention en 2019, une épreuve écrite terminale moins normée qui ouvrait à une écriture plus personnelle, imaginative et culturelle.
« L’exigence que nous devons à nos élèves », c’est de leur donner cet accès aux langages écrits, en réinventant leur place dans le système scolaire. Ce n’est pas une révolution, mais un changement de représentations, largement documenté par la Recherche. Ce n’est pas une mission impossible, mais il y faudra beaucoup de formation des professeurs, à tous les niveaux. Et il faudra aussi leur faire véritablement confiance, desserrer l’étau des perpétuels et décourageants changements de programme, avec leurs lots d’injonctions contradictoires ! C’est la condition pour donner à tous nos élèves les meilleures chances, et pour sortir notre École de la spirale des inégalités qui la ronge.
Pour l’AFEF (Association française pour l’enseignement du français),
Viviane YOUX, présidente.
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